14. Solitude et pas de deux...

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Valentine pleurait toutes les larmes de son corps sous la douche. Elle se sentait sale, se dégoûtait. L'après était toujours ainsi, quand les effets du sexe et de la drogue retombaient. Il fallait qu'elle se lave, se purifie. Qu'elle frotte son corps souillé par le regard et les gestes salaces, le foutre nauséabond d'un mec qui profitait de sa détresse, abusait d'elle pour s'adonner à un plaisir solitaire, égoïste. Elle se détestait d'être ainsi : faible, lâche ; une fille facile qu'on baise aussi vite qu'on la jette. Et de jouir de ça, de n'importe quelle queue pourvu qu'on la désire un tant soit peu, cinq minutes ou une heure, qu'elle ait l'impression de compter, d'exister dans les yeux de quelqu'un, même si c'était un leurre et que ça ne durerait jamais.

Avec Miguel, elle aurait pu décrocher de ses addictions. Elle l'avait dans la peau, il n'était pas comme les autres. Mais ça avait foiré, comme d'habitude. Comme tout ce qu'elle faisait.

Il y avait bien Quentin dans sa vie, son ami, son frère. Elle le soupçonnait même d'être amoureux d'elle. Sinon, comment expliquer sa gentillesse, son dévouement, son intérêt pour l'épave qu'elle était ? Bien sûr, elle pourrait se laisser aimer par le jeune homme ; attentionné, il ne lui ferait jamais de mal, au contraire. Mais elle ne s'estimait pas digne de lui. Et surtout, elle ne voulait pas l'entraîner avec elle dans ses abîmes.

Après s'être vigoureusement frictionnée à l'aide d'une serviette éponge, Valentine se pelotonna sur son lit, emmitouflée dans un peignoir. Parcourue de tremblements liés au manque, elle se recroquevilla en position foetale. Elle avait envie que quelqu'un la prenne dans ses bras, la serre très fort contre lui, la caresse, lui fasse l'amour avec tendresse. Mais elle était seule, définitivement seule. Et tout le monde s'en foutait. Elle n'avait pour unique réconfort que ses larmes, et ce hurlement d'animal blessé qu'elle lâcha à bout de nerfs, à bout de tout. Elle voulait mourir.

***

Miguel était en train de terminer ses préparatifs culinaires lorsque ses yeux se posèrent sur les jambes nues qui foulaient avec grâce les marches de l’escalier ajouré. Il était dans son dos, et Laurène ne pouvait le voir dans sa lente descente féline – elle n’entendait que les ustensiles de cuisine qu’il manipulait avec savoir-faire sur le plan de travail –, mais elle pouvait sentir la caresse de son regard sur le voile satiné de sa peau dénudée. Lorsqu’elle lui fit enfin face, elle lui sourit d’un air désolé.

  • Oui, je m’en doutais, intervint-il avant qu’elle n’ouvre la bouche pour s’excuser, mon futal était beaucoup trop grand.

Il faut dire que l’hidalgo mesurait près d’un mètre quatre-vingt-cinq quand elle ne dépassait pas le mètre soixante. Du coup, elle n’avait pu revêtir qu’une longue chemise masculine en jean.

  • Je ne suis pas très présentable pour notre premier dîner…
  • Non, ne change rien, tu es parfaite ! fit-il d’un air appréciateur. Je dirais même que ton top est superflu, mais ça n’engage que moi…

Elle s’empourpra. Elle se savait beaucoup trop légèrement vêtue pour un premier rendez-vous, une tenue propre à éveiller les fantasmes les plus inavouables de son hôte, ce dont il n’avait nullement besoin… Il interrompit le flot de ses pensées en lui tendant un curieux verre à cocktail dont elle ignorait le contenu.

  • Qu’est-ce que c’est ? s’enquit-elle.
  • Granizado de limón, une boisson très rafraîchissante à base de jus de citron, de sucre et de glace pilée. C’est sans alcool. On trinque ?

Les verres tintèrent et tandis que la blonde cannelle dégustait le sien, Miguel actionna la télécommande de sa station d’i-pod pour lancer un morceau muy caliente très évocateur de ce qu’il ressentait à ce moment précis : Bailando du trio Enrique Iglesias, Descemer Bueno et Gente De Zona. Dès les premières notes, les premières paroles, tout était dit sans équivoque.

