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Le dimanche était jour de relâche. Non que cela eût revêtu pour moi la moindre signification d’ordre confessionnel ; la raison qui justifiait ce choix était bien trop prosaïque pour qu’on me soupçonnât jamais de quelque obédience particulière à l’égard de quelque croyance que ce fût. Ce jour-là seulement m’assurait de pouvoir rencontrer les rares amis qui n’eussent pas, en répondant aux mirifiques promesses d’un avenir conjugal ou professionnel, déserté la Côte d’Azur.

Naturellement – car la chose n’eût pas été possible autrement – ce fut au cours d’un de ces dimanches que je la rencontrai. Décembre avait commencé de répandre sur Nice une sinistre chape de grisaille et les premiers assauts du froid avaient sonné le glas des beaux jours. Lorsque la nuit tombait, il ne faisait pas bon traîner dans les rues de la vieille ville. Dès cinq heures, chacun rentrait chez soi, prudemment, et seule la fourmillante et oisive engeance des lycéens et des étudiants se mêlait encore de battre le pavé pendant une heure ou deux. Elle se réfugiait ensuite dans les bars et les restaurants dits « branchés » en attendant l’heure, plus tardive, à partir de laquelle elle s’en irait dilapider l’insolent capital de sa vigueur juvénile dans la frénésie monocorde des soirées dansantes.

Un ami et moi-même avions, ce soir-là, sacrifié à la rigueur de nos principes et nous étions retrouvés attablés devant un thé bien chaud dans l’un de ces antres hospitaliers afin de continuer – sans risquer plus avant de contracter une pneumonie dont ni lui ni moi n’avions alors les moyens de nous offrir le luxe – la discussion animée que nous avions initiée quelques heures auparavant en déambulant au gré des étals des bouquinistes et autres marchands de breloques patinées qui avaient, comme chaque premier dimanche du mois, investi les ruelles de la vieille ville.

Il y avait là, déjà, toute une troupe de jeunes gens en goguette qui s’étaient donné rendez-vous en ces lieux afin de préparer, à ce que nous finîmes par comprendre, l’enterrement de la vie de garçon de l’un des leurs. La chose nous amusa qui nous semblait, à l’un comme à l’autre, si incompatible avec l’idée que nous nous faisions de notre propre destinée. Nous en avions même interrompu le cours de notre controverse et, semblant n’y paraître pas, goûtions avec délice l’ineffable saveur de cette plaisante délibération. Chacun y allait de sa bravade, qui proposant un bain forcé dans les eaux du port et se voyant accusé – à raison me semble-t-il – de « tentation » d’homicide, qui suggérant un ultime abandon aux doux soins des péripatéticiennes locales, qui encore s’en tenant plus modestement à l’exigence d’une « cuite » nécessairement ultime… L’on eût dit, tant les lieux se prêtaient à semblable évocation, le concile d’une aimable troupe de disciples de Torquemada préparant avec le plus méritoire des raffinements la soumission à la question de quelque trublion bravache qui aurait eu le grand tort de prétendre, un jour de présomptueuse folie, détenir les clefs de son propre avenir.

L’assemblée bientôt décida qu’il n’était point temps encore de rien décider et tous s’accordèrent, quant aux moyens qu’il conviendrait de mettre en œuvre, de la nécessité préalable d’une réflexion plus sereine, mûrie aux lueurs d’expériences semblables, qui assurerait, au moment voulu, la réussite pleine et entière de cette philanthropique entreprise. Quelques bières opportunément commandées s’en vinrent circonvenir les dernières protestations de principe et de tout autres bacchanales naquirent de ces préludes. Nous en éprouvâmes un dépit légitime ; une trivialité gauloise, du plus mauvais goût, eut tôt fait de remplacer les amabilités sadiques à l’imagination de quoi, un instant auparavant, la petite soldatesque de conspirateurs besogneux s’était consacrée.

C’est alors qu’elle fit son apparition.

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