Prise de pouvoir

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Lorsqu'elle se réveille seule dans son lit ce matin-là, Hermione n'est pas surprise. Elle est forcée de le reconnaitre. Avant même de se lever, avant même d'avoir fait le tour de la maison, Hermione sait que Drago n'est plus là. Que c'est davantage qu'une simple absence : qu'il est parti, qu'il l'a abandonnée là sous la lumière de la Lune, et qu'il ne reviendra pas. Quelque chose plus fort que l'instinct le lui crie au fond d'elle. Et Hermione n'est pas surprise.

Elle se redresse entre les draps fins, caresse distraitement la place vide et froide à côté d'elle. Elle n'est même pas triste. Même pas étonnée. C'est plus profond que ça, elle est... mélancolique. Et résignée. Comme si au fond d'elle, elle avait toujours su que cela finirait par arriver. Comme si elle l'avait accepté dès l'instant où elle avait laissé Drago Malefoy pénétré dans sa vie, dans sa maison, dans son lit... et aussi dans son cœur.

Quelque part en elle, elle a toujours su que Drago Malefoy était comme un loup solitaire. Un loup qui aurait perdu sa meute, et qui n'a d'autre pensée à présent que de courir après ceux qui la lui ont prise. Il est incapable de se réadapter au quotidien. Incapable de créer de nouveaux liens, de rester au même endroit si cela l'éloigne de son but. Même les yeux qu'il pose sur le monde sont ceux d'un loup. A la fois chasseur et chassé. Survivant. Intelligent. Et délicieusement inaccessible.

Hermione regarde autour d'elle, dans cette chambre vide, cette maison vide. Elle songe à sa vie qui pourrait paraitre tout aussi vide, désormais. Mais c'est faux. Elle ignore pourquoi, mais pour la première fois depuis longtemps, elle se sent entière et sereine. Bien sûr, les inconnues qui pèsent sur son futur ne l'ont pas quittée. Mais elle a le sentiment que Drago l'a comme... remplie. Qu'il a comblé les stigmates que toutes ces dernières années de malheur ont laissés en elle. Qu'il lui a transmis un peu de cette stabilité magnétique et terrible, un peu de cette volonté dure, glaciale, inébranlable, qui lui a permis de tenir à travers toutes les épreuves de sa vie. Aujourd'hui, Hermione se sent la force d'affronter le lendemain. Elle se sent la force de tenir seule sur ses jambes, sans Harry, sans Ron... et même sans Drago. Grâce à Drago. Elle veut s'inspirer de lui, être forte pour lui.

Hermione se lève et part réveiller Rose, qu'elle serre très fort dans ses bras pendant un long moment.

Elle sait que la seule chose susceptible de la blesser désormais, c'est l'espoir. L'espoir de voir un jour l'homme qu'elle a connu revenir inchangé, intact, préservé de la cruauté du monde. Mais elle sait bien au fond d'elle que c'est impossible.

XXX

Assis dans la chambre d'ami de Potter, Drago se dit que son existence commence sérieusement à ressembler à une sinistre farce du destin. Il se demande si quelqu'un ou quelque chose le contemple de là-haut, et s'il aime ce qu'il voit. Il espère que oui. Qu'il y ait au moins une personne qui puisse sourire de cette situation...

Après avoir confié l'abandon des corps de Manz et Lensher à Jack et ses petits acolytes, Drago leur a ordonné de se disperser. Il a fermé la boutique de Constantine une bonne fois pour toutes. Et, puisque Potter se trouvait là avec ses yeux de chiens battus et que Drago ne pouvait pas retourner chez Hermione, il a choisi d'accepter de le suivre chez lui. Quelle meilleure planque que la chambre d'ami d'Harry Potter ?

L'Elu avait raison lorsqu'il a dit que l'assassinat de Manz et Lensher – et leur exposition en place publique – serait pris comme une déclaration de guerre par Zabini. Dans la situation présente, Drago ne peut pas se permettre d'impliquer Hermione. Il sait que Zabini va le chercher partout. Il va tenter d'identifier ses appuis, ses relations, et sous aucun prétexte il ne doit trouver un indice le conduisant à la porte d'Hermione Granger.

