6.

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Ce fut comme un coup de semonce. Quand je croyais la paix revenue. Un coup de semonce suivi d’un silence inquiétant. Elle passa comme une ombre fugace, sans se retourner, et je n’eus qu’à peine le loisir de contempler son visage. À la croisée des chemins, nous étions, l’un comme l’autre, immobiles et pourtant emportés loin l’un de l’autre par des vents contraires.

Parvenu à l’étage supérieur, je m’extirpai de ma file en faisant preuve d’une furie qui me fit sans doute passer pour quelque claustrophobe soudainement assailli par une subite angoisse. Je cherchais déjà l’escalator qui me permettrait de la rejoindre. Je voulais m’embarquer sur son navire. Et je m’empêtrais comme un imbécile trop pressé de répondre face à une devinette qui demande un minimum de jugement.

Sans réfléchir le moins du monde, je m’engageai vers le premier accès qui se présenta à moi. La première marche me soulagea d’un fardeau immense. La seconde, qui n’était rien d’autre que la première se déplaçant vers le haut, m’accabla de tout le poids du monde. Je continuai de monter ! Je m’étais trompé de sens. Tout affolé que j’étais dans la confusion de mes sentiments même, je n’avais pas pris garde que cet escalator était la continuation naturelle de celui que je venais de quitter. Il s’en serait fallu de rien que je ne me maudisse à haute voix, trahissant mon désespoir. Et si je retins mon souffle, au moment de crier, je m’admonestai intérieurement avec tant de rage contenue que tout le magasin dut m’entendre me taire. Et tout ce monde autour de moi qui m’empêchait de faire demi-tour, de courir, d’aller la retrouver...

Lorsque mon exil prit fin, quelques secondes plus tard, j'échouai deux ou trois étages au-dessus d’elle, quelque part dans son passé, tout près de disparaître. Une immense lassitude me saisit. Je perdis tout courage et me tins planté là, prostré, dans le flot des âmes vomies par le dernier des cercles de l’Enfer.

Combien de temps restai-je ainsi, entre le songe et la vie, à m’épuiser de chimères ? Je ne sais pas. Un individu un peu moins prévenant que les autres eut bientôt fait de me bousculer et je m’écartai du passage en bredouillant quelques mots d’excuses incompréhensibles.

Quelques instants plus tard, j’étais encore debout, hébété, sur le bord de la rive, comme un noyé qui retrouve son souffle, expiration après expiration, quand je me rendis compte du ridicule de ma situation. J’émergeais d’une absence. Comme d’un sommeil. Et j’étais épuisé.

Je tâchai de retrouver ne fût-ce qu’un semblant de contenance. Par la marée humaine que j’avais quittée, sans m’en rendre compte et sans que quiconque s’en fût inquiété, je me laissai happer de nouveau, hagard et sans repères.

Quelques pas me suffirent pour me rendre compte que je ne me trouvais pas à l’étage où, avant que ne se produise cet évènement inattendu, j’avais décidé de me rendre. Un aiguillage fortuit m’avait dérouté sur une voie où tout s’était soudain accéléré, bien malgré moi. Maintenant, j’étais au milieu de nulle part tandis qu’elle s’évanouissait, sans un regard en arrière, vers un destin qui ne me comptait pas au nombre de ses épisodes. Je l’avais perdue pour la deuxième fois.

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