7.

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Ayant retrouvé mes esprits, je résolus de redescendre au niveau inférieur – où je me rendais lorsqu’elle m’apparut – afin de terminer mes achats et sortir au plus vite de cette crypte funeste. Je découvris bientôt l’accès vers l’escalator descendant et, non sans une certaine ironie à l’endroit de cette perspicacité dont je n’avais pas fait preuve en temps utile, je gagnai l’étage intermédiaire avant de me mettre en quête de mon oratorio.

J’étais encore tout troublé par le coup de théâtre dont je venais d’incarner le héros malheureux et je fus de longues minutes à chercher sans méthode au hasard des rayons et des bacs, découvrant ici la réédition d’un fameux enregistrement des variations Goldberg, contemplant là sur une pochette de disque judicieusement mis en exergue le visage enfantin d’une pianiste à la mode ou écoutant d’une oreille distraite un extrait du dernier concert de Keith Jarret.

Il me fallut le temps de cette errance sans objet pour retrouver complètement mes marques et clore le chapitre de mes achats de Noël en dénichant enfin le dernier des cadeaux que j’emporterais dans ma hotte, le jour venu, vers le sapin traditionnel dressé comme chaque année devant le quart-de-queue paternel dans le salon de la maison familiale.

L’oratorio de Haendel me rendit à la réalité. C’était le sésame qui m’autorisait à quitter ces lieux avec l’assurance de ne pas avoir à y revenir de sitôt et, partant, celle de ne pas revivre cette expérience éprouvante. Quoique je fusse encore sous le coup de ma fièvre subite, tout comme on est fébrile après qu’on a été agité de douleurs et de spasmes, j’éprouvais un soulagement physique à m’imaginer hors de la place, au grand air de la rue, quittant la grande avenue au profit des ruelles obscures et m’effaçant dans la ville.

Je me rendis donc le plus rapidement possible aux caisses et je fus littéralement effrayé en voyant la longueur des files d’attente qui s’y étaient constituées. C’était une étrange collection de mille-pattes humains, pareils à des iules enchevêtrés, qui grouillait comme une masse immonde en trépignant d’une impatience contenue. À la caisse, on tranchait un à un les segments antérieurs de ces arthropodes moribonds lesquels se régénéraient quasi simultanément par la queue, avec constance, en allant même, épisodiquement, jusqu’à se grandir de quelques segments d’avance. Il fallait que j’en fusse, à mon tour. Et que l’iule me digérât. Mais ce devait être l’ultime épreuve.

Je choisis une file au hasard. Aucune d’ailleurs ne semblait plus prompte qu’une autre à se distendre, à se réduire. Et je ne voulais pas même perdre ne fût-ce qu’une seconde à estimer un gain de temps improbable en comparant la vitesse de progression des individus à l’intérieur de chaque file.

Il y avait une dizaine de personnes devant moi. Je gageai qu’il s’écoulerait au moins une vingtaine de minutes avant que mon tour ne vînt. Avant ma libération. Et, en dépit que j’en eusse, je me pris à songer à ce que je venais de vivre. Je revis la scène telle qu’elle s’était produite. Mais au ralenti. Chaque seconde s’éternisait maintenant tandis que, au moment des faits, chacune avait fui devant moi à une allure qui m’eût semblé déloyale si j’avais seulement eu le loisir d’en considérer la précipitation.

Je me remémorai un détail troublant. Sa chevelure blonde, qui m’avait permis de la reconnaître tout à l’heure, cette chevelure aux épanchements lumineux qui m’avaient fasciné ce soir-là, dans les rues de la vieille ville, je la voyais maintenant s’éparpiller comme de la poudre d’or sur ses épaules recouvertes d’un gilet sans manche. Un gilet de couleur verte, d’un vert plutôt sombre tournant sur le kaki qu’une femme n’aurait sans doute pas porté sans qu’elle y fût contrainte par les exigences de sa condition. Mais quoi ! Comment avais-je pu ignorer ce détail vestimentaire ? C’était l’uniforme des vendeurs du magasin...

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