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Ce soir-là, donc, qui était le prélude à toutes les insomnies dont j’aurais bientôt à me plaindre, je fus gagné par une affliction sans mesure confinant à la déréliction la plus profonde et la plus noire. La peur n’était pas disparue mais elle se muait en une lassitude abyssale, laquelle augmentée de la fatigue nerveuse qui s’était abattue sur moi inopinément donna bientôt naissance à cette étrange divagation de l’âme qu’est la mélancolie. Aux images de concorde et de félicité que mon esprit, le matin même, avait engendrées comme le suave fruit de ma rencontre de la veille succédèrent des chimères sans vie et sans clarté, tantôt crues, tantôt morbides qui me glacèrent d’effroi.

J’avais pourtant déjà aimé. Et j’avais connu cette incertitude, douloureuse et vitale à la fois, qui précède la joie en esquissant patiemment le lien amoureux, à force de tiraillements et de nœuds, plus ou moins nombreux, qui se dénouent comme par magie à l’instant merveilleux où le premier baiser s’affranchit des lèvres de l’être désiré. Mais j’avais connu tout cela dans ma première jeunesse, au sortir d’une adolescence trop timorée pour avoir su « virer sa cuti » plus tôt qu’il eût été de mise. De même que l’aveugle de naissance, qu’une opération ou un miracle aura doté de la vue, découvre que les formes ont des couleurs et ne se lasse pas de les admirer, je m’étais abreuvé d’amourettes plus ou moins sérieuses et j’avais fait un trop rapide apprentissage. Des couleurs, ainsi, je n’avais pas saisi les nuances.

Après avoir quitté la faculté, quatre ennuyeuses et stériles années après le baccalauréat, je m’étais employé à parfaire ma culture générale, dévorant de façon boulimique tous ouvrages, de toutes sortes et de toutes matières, qui fussent profitables à la réalisation de ce dessein présomptueux si bien que j’avais commencé à me gonfler d’orgueil telle la grenouille de la fable de La Fontaine devant un bœuf aussi gros que le monde. Ce que je gagnai en érudition, cependant, je le perdis en spontanéité et ma morgue eut bientôt raison de mon aptitude à m’entourer de ces délicieux courants d’air volubiles par la grâce de quoi je m’étais, un peu trop brusquement peut-être, si abondamment enrhumé. La grenouille explosa et c’en fut fini de mes aventures amoureuses. Débuta alors ma traversée du désert. Qui avait duré jusqu’à ce soir funeste, au cœur de la vieille cité, où nos chemins s’étaient croisés pour la première fois.

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