23. Espoirs déchus

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La nuit avait été dégueulasse, comme d'habitude. L'intérêt purement physique que lui avait porté Terry n'avait pas excédé la demi-heure. Il l'avait culbutée à l'arrache à l'arrière de sa bagnole, joui sur son visage et dans sa bouche, puis l'avait jetée comme un Kleenex.

Puis ce furent l'errance, le manque, les tremblements. Des anxiolytiques pour les combattre, le dégoût de soi-même qui s'installe.

Vers les 5 heures du mat', Valentine avait voulu appeler Quentin, puis s'était ravisée. Il était pourtant le seul à la comprendre.

De retour chez elle, elle se pelotonna dans sa chambre et déversa dans son lit toutes les larmes de son corps. De douleur et de lassitude. Elle aurait aimé pouvoir en finir...

***

Nuit d'insomnie. Jean-Louis tournait dans son salon comme un lion en cage. Il ne comprenait pas. Pourquoi Laurène découchait depuis deux nuits ? Pourquoi avait-elle besoin de réfléchir ? Une énième alerte SMS l'avertit d'un texto de Rachel. La veille, il avait décliné leur rendez-vous coquin. Le soudain éloignement de son épouse lui avait fait l'effet d'un électro-choc : il ne voulait pas la perdre ; il l'aimait toujours.

***

Un box situé au sous-sol d’un immeuble, à quelques encâblures du loft de Miguel, pour y abriter un rêve de gosse. SM, deux lettres qui lui valurent le surnom de « Sa Majesté » de la part de ses afficionados. Parce qu’elle était aussi capricieuse qu’une diva, mais que ses vocalises d’origine transalpine n’avaient rien à envier à celles d’une cantatrice d’opéra. Le sculptural bijou de chrome, de verre et de métal blanc Meije du bel hidalgo était un modèle full option de 1971, millésime très prisé des collectionneurs.

Sa passion pour l’excentrique coupé Citroën à moteur Maserati remontait loin, à sa plus tendre enfance : la première fois que son regard avait été happé par la carrosserie si particulière d’une SM, pourtant gangrénée par le sel marin d’un quelconque port d’outre-Atlantique sur lequel elle avait dû végéter un moment avant de regagner l’Europe et de s’échouer dans le cimetière automobile que gérait son oncle Manuel, il devait avoir huit ans. Tout, dans cette voiture d’origine US à la proue défigurée par les normes Nord-Américaines et par les affres du temps qui ne l’avaient pas épargnée, l’avait fasciné : sa ligne bien sûr, aussi unique qu’inimitable, le cuir craquelé des sièges qui avaient dû être confortables, l’aspect aussi futuriste qu’atypique du tableau de bord ovoïde… Ce jour-là, il s’était juré qu’il s’en offrirait une quand il serait en âge de pouvoir se la payer. Et une vingtaine d'années plus tard, à la faveur d’une conversation anodine autour d’un verre avec Jonathan, le rêve s’était teinté de réalité : son pote caressait la même ambition, et à deux, le graal paraissait moins inaccessible. Et puis, l’occasion en or : un papy citroëniste chevronné qui passe l’arme à gauche, des héritiers un peu pressés de se débarrasser d’une encombrante auto, en excellent état certes, mais dont ils ignoraient jusqu’à la cote. Depuis, les deux acolytes se partageaient le fastueux coupé et les frais inhérents qu’il engendrait.

La porte du box bascula pour révéler la verrière abritant la batterie des six projecteurs, une signature visuelle imaginée par le designer Robert Opron. Une impulsion sur l’interrupteur, le néon qui clignota avant de se figer pour bombarder de sa lumière crue le fuselage taillé par le vent de l’élégant vaisseau routier. Miguel caressa un instant l’aile avant de ce qui était pour lui davantage qu’une auto avant de prendre place à bord. Démarrage, sonorité aussi mélodieuse que grisante du V6, amplifiée par la résonnance qui claquait contre les murs de parpaings.

Enfin, l’air libre et l’asphalte. Ne plus penser à rien. Juste égrainer les rapports de la boîte mécanique, de vieux tubes seventies s’échappant en sourdine de l’antique radiocassette d’origine. Assurément, Laurène aimerait cette voiture. Il faudrait qu’il songe à l’enlever à son volant. Amatrice de belles bagnoles, sûr que la jolie blonde ne pourrait qu’adorer la balade hors du temps et les sensations inédites qu’elle lui procurerait.

***

Laurène stoppa son véhicule dans l’allée gravillonnée, devant sa villa. Elle inspira un grand coup pour se donner du courage avant de s’en extirper, le contourna pour récupérer son bagage dans le coffre et se dirigea vers sa demeure. Mais avant qu’elle ne puisse poser sa main sur la poignée de la porte d’entrée, celle-ci s’effaça pour s’ouvrir sur un Jean-Louis au visage crispé.

  • Oh, quelle surprise ! Ma femme est enfin de retour !

La quadra ne releva pas et s'engouffra dans le hall.

  • Il faut qu'on parle, Laurène. Tu ne peux pas te défiler comme ça, sans rien dire...

Le couple s'attabla en vis-à-vis dans la salle à manger.

  • Tu as raison, Jean-Louis, il faut qu'on parle. J'aimerais... J'aimerais qu'on se sépare, à l'amiable.

L'homme tomba des nues.

  • C'est ton gigolo qui t'a mis cette idée en tête, c'est ça ?
  • Mon gigolo, comme tu dis, n'a pas plus d'influence sur mes prises de décision que ta Rachel...

Le quinquagénaire encaissa avec stupéfaction :

  • Co... Comment es-tu au courant ? Et puis, Rachel ne compte pas, c'est toi que j'aime !
  • C'est trop tard...
  • Pourquoi ? Pourquoi ne peux-tu pas me pardonner cet écart ?
  • Parce que depuis cette nuit, j'ai un amant, et parce que je ne culpabilise même pas de cet état de fait !

L'annonce de Laurène terrassa Jean-Louis.

  • Alors, c'est fini, c'est ça ?
  • Tu sais, ça fait sans doute un moment qu'on se voile la face, tous les deux ; nos envies d'ailleurs respectives n'ont probablement pas germées dans nos esprits par hasard. Ça signifie que notre histoire est parvenue à son terme et qu'il est inutile de s'acharner à faire revivre ce qui n'existe plus...
  • Tu ne veux même pas essayer de nous donner une dernière chance ?
  • Et ça servirait à quoi ? A nier l'évidence ? Tu as fauté, j'ai fauté ; le coup de canif dans le contrat est irrémédiable et la confiance mutuelle entachée. On ne peut pas revenir en arrière : ce qui est fait est fait. Et c'est mieux de s'arrêter maintenant sans trop d'esclandres plutôt que de se déchirer, non ? De toute façon, je ne te chasse en aucun cas d'ici. Tu pourras garder la maison, ça m'est complètement égal. Moi, je vais rester chez Julie et Florian encore quelque temps ; je me chercherai un appartement plus tard.
  • Tu n'emménageras pas avec ton beau gosse vendeur de bagnoles ?
  • Miguel ! Il s'appelle Miguel...

La chambre de Valentine se situait au rez-de-chaussée de la villa, tout comme le salon-salle à manger. En entendant ce prénom, la jeune femme étouffa un sanglot. Elle venait de comprendre la nature des relations qu'entretenait sa mère avec son ex...

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