Chapitre VI, Partie 6 : La convocation de l'inspecteur

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Durant l'intégralité de cet interrogatoire, le truc qui devait me servir d'avocat commis d'office avait passé son temps à roupiller, pendant que moi je me faisais limer par mes tortionnaires. J'en avais un peu rien à faire de ce qu'il pouvait bien avoir à dire maintenant, et pour tout dire, j'avais même plutôt une grosse envie de lui en retourner une. Le but d'un avocat, c'était de défendre me semblait-il. En général, pour défendre, il aurait fallu qu'il suivît un minimum la conversation.

Tadéo recula légèrement, et baissa le doigt tendu devant mon nez. L'enquêteur, lui, s'était rassi et avait refermé son dossier. Il n'avait à l'évidence plus rien à dire, et s'était écrasé devant l'arrivée de son petit-neveu sur la scène.

L'homme à ma gauche se leva lentement. La cinquantaine, il portait un costume noir, une cravate grise et une chemise à la limite du charbon. Il avait un visage long et allongé, des lunettes rectangulaires et les cheveux poivre et sel, apparemment décoiffés, ou négligés tout le moins. Il n'était même pas très grand, dréssé ainsi sur ses pattes arrières, et son regard fatigué attestait des dernières heures passées dans cette petite salle confinée. Un homme tout en nuances de tristesse, pensai-je.

Il resserra cependant sa cravate, réajusta lui aussi ses lunettes et fixa Tadéo droit dans les yeux tout en dépliant une feuille à carreaux. Ce regard là avait perdu toute trace de fatigue ou de molesse, il visait Tadéo comme un sniper vise sa cible et ne la lâche plus des yeux. 

 -Mon client ici présent ne parlera désormais plus. Vous n'obtiendrez plus aucune information de lui.

 -Attendez, tentai-je desespéremment, je peux me défendre tout se...

 -Vous ne direz plus un mot Monsieur Dieter, c'est un précieux conseil que je vous donne. Vous ne connaissez rien à la loi de ce pays, et vous vous êtes débrouillé comme une loque pour vous défendre jusqu'à maintenant. Je trouve étonnant que ces messieurs en face n'aient pas éclaté de rire devant votre médiocrité. Maintenant, laissez moi achever cette séance de questionnements.

Il m'avait achevé, en seulement quelques mots. Je m'affalai de nouveau sur ma chaise, les bras balants, ne pouvant plus fermer la bouche ni décoller mon regard de ce professionnel de la législation. Certes, je ne connaissais rien aux lois républicaines. Ca ne m'avait jamais intéréssé. Les lois de l'ancien empire étaient toujours gravées dans ma mémoire, et elles me suffisaient. A l'évidence, ce n'était pas assez pour me sauver de ce pétrin.

 -Bien, reprit alors mon adorable commis d'office. Maintenant que nous parlons entre adultes, finissons cette plaisanterie. Mon client a quand même raison sur le fond, vous n'avez rien du tout contre lui. 

Il sortit de sa poche de veston un petit livret intitulé "Condensé pratique du code pénal Lazarien Volume IV", et l'ouvrit à certaines pages marquées. 

 -J'aurais pléthore de paragraphes du code pénal à vous lire, messieurs, mais nous y passerions la journée et la nuit qui suit. Je vais donc me contenter de vous citer ces quelques lignes. Il s'agit du chapitre trente-six, paragraphe quatre, alinéat numéro deux :

"Toute affaire judiciaire, qu'elle soit menée par les services militaires ou civils de la république Lazarienne, ne pourra être entreprise, menée et conclue que sur la base d'éléments concrets dont la liste est présente ci-après : des prises de vue electroniques (vidéo-surveillance), des analyses génétiques achevées et incriminantes pour le suspect, des aveux directs, volontaires et clairs et/ou une demande expresse de Monsieur le Président de la République Démocratique Lazarienne, Monsieur le Gouverneur Général des Armées, Monsieur le Représentant spécial d'ordre quatre, et/ou une demande spéciale d'au moins trois Généraux-Démocrates."

