Chapitre VI, Partie 5 : La convocation de l'inspecteur

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De son coin sombre, Tadéo s'était maintenant levé et croisait les bras. Il tentait tant bien que mal de cacher son contentement, mais un sourire maladroitement dissimulé trahissait cet état de bohneur. Cet espèce de vicelard n'avait attendu que cela depuis le début de la séance. La petite bête qui allait m'incriminer. Le repli de feuille qui allait contester ma version des faits. Le sous alinéat du dernier paragraphe de l'article vingt-cinq du chapitre douze du code pénalo-militaro-administratif qui affirmerait que je suis un criminel de guerre.

Je serrai les poings et me maudissai interieurement : Moi, Dieter Lazarus, Empereur de ce pays, héritier des foutues deux-mille années d'Histoire de Lazaria, j'avais fait une erreur géographique sur la capitale de mon empire. Une belle humiliation s'il en est. Mon père m'avait obligé durant mon enfance à prendre des cours sur tout les sujets possibles et immaginables, et l'un d'entre eux était la géograhie et la topographie de Quantopolis au cours des siècles. Je ne méritais que la pendaison, voir le bûcher.

Boisclair, qui avait parfaitement ramarqué mon état de peur panique -j'avais en effet les yeux écarquillés, les muscles tendus et le sang qui me montait au visage- ne prit pas de pincettes pour me ramener à ses damnées informations et m'enfoncer un peu plus.

 -J'attends, jeune homme. Ta déclaration est incohérente. En outre, il se trouve que des tâches de sang ont été découvertes sur les lieux du meurtre.

Tout mes membres lachèrent d'un coup. Mon coeur se mit à battre très vite, très fort contre ma poitrine et une goutte de sueur perla sur ma joue. Les lieux, les témoins et les mamies bigleuses, j'en avais pas grand chose à battre. Tout au plus ces indices m'enverraient-ils en prison, et si je ne m'en évadais pas, je n'y passerais pas le restant de mes jours.

Mais avec cette révélation, on venait de passer à un tout autre niveau de danger. Si ils avaient pu récuperer du sang, c'était soit celui de cet abruti de garde que j'avais refroidi, soit le mien. Dans le premier cas, je ne pensais pas qu'ils en auraient fait un élément à charge, sachant que toute personne qui se prend une épée à travers le corps perd du sang. C'est une loi physique connue.

Cela voulait donc probablement dire que les analyses préliminaires avaient déjà commencé, et que l'ADN qu'ils en avaient tiré ne venait pas de ma victime. Instinctivement, mes pieds glissèrent sous ma chaise et me firent reculer de quelques centimètres. Tout mon corps étaient en ébullition, et ne demandait qu'à fuir d'ici. J'avais vraiment joué avec le feu en restant dans cette fichue base militaire.

 -Tu commences à entrevoir les éléments qui jouent contre toi, n'est-ce pas, reprit la chouette? Sans compter que tu avais la motivation nécéssaire pour descendre ce pauvre garde civil, je crois. Tu n'es certes pas pucé, dit-il en tatant le dos de mon poignet, mais tu es à l'évidence soumis aux règles imposées par l'OLCASA, l'Organisme de Lutte Contre l'Anonymat des Sans Abris. Ils sont étroitement liés au service de la garde, ces derniers les informant quand ils croisent des SDF.

Je n'allais pas rester comme ça sans réagir. En restant muet, je participais de façon indirecte à mon propre procès. Mon cerveau ordonna immédiatement à mes membres d'arrêter de trembler, et à ma colonne de se redresser. Droit sur mon siège, les coudes désormais posés sur la table, ma défense arrivait.

 -C'est une très jolie histoire, commençai-je, mais en vous écoutant, moi, je me rends compte de deux choses : premièrement, vous vous basez sur des suppositions invérifiables, sur des pseudos-intentions que j'aurais eues. C'est parfaitement subjectif, et vous le savez très bien.

En effet, Boisclair semblait bien le savoir. A son tour, il s'était légèrement tassé et avait perdu une partie de son superbe. Il devait avoir des dizaines d'années d'enquête chez la garde, et connaissait sûrement à la lettre le protocole.