Alors Drago a prévenu ses protégés. Il a fermé Chez Constantine, sa seule adresse connue. Et il s'est réfugié chez Potter : sans doute le dernier endroit sur Terre où Zabini songera à venir le chercher. A présent, il est temps d'agir.

Les mains croisées sur le petit bureau de la chambre d'ami, Drago fixe le mur et réfléchit. Potter lui importe peu : il remarque à peine sa présence. Aucune pensée parasite ne peut pénétrer son esprit, en vérité. Drago réfléchit.

Pour un peu, il se sentirait presque de retour à Azkaban, lorsque des règles aussi rigides que des barreaux régissaient son existence, et qu'il faisait ce qu'il pouvait pour les contourner sans périr asphyxié. Lorsqu'il devait déployer des trésors d'imagination pour jeter à bas ses ennemis... Que peut-il faire aujourd'hui ?

Quelques heures plus tôt, dans la boutique de Constantine, Drago a pris une décision. Il n'est même pas sûr d'avoir conscience de l'avoir prise. C'est plutôt comme une résolution qui s'est cristallisée en lui. Une colère froide, sourde, absolue, comme celle qu'il éprouvait à l'égard de Monroe, des années plus tôt. C'est si étrange de replonger dans cet état d'esprit... Il n'est plus le petit garçon effrayé d'autrefois.

Cependant, comme le petit garçon effrayé d'autrefois, Drago se sent balloté par les flots. Depuis sa libération, il a la sensation que d'autres ont cherché à s'emparer de son destin et à lui imposer ses choix. Potter, en premier lieu. Mais aussi Hermione, à sa façon. Harpocrate. Et maintenant Zabini. Zabini qui depuis le début cherche à l'entraîner dans une guerre ridicule et fratricide.

Drago voudrait sourire en songeant que si Blaise l'avait laissé tranquille, rien de ce qu'il prépare en ce moment ne serait advenu. Mais il est trop tard à présent. Blaise l'a cherché une fois de trop. Il a réveillé en lui cette fureur glaciale qui, lorsqu'elle est mise en marche, ne renonce jamais.

Blaise souhaite la guerre ? Eh bien, il l'aura. Et après, Drago sera tranquille, enfin. Il n'y aura plus personne pour lui dicter ses décisions. Plus personne pour l'attirer vers un chemin ou un autre. Rien ne répugne davantage Drago que l'idée de revendiquer le prétendu héritage de son nom, de son rang, de son sang. Mais il a compris que Blaise ne lui laissera jamais le choix. Il ne le laissera jamais tranquille, tant qu'il respirera, et qu'il représentera une menace pour lui. Alors, pour la dernière fois, Drago accepte de marcher dans son jeu. Il accepte de se laisser entrainer. Et Blaise n'a aucune idée de ce qui peut bien l'attendre.

XXX

Errant tel un fantôme dans son propre appartement, Harry s'arrange pour faire le moins de bruit possible. Il se sent comme un intrus dans son propre espace. Il a la sensation, sans même le voir ni se trouver dans la même pièce que lui, que Malefoy lui fait honneur en lui concédant sa présence, et que chaque inspiration d'Harry pourrait être comme un obstacle à sa tranquillité d'esprit. Aussi Harry se fait-il tout petit. Mais il ne peut étouffer sa fascination, bien sûr. Et, quelque part, l'angoisse qui grandit en lui.

Malefoy a changé durant cet après-midi au fond de la cave chez Constantine. Harry l'a vu entrer à l'intérieur, mais c'est quelque chose d'autre qui en est ressorti. Ce Drago-là est transfiguré. Il a le regard d'une personne qui a passé tant de temps derrière des barreaux qu'un peu de leur acier a fini par pénétrer dans son sang. Et ce regard est terrifiant.

Malefoy prépare quelque chose, Harry le sent. Quelque chose qui a à voir avec Blaise Zabini. Ce n'est pas pour rien s'il a dispersé ses jeunes acolytes et s'il refuse de retourner chez Hermione. Pour être honnête, Harry a été abasourdi lorsque Malefoy a accepté d'être à nouveau hébergé chez lui. Il s'attendait déjà à un refus sec et net. Mais non. Malefoy a accepté, et depuis, il fixe ce mur dans sa chambre d'ami, comme s'il pouvait y déceler toutes les réponses à ses interrogations.