Le bel andalou ne la quittait pas des yeux, mais gênée, la jolie quadra se détourna, faisant mine de parcourir de ses prunelles le somptueux loft à la déco d’inspiration industrielle, où le métal et les tons froids à peine rehaussés par endroits de couleurs ocres le disputaient au béton ciré. Une immense verrière ceinturée de fer forgé perçait un toit très haut perché, renforçant encore un peu plus l’impression de démesure de cette immense pièce aménagée en open pace ultra-tendance.

« Yo quiero estar contigo /

Vivir contigo, bailar contigo /

Tener contigo una noche loca (una noche loca) /

Ay, besar tu boca (y besar tu boca)... » (1)

Si Laurène ne comprenait pas le sens profond des paroles espagnoles, elle en saisissait l’intention. Voyant que son invitée essayait de s’extirper de sa tentative de séduction en admirant sa demeure, il décida de reprendre les rênes de la conversation.

  • Ça m’a pris deux ans… De tout faire de A à Z. Avant, c’était un atelier de confection. Il appartenait au grand-père de mon meilleur ami, Jonathan. Mais comme il ne sait rien faire de ses dix doigts, il n’avait aucune idée du potentiel de ce lieu. Quand il m’a emmené ici pour la première fois, j’ai eu le coup de foudre. Je lui ai dit : « Tu es fou de vouloir t’en débarrasser, ça pourrait faire un super loft, crois-moi ! ». Il m’a regardé, incrédule, et m’a répondu : « Écoute, vieux, si tu veux vraiment de cette ruine, je te la laisse pour un euro symbolique. Parce que moi, ça me fait plus chier qu’autre chose, cet héritage ! ». Bien sûr, j’avais sous-estimé l’ampleur des travaux, mais aujourd’hui, je ne regrette rien.

La blonde cannelle en était bouche bée. Elle n’en revenait pas que son bel hôte ait pareil talent.

  • C’est… C’est vraiment magnifique…

Le i-pod enchaîna sur d’autres airs latinos.

  • Oh tu sais, je n’ai aucun mérite : mon père était dans le bâtiment. J’aurais dû intégrer l’entreprise familiale, mais ça ne me plaisait pas. J’ignorais que ça allait pourtant me servir un jour…

Il rit.

  • Mais vas-y, visite. J’en ai plus pour très longtemps…

Laurène déambulait dans la pièce, s’attardant sur les clichés artistiques ayant trait au monde de la musique, du cinéma ; des photos rares, et d’autres plus personnelles dont l’une d’elles figurait un adolescent assis à côté d’une dame d’âge incertain, toute de noir vêtue, sur un muret de pierres.

  • C’est ta mère ?

La nostalgie frappa Miguel comme un uppercut. Depuis les obsèques, il n’y avait eu que Valentine ou Jonathan pour évoquer brièvement la mama. Depuis, il avait enfoui sa peine et ses souvenirs dans un coin de sa mémoire et de son cœur. Alors forcément, il sentait les larmes poindre. Il s’approcha de la console laquée et prit le cadre-photo entre ses mains.

  • Oui, c’est Mama. Avec moi, j’avais quinze ans. Mais… Elle nous a quitté à la fin de l’année dernière…
  • Oh ! Pardon, je suis vraiment désolée…
  • C’est rien… Je veux dire, tu ne pouvais pas savoir… C’est juste… C’est juste qu’elle me manque… Voilà…
  • On a donc ce point en commun, Miguel. Celui d’avoir perdu notre mère récemment et de la pleurer encore. Et d’être seuls avec notre douleur…

Un court silence.

  • Et sinon, tu es fille unique ?
  • Oui… Et toi, tu as des frères et sœurs ?
  • Cinq frères, tous plus âgés que moi. Mais entre nous, c’est compliqué…
  • Raconte-moi, Miguel ! Raconte-moi ton histoire, celle de ta famille, de ce gamin andalou qui a fui son Espagne natale pour se retrouver vendeur de bagnoles dans la capitale des Gaules !
  • OK, mais à une seule condition : que toi aussi tu te racontes, que tu me dévoiles qui tu es. Je veux tout savoir de toi…

Deux visages à quelques centimètres l’un de l’autre, un élan de tendresse brisé dans l’œuf par la minuterie du four.

  • Ah, on va pouvoir passer à table, je crois…

Le temps des confidences. Pour mieux se connaître et pouvoir s’abandonner dans les bras l’un de l’autre sans aucune retenue peut-être…

(1) : traduction :

« Je veux être avec toi, vivre avec toi /
Danser avec toi, avoir avec toi /
Une nuit de folie (Une nuit de folie) /
Oh, embrasser ta bouche (et embrasser ta bouche)... »

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