 -De plus, vous noterez que la seule preuve que vous avez est un témoignage. Un témoignage de petit garçon, de nuit, ce dernier devait donc être probablement dans les vapes. Un autre témoignage, également, d'une mamie apparemment bigleuse et plus toute censée, mais celui là ne compte pas vraiment, selon vos propres mots. A part une légère incohérence dans ma déposition, vous n'avez donc rien de solide. J'aurais aussi bien pu être traumatisé de ce meurtre, qui s'est déroulé de nuit, ma mémoire a parfaitement pu me jouer des tours. Etes vous donc toujours aussi sûr de ce que vous avancez, monsieur de Boisclair?

A la fin de ma plaidoierie, un silence pesant s'installa. J'affichais un sourire satisfait, peut-être un peu condscendant, mais j'étais fier d'avoir pu détourner leur enquête en si peu de mots. Mon avocat roupillait toujours, l'enquêteur avait pâli, et Tadéo avait pris une teinte violacée que je ne lui connaissais pas encore.

Le grand-lieutenant ne tarda cependant pas à briser le calme qui régnait. Il bouscula sa chaise violemment, s'avança vers la table à grands pas et arracha des mains de son grand-oncle le dossier de l'enquête. 

Soudain, il me poussa brusquement sur ma chaise, éclata le dossier sur la table et pointa un doigt accusateur vers moi. Une veine gorgée de sang ressortait de sa tempe gauche, et son visage d'ordinaire paisible avait viré à la colère. Il repoussa ses lunettes rectangulaires sur son nez, et reprit là ou Boisclair s'était arrêté.

 -Bon maintenant, tu vas m'écouter, le merdeux. Dans cette salle, ici, personne ne croit à ton histoire déjantée. Un sans-abris désarmé qui fait fuir un membre de la garde civile en sauvant un lieutenant de l'armée Lazarienne, ça n'existe pas, de un parce que ces mecs sont de dangereuses ordures, de deux parce que t'es épais comme une tige de huit. T'aurais pas fait peur à ma fille, espèce de lavette, donc évite de me raconter ce genre de conneries.

Il posa ses deux mains sur la table, et avança son visage menaçant déformé par la rage près du mien.

 -Tu veux que je te dise un truc? Je ne t'aime pas. Je ne t'apprécie pas. Si ça n'avait tenu qu'à moi, je t'aurais mis dehors à grands coups de pieds dans l'arrière train dès l'instant où tu as franchi la porte du centre de commandes. Eolia a fait la pire erreur de toute sa carrière en te gardant avec elle, parce qu'à part fouiner ton nez un peu partout et faire la malin avec tes connaissances inutiles, tu ne sers strictement à rien.

Je déglutissai. Toute cette avalanche de reproches et de révélations me mettait très mal à l'aise. Il faut dire qu'il était vraiment imposant, posé ainsi sur cette petite table, avec son uniforme de militaire et son arme de service à portée de main. Il se rapprocha encore plus de moi, et colla ses lèvres rosées à mon oreille. 

 -Ecoute attentivement, très attentivement ce que je vais te dire. Tu mens. Tu pues le mytho, ton truc ça empeste vraiment la fumisterie à grande echelle. Les gars comme toi, dans ma carrière, j'en ai croisé des plus coriaces. Ils m'ont tous supplié à un moment ou à un autre de l'enquête qui les visait, parce que je suis impitoyable avec eux. Tonton est un peu fragile psychologiquement, mais laisse moi te dire qu'on a tout : les lieux, les témoins, tes motivations, la déposition d'Eolia, et même des gardes qui rapportent avoir vu un mec de ta carrure leur piquer des badges de sécurité. Dans moins de deux semaines, on a le résultat des analyses ADN et tu passeras en jugement pour meurtre. Rappelle toi bien de ça : Si je ne peux pas t'avoir pour tes petites fouilles organisées, je t'aurais pour assassinat.

Devant mon air térrifié, il recula légèrement et reprit à voix haute.

 -Dieter, je ne sais pas qui tu es et ce que tu nous veux, mais je sais que tu finiras derrière des barreaux très rapidemment. C'est Philippe Augustin Pierre Tades qui te le promet.

 -Je pense que vous devriez faire attention à ce que vous dîtes, monsieur le Grand-Lieutenant.

A côté de moi, une voix grave s'était élevée. Autant moi-même que Tadéo et Boisclair, nous nous retournâmes vers cette voix avec un peu d'appréhension et beaucoup de surprise : mon commis d'office avait décidé de quitter le pays du marchand de sable.

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