Dans les jours qui suivent, rien ne change. Malefoy parle peu, et Harry n'ose absolument pas lui adresser la parole. Tout juste lui apporte-t-il ses repas dans sa chambre, qu'il quitte rarement. Est-ce pour ne pas le voir ? Harry refuse ces pensées. Ça ne devrait pas être sa priorité. Après ce qu'il a partagé avec Malefoy, chez Harpocrate puis dans la boutique, Harry doit apprendre à se faire oublier, lui et ses sentiments dont personne ne veut. Mais il ne peut s'empêcher de s'inquiéter.

Une part de lui songe à Hermione. A-t-elle une idée d'où peut se trouver Malefoy à présent ? Est-elle inquiète pour lui, elle aussi ? Probablement. Est-elle en colère ? Est-elle blessée, encore une fois ? Harry n'en sait rien. Il espère que non. La dernière chose qu'il souhaite, c'est d'être un nouveau motif de douleur pour Hermione. Mais dès son arrivée à l'appartement, Malefoy lui a interdit de la prévenir, aussi Harry se garde-t-il bien de lui désobéir.

Harry soupire. Il se doute que Malefoy et Hermione ont dû devenir amants, dans l'intimité qu'ils ont partagée ensemble. Pourtant, cela ne suscite plus sa jalousie comme autrefois. Rien qu'un grand vide. Malefoy a entrevu une lueur de bonheur et Harry la lui a prise. Malefoy n'en a peut-être pas encore conscience, il n'a pas suffisamment de recul pour ça. Mais Harry lui le sent. Et il culpabilise de ce bonheur qu'il a également volé à Hermione. Ce sont des êtres qui ont tellement souffert... Ils mériteraient d'être heureux et que le monde les laisse en paix.

Seulement voilà. Le monde a un sens de l'humour tenace. Et à présent, par sa faute ou non, Harry a la sensation qu'il pousse Malefoy sur une voie sans retour. Une voie qu'il ose à peine entrevoir. Une voie où l'attend dans les ombres Blaise Zabini, et dont seul l'un d'entre eux pourra revenir...

Une semaine finit par s'écouler, lorsque Malefoy vient le trouver un matin, juste avant l'aube.

- Potter, j'ai besoin que tu me rendes un service, dit-il.

Et Harry sait que le sort en est jeté. Car quel que soit ce que Malefoy lui demandera, il le fera.

XXX

Maitrisant sa nervosité, Harry se tient dans le salon de Luna Lovegood. Il n'a pas vu Luna depuis des années. Tout juste sait-il que son ancienne amie a épousé Neville, et que pendant que son époux enseigne à Poudlard, Luna se consacre entièrement au magazine Le Chicaneur qu'elle a hérité de son père.

- Ça fait longtemps que l'on ne s'est pas vus, Harry, sourit Luna de son air tranquille en l'invitant à s'asseoir. Je pensais que tu m'avais oubliée.

Sa franchise déstabilise Harry, comme elle l'a toujours fait. Mais plus encore, c'est le regard de Luna qui le perturbe. Ce regard qui a toujours su voir droit dans le cœur des gens, sans jugement, mais sans rien épargner non plus. Cette faculté qu'elle a toujours eue de dénicher les vérités les plus absolues et de les énoncer au grand-jour...

Que voit Luna aujourd'hui ? Harry n'ose pas y songer. Il a la sensation que ce que Luna pourrait dire sur lui serait comme une sentence, un verdict absolument exact sur ce qu'il est devenu. Et il n'a pas envie de l'entendre...

- Tu n'as pas l'air d'aller très bien, se contente de dire Luna de ce ton distrait, rêveur, idéal en réalité pour se confier.

Mais Harry résiste :

- Je suis désolé de ne pas avoir pris de tes nouvelles, Luna... Les choses ont été plutôt tendues pour moi ces derniers temps.

Elle le dévisage, ce seul silence jetant davantage de malaise que toutes les questions qu'elle aurait pu lui poser. Harry avale sa salive :

- Tu en as peut-être entendu parler, mais Blaise Zabini nous cause pas mal de problèmes, en ce moment...

