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Ce n’est que quinze jours plus tard que je la revis. Noël approchait sans ménagement, comme une calamité annoncée, et la ville, parée de ses illuminations corruptrices, ressemblait à une fourmilière en pleine effervescence. Sur l’avenue Jean Médecin, artère principale de la cité azuréenne, on se serait cru à Paris. Le flot des passants avait l’impatience et l’impétuosité des marées humaines qui déferlent sans discontinuer sur les Grands Boulevards de la capitale et cheminer au cœur de cette bruyante cohue n’était rien moins qu’un véritable parcours du combattant tant il convenait de faire attention à ne pas bousculer un enfant ou se faire marcher sur les pieds autant qu’il était prudent de prendre garde à ses poches et ses paquets-cadeaux…

Je m’étais retrouvé pris au piège, moi ainsi que tout le monde. Je n’ai jamais été, en matière domestique, le plus prévoyant des hommes et de toute l’énergie qu’il m’avait fallu déployer pour mettre en œuvre l’emploi du temps de mes rigoureuses études je n’avais pas pris la précaution d’économiser une once qui m’eût permis, en effectuant mes achats de noël bien avant tout le monde, de m’épargner ce qui devenait, maintenant que le jour fatidique était si proche, la plus fastidieuse des corvées.

Ce jour-là donc, contraint par la force des choses de m’échapper de mes études, j’avais commencé à baguenauder de vitrines en vitrines en espérant qu’il me viendrait providentiellement des idées de cadeaux à offrir. Après deux heures d’errance infructueuse, j’avais finalement pris la résolution de concentrer l’essentiel de mes recherches sur un seul lieu. Tout naturellement, c’est sur l’un de ces supermarchés de la culture – où l’on trouve, entre tout ce qui se lit et tout ce qui s’écoute aujourd’hui, toutes sortes de gadgets électroniques propres à ravir les petites comme les grandes personnes – que je jetai mon dévolu. J’étais assuré ainsi de pouvoir effectuer la quasi-totalité de mes achats sans risquer de décevoir quiconque. Il ne me resterait plus ensuite qu’à trouver un magasin d’articles de décoration d’intérieur pour finir de remplir ma hotte de Père noël et le tour serait joué.

Comme un surfeur intrépide qui se lance dans la vague déferlante pour s’en aller défier l’océan, je m’engouffrai dans le flot des visiteurs de l’une de ces cavernes d’Ali Baba des temps modernes. J’avais établi un improbable plan de bataille et me dirigeai résolument vers le rayon des livres où j’avais prévu de faire l’essentiel de mes achats. La foule y était impressionnante. Les uns étaient agglutinés autour des présentoirs, cherchant à se ménager le temps et l’espace nécessaire pour juger un tant soit peu de l’opportunité de leur acquisition à venir, d’autres se contorsionnaient devant les étagères pour découvrir le titre, l’auteur ou la discipline en quête de quoi ils avaient eu l’imprudence de se lancer, d’autres encore semblaient errer entre les rayonnages comme perdus dans le labyrinthe de leur incertitude. J’aurais pu être de ceux-là. Je n’avais pas une idée très claire de ce que je voulais acheter. Mais je fis preuve d’une étonnante résolution. Je m’en tins à l’acquisition d’œuvres littéraires qui avaient été dans les années précédentes d’indéniables succès de librairie et dont je connaissais les qualités pour les avoir déjà lues. Et si je n’étais pas absolument certain de faire plaisir à leur destinataire je savais au moins que je ne me fichais pas du monde. Le choix était éprouvé. Au goût du sens commun. Et au mien.

J’avais ainsi fait la moitié du chemin. Il me fallait maintenant accéder à l’étage supérieur où je comptais bien trouver cet enregistrement d’un oratorio de Haendel que ma mère m’avait expressément commandé. Je pris donc l’escalator qui conduisait le flot ascendant de ces ouailles consuméristes – dont j’étais aussi, quoi qu’il m’en coûtât – vers le Graal acoustique du second niveau. Nous étions, sur l’étroit pont de notre navire, littéralement au coude à coude et l’escalator descendant dont nous croisions la course libératoire n’était pas moins encombré que le nôtre. Lorsque j’arrivai à la hauteur intermédiaire où les corps de ces deux longues chenilles métalliques se croisent, je distinguai soudain dans le lent mouvement de ce miroir inversé, une silhouette féminine rehaussée d’une chevelure blonde qui me fit vaciller. C’était elle ! Je fus en un instant replongé dans les ruelles de la vieille ville, deux semaines auparavant. Mon cœur s’emballa comme un cheval fougueux. C’était elle...

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