22. Amoureuse ?

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10 heures 30. Laurène ajusta une nouvelle fois le ruban de soie qui nouait ses cheveux blonds en une élégante queue de cheval haute, esthétique et frangée, ajouta un soupçon de laque et observa son reflet dans l’immense miroir rétro-éclairé. Son look était sobre : une sage robe noire à col Claudine, une paire d’escarpins à lanière pour le côté classique-chic intemporel, dans la droite ligne de sa coiffure un brin old school ; un perfecto en daim sombre et un maquillage à l’aspect « nude » pour la touche tendance. Une ultime correction de blush et elle serait enfin prête.

Retour dans la chambre pour récupérer l’ensemble de ses affaires, descendre l’escalier métallique dans un bruit contenu de talons aiguilles et se retrouver face à Miguel.

  • Alors ça y est, tu pars ?

La quadra lâcha un « oui » silencieux. Elle n’imaginait pas qu’il serait si difficile de quitter son rêve ce matin-là. Elle aurait pourtant dû s’y attendre, la nuit avait été si magique ! En détaillant du regard le bel hidalgo, elle se dit que jamais une chemise Marlboro Classics ou un jean Levi's n’avait été aussi bien porté… Elle laissa son bagage et son sac à main s’échouer à terre pour venir se pendre à son cou et l’embrasser. Un baiser, une étreinte, énième rencontre depuis la veille de deux effluves qui se mêlent et s’emmêlent : quand Hugo s’enivrait de Poême…

  • Je te revois quand ?
  • J’en sais rien… Envoie-moi ton devis par mail, ça nous fera un joli prétexte !
  • Je te raccompagne jusqu’à ta voiture ?
  • Non… Je n’ai jamais aimé les au revoir ou les adieux qui s’éternisent. Ne m’en veux pas… Ne m’en veux pas si je te parais indifférente ou détachée, ce n’est pas le cas. J'ai juste besoin de faire le point sur mon couple, sur nous...
  • Parce que c’était quoi cette nuit, pour toi Laurène ? Une simple parenthèse, une aventure d’un soir, ou quelque chose de plus profond, de plus fort, de moins éphémère ? Dis-moi…
  • C’est compliqué, Miguel, de te répondre comme ça, de but en blanc. Il y a trop de choses qui se bousculent dans mon esprit, j’ai du mal à faire le tri entre ce dont j’ai envie et ce que je m’autorise. On va se revoir, ça c’est sûr, mais je suis incapable de te dire s’il y aura une suite à ce qu’on a commencé nous deux.
  • Laurène, je t’…
  • Chut ! fit-elle en posant un doigt sur sa bouche. Je ne veux pas savoir, pas maintenant.

La blonde cannelle tourna les talons sans préavis, s’empara de ce qu’elle avait laissé choir au sol et quitta le loft sans se retourner.

***

Miguel s’alluma une clope en se dirigeant vers le patio. En y repensant, il n’avait pas fumé depuis l’après-midi de la veille. « L’effet Laurène... » songea-t-il. Sauf qu’après leur fabuleuse nuit, il se retrouvait tout seul comme un con, à errer sur sa terrasse ! Quoi de plus normal après tout : Laurène était mariée – situation merdique au possible pour l’amant, cela dit en passant – et avait donc besoin de temps. Ce n’était assurément que partie remise. Soit, mais il ne pouvait s’empêcher de cogiter ; il fallait qu’il s’occupe. L'hidalgo écrasa sa JPS dans un cendrier de fortune, ajusta ses Ray-ban sur le nez et dégaina son smartphone pour taper un texto :

[Salut Jonath’ ! T’as besoin de la SM (1) cet après-m’ ?]

La réponse ne se fit guère attendre :

[Non pourquoi ?]

[Besoin de me changer les idées, de rouler...]

[Oulà ! Ça sent le mec qui s’est fait larguer ça ! Ça s’est pas bien passé ton plan cul ?]

[Non, au contraire, c’était tellement le kif que j’ai du mal à redescendre sur terre.]

[OK, tu me raconteras… Bon, je te laisse parce que le mien est en train de se réveiller...]

[Enfoiré ! C'est qui, je la connais ?]

[Pas le temps de palabrer, amigo, je t'en parlerai plus tard. Hasta Luego !]