- Je suis au courant, répond Luna.

Puis elle se tourne vers la fenêtre, comme si elle s'adressait à elle-même :

- Je regrette beaucoup ce qui lui arrive, dit-elle. Je crois qu'il a toujours été très, très malheureux.

Harry fronce les sourcils, mécontent du tour que prend la conversation :

- Qu'est-ce que tu veux dire ?

- Eh bien, réfléchis, sourit Luna. Il a toujours été dans l'ombre de camarades plus influents que lui. A sa place, je crois que j'aurais eu beaucoup de mal à avoir confiance en moi...

Harry secoue la tête. Il n'est en aucun cas en position de se mettre en empathie avec Blaise Zabini :

- Luna, c'est précisément de cela qu'il s'agit. Tu sais aussi bien que moi, même si ça n'a jamais été rendu officiel, que Blaise gagne sa vie en se livrant à des activités criminelles. Eh bien, le service des Aurors pense avoir découvert un moyen de l'empêcher de nuire pour de bon.

- Comment ? demande Luna.

Son ton très calme pourrait presque passer pour de l'ennui. Elle s'adresse à lui comme on prêterait poliment attention à un invité quelconque. Pourtant, Harry sait qu'il a toute son attention. Encore une fois, il déglutit en priant pour que Luna ne voie pas clair dans son jeu :

- Il y a plusieurs mois, Drago Malefoy a été relâché de prison dans la plus grande discrétion, déclare-t-il.

Luna hausse ses sourcils fins.

- Je voudrais que tu publies un article sur lui dans le Chicaneur, poursuit-il.

- Sur Drago Malefoy ?

- Oui.

Luna garde le silence quelques instants. Harry voit l'intelligence briller dans ses yeux. Il ne se trompe pas :

- Tu veux rendre publique la libération de Malefoy, déduit-elle, pour que les hommes de Blaise l'apprennent et remettent en cause sa légitimité.

Harry acquiesce :

- Nous aurions dû y penser plus tôt. C'est peut-être notre meilleure chance de venir à bout de Zabini, sans même nous salir les mains nous-mêmes. Lorsqu'ils apprendront que Malefoy est en vie et en liberté, les hommes de Blaise exigeront de lui qu'il lui cède sa place. Blaise refusera, et alors, ses hommes se chargeront de lui. C'est on ne peut plus simple.

Allez, Luna... Vas-y, vas-y, ne pose pas de questions... Mais Luna pose une question :

- Pourquoi le Chicaneur ? dit-elle avec cette perspicacité redoutable. Pourquoi ne pas demander à la Gazette ?

Harry serre les dents. Sa question est parfaitement logique, bien sûr. Heureusement, il a une réponse sincère à lui opposer :

- Nous pensons que le directeur de la Gazette est assujetti à Zabini, dit-il. Il n'acceptera pas de coopérer, ou s'il le fait, il préviendra Zabini d'abord.

Luna le fixe en silence pendant quelques instants. Enfin, elle cligne des yeux :

- D'accord.

- En plus, le Chicaneur a acquis une réputation de journal honnête, depuis la guerre.

- C'est vrai.

Harry se lève. A présent que sa mission est remplie, il veut partir et tout de suite. A chaque seconde qui passe, il sent le regard de Luna se poser sur lui pour le scanner.

- Tu es sûr que tout va bien, Harry ? demande-t-elle.

- Bien sûr, répond Harry en se forçant à ne pas baisser les yeux. Je te remercie, Luna. Je te remercie vraiment.

Il prend congé d'elle avant qu'elle ne trouve définitivement un motif de le retenir.

XXX

L'article parait le lendemain. L'information se répand à travers l'Angleterre comme une traînée de poudre. Pendant ce temps, Drago, lui, reste bien à l'abri dans l'appartement d'Harry. Il songe à Hermione. Il aurait aimé l'épargner de tout ceci, mais elle est sans doute contrainte de voir sa photo placardée partout en première page... Se doute-t-elle de ce qu'il prépare ? A-t-elle compris son stratagème ? Imagine-t-elle une seconde qu'il s'est associé à Potter pour parvenir à ses fins ? Autant de questions vouées à rester sans réponse.

