Chapitre IV, partie 1 : Les deux impératrices

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Année 2002 du calendrier Lazarus, Résidence d'été de la famille impériale.

Le vent soufflait, balayait le paysage en de larges et tièdes bourrasques. Les dernières feuilles mortes de l'hiver précédent virvoltaient en formation, comme transportées dans un ballet printanier. Le printemps, en effet, faisait déjà acte de présence, et la nature reprenait déjà ses droits sur le froid et la neige.

Perché au sommet d'un immense talus herbé se tenait une imposante batîsse. Le front suspendu au dessus du vide d'une cinquantaine de mètres, elle ressemblait à un vieux lion posé sur ses deux pattes avant, majestueuses ; il s'agissait en fait de massifs piliers de marbre qui faisaient l'applomb par l'avant, et entre lesquels passait un grand escalier blanc.

Le lieu ressemblait à s'y méprendre à un palais, bien plus d'ailleurs qu'à une résidence : cinq étages répartis sur une trentaine de mètres, deux ailes renfermant de vastes galleries artistiques, deux tours face au monde et aux coupoles au style oriental et un immense jardin floral. Garni de massifs de roses, de pétunias, de colchiques et d'autres plantes encore plus rares et plus exotiques, une fontaine pavées en materiaux précieux trônait en son centre. Cet endroit était d'ailleurs le centre du manoir, dont on pouvait lire le nom inscrit en lettres d'or sur le fronton : Firmament.

Au sud, la ville, au nord, de vastes plaines, entouré par les deux bras du fleuve du nord de l'est et de l'ouest, le lieu semblait inaccessible aux mortels et emprunt d'une atmosphère paisible et celeste. D'aucun auraient pu la prendre pour la résidence des dieux, il n'en était rien : des êtres humains vivaient là, du moins une partie de l'année.

En cette journée ensoleillée, de petites silhouettes semblaient en effet animer le jardin. Trois enfants s'amusaient de bon coeur, surveillés de près par une femme. Les trois petits, parés de costumes riches et bien taillés, se couraient bruyamment les uns après les autres dans un frénétique jeu de chat. Ils riaient, ils criaient, grimpaient au tronc du seul arbre présent et repartaient de plus belle.

La jeune femme, assise de l'autre côté de la fontaine sur une chaise de bois, lisait paisiblement un livre d'Histoire militaire. Grande, élancée mais pâle, environ la trentaine, elle se tenait avec une certaine élégance et une distinction qui n'était pas commune chez les roturières. Elle portait un large pantalon fushia, une chemise rose ainsi qu'un grand châle bleu gris qui la recouvrait presque entièrement. Elle semblait absorbée par son ouvrage. Elle feuilletait les pages, jaunies par le temps, avec aisance et délicatesse et paraissait prendre les écrits très au serieux. Sous son regard revivaient perpetuellement les plus grandes batailles que l'empire avait menées, de la reprise de Prayartel lors de la trosième guerre du pouvoir aux assauts dantesques de la bataille de Mandara. Des relans d'Histoire et d'histoires, qui arrachèrent à la paisible demoiselle un sourire malicieux.

C'est alors que, dans le chahut provoqué par les enfants et la concentration de la femme, la double porte de bois qui donnait sur la cour s'ouvrit. Elle laissa passer deux personnes, un homme et une femme.

L'homme, grand et fort, portait un uniforme bleu et rouge ainsi que des galons. Il se mit au garde-à-vous du côté droit de la porte, et annonça sa compagne, dissimulée dans la sombre pièce.

 -Son altesse impériale l'Impératrice Suzanne de Prayartel, chevalier d'honneur des Sept sabres et gardienne héréditaire du trône de Floralie !

Sur ces mots, l'impératrice sortit de l'ombre .Presque aussi grande que la jeune femme sur la chaise, elle semblait cependant beaucoup plus âgée. Elle portait une imposante robe crinoline couleur pêche et noire, assortie de rubans, de boutons dorés et de croix. Son cou, lui, était orné d'une collerette de dentelle qui l'entourait complètement et descendait jusqu'à son corset. Son attitude digne reflétait parfaitement son appartenance à la royauté, tout comme sa posture rigide.

Les mains jointes devant elle, elle s'avança à pas feutrés vers la fontaine et vers la jeune femme. Cette dernière s'était levée brusquement à l'annonce de la souveraine, laissant au passage son livre s'écraser mollement dans l'herbe humide. Elle tira une révérence presque trop solennelle, posa un genoux à terre, le poing gauche sur la poitrine et la tête baissée.

 -Votre majesté, dit-elle la voix tremblotante quand l'impératrice fut arrivée devant elle, veuillez pardonner mon manque de réaction, je ne vous attendais pas.

Suzanne afficha alors un sourire radieux et humble, et lui tendit la main pour la relever. Quand la jeune femme fut debout, l'impératrice la prit dans ses bras et rit de bon coeur.

 -Allons, allons, quand donc cesseras-tu ces lubies royales? Cela fait bien longtemps que je ne suis plus impératrice de Lazaria, Thalia. Mes rides en témoignent asses bien, non?

Thalia s'éloigna alors de la vieille femme et lui rendit son sourire.

 -C'est que...vous restez le 1er sabre lazarien, ainsi que ma belle-mère, vous savez...

 -C'est vrai, c'est vrai...bien que, et je dois te l'avouer, je ne manie plus l'épée depuis que mes articulations me font souffrir !

Toutes deux éclatèrent d'un rire sonore qui résonna entre les murs des deux ailes du bâtiment. Suzanne prit sa belle-fille par le bras, lui caressa tendrement la joue, et l'entraîna vers une table à l'autre bout du jardin. Celui-ci étant cependant de très grande taille, elles en profitèrent pour discuter.

 -Comment tu vas, dis moi, Thalia? Plus de problèmes de santé? Ces rhumatismes?

 -Rassurez vous, Suzanne, C'était en grande partie dû à l'hiver. Je vais bien mieux.

 -Les inhalations t'ont fait du bien?

 -Oui, le medecin Van Staffer a vraiment fait des miracles. Je vous remercie de me l'avoir présenté.

Elles firent un arrêt près de la grande fontaine de pierre. Elle était grande, peut-être cinq ou six mètres, et cinq statuettes d'aigles venaient alimenter les trois bassins concentriques en eau. Cette dernière renvoyait l'image des deux femmes aussi clairement qu'un miroir sans défaut.

 -Tu sais qu'il sert la famille impériale depuis le père du père d'Archus? Dans deux ans, cela fera quarante années qu'il nous soigne de nos rhumes et diagnostique nos cancers.

 -Il est vrai que j'apprécie beaucoup ses services depuis mon mariage avec Archus. Nous pourrions éventuellement lui remettre la médaille Fidelis, qu'en pensez vous?

 -Eh bien, pour être franche, il est coutumier d'anoblir les anciens militaires et medecins. Il doit prendre sa retraite dans seulement six mois, à cette occasion, ton mari pourrait lui remettre un titre de...je ne sais pas, moi, baron? Ou bien une sous-marquiserie, enfin un endroit paisible où il pourrait couler des jours paisibles jusqu'à sa mort.

 -Je ne manquerai pas de plaider sa cause près de mon mari, ne nous inquietez pas.

Elle reprirent alors leur chemin jusqu'à la petite table ronde de métal. Une fine nappe de soie avait été déposée dessus, et un service à thé attendait les deux femmes. L'impératrice et sa belle-mère prirent place l'une en face de l'autre et tournèrent le visage vers les enfants toujours aussi agités.

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