Le trentenaire n’importuna pas davantage son pote. Il quitta le patio pour récupérer les clés de son « trésor » dans le tiroir du guéridon de l’entrée, attrapa une veste au vol et sortit.

***

Laurène agitait ses doigts d’impatience sur la jante du volant. Le feu rouge s’éternisait. Les haut-parleurs JBL du coupé 406 diffusaient une chanson évocatrice - Love me harder, interprétée par le duo Ariana Grande & The Weeknd. La jolie quadra se laissa bercer par la musique en relâchant sa tête contre l’appui-tête en cuir fauve et ferma les yeux , mais un bruit de klaxon la ramena trop vite à la réalité : le feu était passé au vert.

***

La blonde cannelle rejoignit son amie Julie qui paressait sur son balcon, un verre de mojito à la main. Elles s’embrassèrent.

  • Tu veux boire quelque chose ? s’enquit la pulpeuse brune.
  • Non merci, répondit Laurène en s’asseyant en vis-à-vis dans un fauteuil en résine tressée. Florian n’est pas encore rentré ?
  • Eh non, on est dimanche, donc séance de foot avec ses potes jusqu’à 13 heures… Ça nous laisse largement le temps de papoter entre filles !

Devant le mutisme de son amie, Julie insista.

  • Allez, Cendrillon, sois pas vache, raconte ! Ta soirée avec le beau Miguel, c'était comment ? Ne me dis pas que vous êtes restés des plombes à vous regarder dans le blanc des yeux tout de même !
  • Non, je ne te le dis pas… Mais contrairement à ce que tu penses, on a beaucoup parlé avant de…
  • Ouh, je sens que ça a été muy caliente (2) entre vous, non ? « Toi toi, mon bel andalou / Aussi beau que jaloux / Quand tu danses le temps s’arrête / Je perds le Nord, je perds la tête… » (3)
  • Julie, arrête, ce n’est même pas drôle ! Tu vois, hier encore, j'étais en colère, j'en voulais à Jean-Louis de m'avoir trompée. Et aujourd'hui, plus du tout. Ce n'est pas par vengeance que j'ai fait de même. C'est parce que je n'ai pas pu résister. Et je ne culpabilise même pas. Au contraire, je ne me suis jamais sentie aussi vivante ! Ça a sans doute été pareil pour Jean-Louis : avec cette Rachel, il a simplement dû céder à une pulsion irrépressible...
  • Pulsion irrépressible qui semble pourtant perdurer, non ?
  • Ce n'est pas ça l'important, Julie. L'important, c'est de comprendre pourquoi on en est arrivé là tous les deux. Et de savoir si notre couple y survivra ou si cela signe définitivement la fin de notre histoire.
  • C'est ta nuit avec ton andalou qui t'a rendue aussi réfléchie, aussi sereine ? Ne serais-tu pas tombée amoureuse de lui, par hasard ?
  • C'est une question que je ne me suis pas encore posée et à laquelle je n'ai pas envie de répondre. A l'image de Rachel pour Jean-Louis, Miguel a été un « déclencheur », le révélateur de quelque chose : je ne veux plus subir mon existence, je veux la reprendre en main et me sentir libre. C'est ce que j'ai ressenti cette nuit, ce sentiment de liberté retrouvée, et que j'avais mis en stand by depuis Thibaud...
  • Thibaud ? Mazette, ça fait un bail vous deux ! Tu te rends compte que t'as plus vingt ans quand même ? Que ce n'est peut-être qu'un feu de paille ?
  • C'est toi qui me dis ça, Julie ? Toi qui m'as quasiment poussée dans les bras de Miguel ?
  • Je refuse d'endosser toute responsabilité ! gloussa la pulpeuse brune, faussement indignée. Plus sérieusement, que comptes-tu faire à présent ?
  • Parler à Jean-Louis, jouer cartes sur table. On verra bien ce qu'il en ressortira...

(1) : La SM est un coupé grand-tourisme produit par Citroën entre 1970 et 1975. Futuriste et ultra technologique pour l'époque, il fut motorisé par un V6 Maserati.

(2) : Très chaud.

(3) : Julie pastiche les paroles de la chanson de Kendji Girac : Andalouse.

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