Deux jours plus tard, le cadavre de Blaise Zabini est découvert chez lui dans sa grande propriété londonienne. Exactement comme Drago l'avait espéré. A présent, il est temps pour la toute dernière phase de son plan. Il va en finir avec le monde des sorciers, une bonne fois pour toutes.

XXX

Après le travail, Harry rentre chez lui pour découvrir Jack et tous ses acolytes debout dans son salon, rassemblés autour de Malefoy comme une secte autour de son gourou. Immédiatement, un sombre pressentiment lui fait frémir l'échine. Zabini est mort depuis moins de vingt-quatre heures.

- Que se passe-t-il ? demande Harry, sentant qu'il va regretter sa question.

Malefoy lui offre un regard franc, calme, pénétrant, comme pour lui signifier que ce qui se déroule ici est au-delà de son influence :

- Jack et ses hommes vont simplement convier nos amis à une petite fête, dit-il. Maintenant que Zabini n'est plus...

- Quels amis ?

- Les hommes de Blaise, Potter. Ne te fais pas plus stupide que tu ne l'es.

Harry fronce les sourcils :

- Mais... tu as obtenu ce que tu voulais ! proteste-t-il. Zabini s'est fait prendre à son propre jeu ! Il est mort, massacré par ses propres hommes ! Il ne peut plus s'en prendre à toi maintenant, tu es libre !

Malefoy détourne le regard. D'un geste de la main, il congédie Jack, et toute la petite bande transplane immédiatement sans protester :

- Je ne serai jamais libre, Potter, énonce alors Malefoy lorsqu'ils se retrouvent seuls.

Harry sent son cœur se serrer. Il a la sensation que Malefoy s'apprête à se confier à lui, et il regrette que ces confessions soient si sombres :

- Ne me dis pas que tu comptes reprendre la place de Zabini ! souffle-t-il.

Malefoy éclate de rire. S'approchant de lui, il le gratifie d'une tape sur l'épaule qui le surprend totalement :

- Ne te mêle pas de ce qui pourrait te blesser, Potter.

Harry ne sait ce qui prédomine le plus en lui : la stupéfaction, l'inquiétude, ou la chaleur de cette complicité étrange que Malefoy semble lui témoigner.

- Regarde-moi, reprend Malefoy, et Harry se force à plonger ses yeux dans les siens.

Malefoy se penche vers lui, si près qu'il peut sentir son souffle sur ses joues :

- Tu dois vivre avec le monstre que tu as créé, Potter, lui répète-t-il.

- Je n'ai jamais voulu ça pour toi ! proteste Harry. Malefoy, tu... Tu ne peux pas devenir le nouveau mage noir de cette ville !

Ces propos sonnent tellement absurdes, et pourtant, le pouls d'Harry ne cesse d'accélérer contre ses tempes. Pourquoi a-t-il la sensation que ce qu'il redoute est très exactement en train de se produire ? Pourquoi a-t-il la sensation d'avoir jeté Malefoy sur une pente glissante où tous deux se trouvent entraînés sans retour possible ?

Une fois de plus, Malefoy sourit sans rien lui dévoiler. A la place, Harry croit déceler une lueur de malice cruelle dans son regard, et sans prévenir, Malefoy écrase un baiser sur ses lèvres. Harry recule. Malefoy n'a fait cela que pour le déstabiliser, et il le sait. Le rictus du blond s'agrandit, et comme pour poser un point final à la farce, Malefoy conclut simplement :

- Tout ira bien, Potter.

XXX

Harry est déchiré par ses émotions contraires. Sa terreur vis-à-vis des projets de Malefoy voudrait le pousser à l'empêcher d'agir, à faire capoter son plan, quel qu'il soit, par tous les moyens possibles. Mais un simple sondage dans son cœur lui suffit pour comprendre qu'il ne pourra jamais faire cela. Car la seule façon de contrer Malefoy serait d'impliquer le Ministère et les Aurors, qui, il le sait, n'attendent que cela. Or Harry ne pourra jamais se rendre coupable d'une telle trahison. Pas envers Malefoy. Pas après tout ce qu'il a vécu. Harry ne pourra jamais le renvoyer à Azkaban.