L'avocat, après avoir fini sa courte lecture, referma le petit livret et le rangea dans sa poche. Tadéo et Boisclair, de leur côté, semblaient avoir perdu la bataille. Leurs dossiers étaient eux aussi fermés, leurs stylos rangés, et tout deux se tenaient droits devant la table. J'étais quant à moi beaucoup plus calme et beaucoup moins stréssé. Finalement, cette personne s'était quand même révélée utile. Je pensais que tout le monde avait compris à qui revenait la bataille juridique.

 -Vous m'arrêterez, messieurs, si je me trompte, mais vous n'avez pas de recommandation spéciale. Vous n'avez pas non plus de témoignage vidéo, d'aveux quels qu'ils soient de la part de mon client, et les analyses génétiques ne sont pas encore terminées. Je pourrais vous poursuivre en justice pour l'ouverture illégale de cette enquête, ainsi que pour diffamation envers Monsieur Dieter. Réflechissez donc bien à ce que vous allez faire maintenant. Sur ce, je ne vois pas d'autres raisons qui pourraient pousser mon client à rester ici.

Il avait dit cela en tournant la tête vers moi. J'ouvris la bouche comme pour dire quelque chose, avant de me raviser. Il avait raison, je devais plutôt partir. J'avais évité de justesse une mise en examen -enfin, je croyais, j'étais nul en juridiction comme je l'avais dit- qui m'aurait été vraiment dure à gérer.

Je reculais donc ma chaise, lentement, sous le regard cuisant du grand-lieutenant. Sans éxagérer, cet homme avait vraiment l'air d'un tueur quand il était en face de moi. Heureusement pour moi qu'il était tenu par la loi, sinon il n'aurait pas hésité à me descendre sans la moindre preuve. Du moins c'était l'impression qu'il donnait.

La chouette, lui, semblait plus réservé. Il avait été le premier à me dire que ma version était incohérente, mais il n'avait pas l'air en accord complet avec son petit neveu. Il était au courant que les éléments qu'il m'avait présentés n'étaient pas suffisant pour dire si j'étais coupable. Il connaissait la loi bien mieux que cet abruti de grand-lieutenant.

Je refermai la porte derrière moi, dans un cliquetis qui résonna dans le grand couloir vide.Je restai un instant, seul, dos à cette porte, à réflechir sur ce qu'il venait de se passer. J'avais eu beaucoup de chance, face à ces deux là mais seulement ce jour-ci. Je venais de comprendre qu'ils avaient en réalité beaucoup plus d'éléments incriminants que prévu. De plus, les analyses ADN finiraient par être achevées. Mon ADN étant bien répertorié comme celui d'un ancien prince décédé, il me faudrait alors disparaître pour de bon. Poursuivi par les historiens, les scientifiques et l'armée, quelle horreur.

Mais l'heure n'était pas aux lamentations. J'allais avoir le temps pour ça, quand tout s'accélèrerait après mon intégration officielle. Certes, l'autorisation d'Eolia était l'équivalent d'un document officiel, mais l'administration avait elle aussi quasiment fini. Et dans l'immédiat, quelques recherches aux archives numériques m'attendaient.

Cependant, alors que j'avais repris mon souffle et que j'étais sur le point de partir en direction de la salle de commandement, on m'interpella.

 -Dieter !

En me retournant, la voix qui m'avait ainsi apostrophé était déjà arrivée à ma hauteur. Il s'agissait d'Alicia, une des membres du groupe EXODUS. Il me semblait qu'elle était affiliée à la communication, ou quelque chose du genre. Elle était grande et assez fine, avec de longs cheveux roux. C'était la première chose qui m'avait surpris chez elle. Elle avait l'air d'avoir couru, car elle était un peu éssoufflée. Elle s'arrêta quelques secondes, avant de reprendre.

 -C'est heu...c'est le chef qui m'envoie, apparemment vous êtes envoyés en mission à l'exterieur.

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