Chapitre IV, partie 2 : Les deux impératrices

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Suzanne, calme, inspira une grande bouffée d'air frais et but une gorgée de thé. En face d'elle, Thalia prit un carré de chocolat, qu'elle mit dans sa bouche. Au loin, près des grands massifs de roses blanches, le vieux majordome de la maison s'efforçait de contenir un minimum les enfants turbulents. Le vent soufflait toujours, et de plus en plus fort. Les ardoises craquelées des tours du manoir s'entrechoquaient, offrant aux oreilles une symphonie de cliquetis appaisants.

 -Eh bien, s'exclama l'ex-impératrice, cet endroit est toujours aussi venteux. J'ai du mal à garder ma coiffure impéccable !

Elle tenta tant bien que mal de maintenir en place ses cheveux, agencés en une sorte de barbe-à-papa grisâtre. De son côté, Thalia avait ramassé son livre et feuilletait de nouveau. Elle prit sa tasse, but une gorgée, et la reposa aussitôt. Suzanne lui lança alors un regard compatissant, lui prit la main et la serra fortement.

 -Alors, dis moi, comment se déroule la vie au château? Rien de neuf du côté des cuisines, toujours autant de fuites?

 -Eh bien, commença Thalia, les problèmes d'isolation persistent et les travaux de rebouchage de la toiture prennent plus longtemps que prévu. J'ai beau vivre là-bas depuis plus de 9 ans, je ne me fais toujours pas aux hivers sans chauffage.

Elles se regardèrent un petit moment sans dire un mot, et éclatèrent toutes les deux d'un rire cristallin. Les deux femmes vidèrent d'un trait leur tasse et firent signe au valet de débarasser la petite table blanche. L'impératrice en fonction leva l'ouvrage qu'elle lisait et le montra ostensiblement à sa belle-mère. Il s'agissait d'un vieux livre du siècle précédent, dont la reliure tombait petit à petit en lambeaux. Sur sa couverture noire était inscrit le titre, en fines lettres d'or épargnées par le temps : "Voyages intrépides et conquêtes au-delà des mers"

 -Je farfouillais dans la bibliothèque impériale, il y a quelques jours. J'adore, cet endroit, on y sent bien toute l'Histoire qui s'y cache à travers les pages et les étagères.

 -Je te comprends, la coupa Suzanne, moi même j'allais souvent m'y perdre quand j'avais encore une mémoire correcte.

Elle prit un petit biscuit sablé et l'enfonça goulûment dans sa bouche, sous le regard amusé de la jeune femme.

 -Hmmm, fourré à la fraise !

 -Je me trouvais donc dans cette bibliothèque, reprit Thalia, quand j'ai entendu un bruit sourd qui provenait du rayon "Geographie et culture". Je m'y suis rendu et ai constaté que Ionios avait renversé toute la partie consacrée à nos voisins d'outre-mer. Je ne l'ai pas grondé, pauvre chose, et puis après tout ça fouette un peu le sang... Enfin toujours est-il qu'au sommet de cette pile de livres se trouvait cette petite merveille ! Plus de deux-cent pages dédiées aux royaumes de Floralie, d'Angolie et de Middlsee. Du pur régal.

 -Je veux bien te croire. Je suis allé visiter ces pays lors d'une rencontre diplomatique avec mon mari, en 1985. Des gens très charmants, charmants...

Elle posa un énième biscuit qu'elle allait manger, à moitié grignoté, sur le bord de l'assiette à desserts. Elle sortit d'une de ses poches une grosse épingle et s'en servit pour habiller ses cheveux faces aux assauts du vent. De son côté, Thalia avait rangé son livre et s'était retournée calmement vers les enfants qui continuaient leurs jeux. Son regard était lointain, presque absent, quelque chose que remarqua tout de suite l'ex-impératrice de Lazaria.

 -Hmmm...dis moi, ma petite colombe d'outre-mer, commença-t-elle avec amusement, comment vont tes trois petits garnements?

Thalia se retourna vivement vers Suzanne. Son expression affligée s'était atténuée sans pour autant avoir disparu.

 -Oh, eh bien...ils vont relativement bien, comme vous pouvez le voir.

Elle montra du doigt les trois petits qui s'amusaient maintenant à faire des pyramides dans l'herbe humide.

 -Ils passent leur temps à se chamailler et à s'amuser, comme des enfants normaux. J'immagine que vous avez vécu ça, vous aussi, avec vos fils?

 -Ma pauvre, tu me prends vraiment pour une aussi bonne mère, répliqua Suzanne avec un brin de malice dans son regard. Non, moi je les ai directement confiés à ma cousine pour faire leur éducation dans le respect des preceptes religieux. J'étais bien trop occupée avec Fabius à diriger ce petit bout de terre. J'étais, on peut le dire, une femme active dans la politique de mon pays. C'était tout juste si je n'étais pas l'empereur...

Elle se gaussa d'un rire sybillin. Thalia la suivit, légèrement mal-à-l'aise. Cela dura quelques secondes, avant que Suzanne ne reprenne le fil de la discussion.

 -Mais j'ai cru comprendre que le rôle d'impératrice ne te convenait pas tant que ça. On raconte que tu passes plutôt tes journées à te ballader dans les couloirs du château.

Elle se rapprocha lentement de sa belle-fille, et colla sa bouche à son oreille.

 -Il paraîtrait même que tu flirtes avec certains cuisiniers quand ton cher mari s'absente ! Franchement, tu ne devrais pas laisser de tels racontards ternir ainsi ta réputation ma pauvre chérie.

Thalia s'était faite toute petite sur sa chaise, visiblement gênée qu'on lui prête de pareilles intentions. Son teint pâle avait rougi, et l'impératrice lazarienne tenta de le cacher en repassant vite fait ses paumettes avec une fine poudre claire.

 -Vous avez raison Suzanne, dit-elle après s'être ressaisie.

Son interlocutrice s'arrêta aussitôt de bouger, et lui lança un regard perçant.

 -A propos des cuisiniers?

 -Mais non, enfin, s'exclama Thalia en gloussant, à propos de la politique. Il est vrai que ce sont des choses qui ne me regardent pas, c'est plutôt votre problème. Toutes ces histoires de conférences entre les souverains des monarchies de l'ouest, les réunions avec les douzes nobles, la répartition du budget de l'armée impériale...Je ne dis pas que ca ne m'interesse pas, j'ai toujours une petite oreille qui traîne par ci, par là. Mais je préfère m'oublier dans les étagères de la bibliothèque centrale, comme vous avez pu le comprendre.

 -En effet, nous sommes semblables sur ce point-là. Mais n'as-tu pas peur des réclamations de ces bourgeois, à la capitale? Il y a eu des heurts pas plus tard qu'hier au siège de l'APCF, et un garde impérial a été grièvement bléssé il y a une semaine. Si tu veux mon avis, ça sent la guerre du pouvoir.

Thalia poussa un soupir et balaya les paroles de Suzanne d'un geste nonchalent.

 -Vous savez ce qu'on dit à propos des révolutions, Suzanne, les seuls empires qui y succombent sont ceux qui ont des choses à cacher. J'ose esperer pour les millions d'habitants de ce pays que les Lazarus garderont le contrôle du territoire, sans quoi je ne donne pas un demi-millénaire à ce monde pour sombrer dans le chaos...

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