Alors, Harry n'a d'autre choix que d'observer les rouages du plan se mettre en place sans y participer vraiment. Plus que jamais, Malefoy est devenu une créature étrangère pour lui. Il n'a pas la moindre idée de ce qui peut bien lui passer par la tête à cet instant précis, ni de quels sont ses projets. Harry se contente d'observer, spectateur impuissant, et même s'il a tenté de traquer les petits acolytes de Malefoy à travers tout Londres, il n'a rien pu obtenir d'eux. Tout juste les a-t-il entraperçus discuter avec de nombreux membres reconnus de la pègre anglaise, anciens sbires de Zabini. Mais impossible de leur faire dire à lui ce que Malefoy les a chargés de confier à tous les autres. Ces gamins sont bien trop loyaux.

Un soir, environ deux semaines après la mort de Zabini, Malefoy enfile soudainement sa cape et se prépare à transplaner. Harry le rejoint dans le vestibule, s'accroche à lui du regard à défaut d'oser le toucher :

- Laisse-moi venir avec toi, supplie-t-il. A défaut de pouvoir te dissuader d'agir, laisse-moi au moins venir avec toi... C'est ma faute si tu en es arrivé là. Il est hors de question que je te laisse te jeter tête baissée là-dedans tout seul...

Malefoy le scrute longuement. Harry se demande, en sentant le poids de ce regard gris sur lui, quelle part de Malefoy et quelle part du monstre en lui le dévisagent en ce moment. Ce monstre qu'Harry a créé par une nuit terrible dans la cave d'Harpocrate...

- Très bien, finit par décréter Malefoy.

Il tend la main pour lui agripper l'épaule :

- Peut-être qu'après ça, nous serons quittes, Potter.

Qu'a-t-il voulu dire ? Sans lui laisser le temps de poser la question, Malefoy l'entraine vers l'inconnu.

XXX

Harry reconnait immédiatement l'endroit où il se trouve. Il est dans le salon du manoir Malefoy. Cette grande salle étirée qu'il a aperçue en rêve, lorsque Voldemort y tenait conseil... Elle est entièrement vide à présent. Engloutie sous la poussière et les toiles d'araignée. Le Ministère a confisqué tous les meubles juste après le procès des Malefoy. De ce qu'il en sait, le manoir, lui, n'a jamais été mis en vente, mais il est resté considéré comme un bien d'état depuis plus de dix ans. Seulement, le Ministère n'en a jamais rien fait. Tout juste s'est-il contenté d'en condamner les portes, rebuté peut-être par le passif maudit des lieux... Harry peut comprendre pourquoi.

Il regarde Malefoy. Pourquoi l'a-t-il amené ici ? Que peut-il ressentir, à la vue de ces lieux ? C'est sans doute la première fois qu'il y retourne depuis que des Aurors et une foule en furie l'en ont tiré lorsqu'il avait dix-sept ans. Que peut-il ressentir, en retrouvant son foyer abandonné ?

Malefoy aimait-il cette maison ? Harry est même incapable de répondre à cette question. Tant de fantômes peuplent cet endroit... Il n'arrive même pas à imaginer ce que cela a dû être de grandir ici. De vivre sous le même toit que Voldemort...

Si Malefoy est perturbé par ces souvenirs, il ne le montre pas. Il intime à Harry de rester immobile et silencieux, puis il s'approche de la porte à peine entrouverte qui donne sur le hall d'entrée. Alors seulement, Harry remarque qu'ils ne sont pas seuls. Une grande agitation se fait entendre depuis la pièce attenante. Une foule s'est rassemblée ici, et visiblement, Malefoy attend son moment pour venir à sa rencontre.

Harry inspire profondément. C'était donc cela ce que Jack et ses voleurs étaient chargés de transmettre ? Rendez-vous au manoir Malefoy ? Pourquoi ? Une prise de pouvoir ?

Harry a peur. Il a peur comme lorsque lui-même avait dix-sept ans et qu'il s'enfonçait dans la Forêt Interdite à la rencontre d'une mort certaine. Mais aujourd'hui, il n'a pas peur pour lui : il a peur pour cet être qu'il aime, cet être qui existe encore quelque part sous ces apparences froides, il en est sûr, et qui court droit vers l'autodestruction.

- Malefoy ! murmure-t-il. N'y va pas ! Je t'en prie !

Mais Malefoy ne l'écoute pas.

XXX

Le silence se fait immédiatement lorsque Drago pénètre dans le grand hall. L'espace de quelques instants, il a presque le vertige à la vue du grand escalier de marbre qui conduit à l'étage, jusqu'à sa chambre... A quoi peut-elle bien ressembler aujourd'hui ? Il n'est pas sûr d'avoir envie de le savoir. Il a sans doute haï cette maison, autant qu'il l'a aimée. Il l'a crainte, plutôt. Craint ce qu'elle abritait. Et il a maudit Voldemort, son père et tous leurs semblables, pour avoir souillé son foyer de l'empreinte de la peur, et du sang... Tous ses souvenirs d'enfance sont désormais profanés. Mais cela n'a plus d'importance.

Faisant le tour de la foule lentement, Drago ignore leurs regards tandis qu'il gravit quelques marches, pour se placer légèrement en hauteur. Alors seulement, il mesure l'influence dont il est investi. Il y a au moins une centaine de personnes réunies dans ce hall. Peut-être plus. Tous le dévisagent avec dans les yeux une curiosité évidente, mais surtout de la crainte, et un profond respect. Pour peu qu'il le leur demande, ils s'inclineraient tous. Etait-ce la même chose pour Blaise ? Ou Drago a-t-il été précédé par sa réputation ? Le tout jeune Mangemort jeté en pâture à Azkaban, mais qui lui a survécu. L'adolescent qui a tué et mutilé des hommes deux fois plus forts que lui sans jamais être mis en cause. L'homme qui a renait de ses cendres sous le nom de Nazca Constantine, et qui a tenu tête à Blaise Zabini... Est-ce tout cela qu'ils voient, lorsqu'ils posent les yeux sur lui ?

Drago en frissonnerait presque de dégoût. C'est sa vie et il assume chacun des actes qu'il a commis. Mais il refuse qu'on le célèbre pour cela. Pendant quelques secondes, cependant, il choisit de jouer le jeu. C'est la fin, il le sent, et il veut savourer son triomphe. Peut-être est-ce la partie morte de son âme qui réclame son lot de cruauté depuis le creux de son être. Ou peut-être a-t-il toujours été ainsi, depuis qu'il a pris plaisir à emmurer George Monroe dans le mur Sud d'Azkaban. Quoi qu'il en soit, Drago s'éclaircit la gorge, et il s'adresse à la foule, les plus grands criminels de Londres réunis une fois de plus sous son toit :

- Bienvenue à tous, commence-t-il simplement. Je tenais d'abord à m'excuser de ne pas m'être manifesté à vous plus tôt. J'aurais dû le faire. Mais vous avez éliminé l'usurpateur pour moi, et je vous en suis infiniment reconnaissant.

Des sourires et des vivas saluent cette déclaration. Quelques personnes scandent son nom. Drago les regarde tout en dissimulant ce qu'il pense. Il est à la fois ahuri et révulsé. Ces hommes et ces femmes sont si enthousiastes à son égard... Ils l'admirent. Ils ne demandent qu'à le servir alors qu'ils ne le connaissent pas. Pourquoi ? Parce qu'il s'appelle Malefoy ? Parce qu'il est le fils de Lucius Malefoy, seul et unique héritier de sa lignée ? Parce qu'il est un Sang-Pur ? Plus que jamais, cela lui donne envie de vomir. C'est au nom d'idéaux tels que celui-ci que Voldemort l'a envoyé au massacre, puis que le monde sorcier l'a crucifié pour en faire un exemple. Tout ce qui lui est arrivé de mal dans sa vie est arrivé à cause d'hommes tels que Blaise Zabini, et tels que tous ceux qui se trouvent devant lui aujourd'hui.

Alors, Drago repère le petit Jack en périphérie de la foule, appuyé contre le mur. Il repère plusieurs de ses comparses sur les pourtours de la salle dans la même position, mais aucun au centre. En haut de l'escalier, sur la mezzanine, il en aperçoit d'autres qui se tiennent prêts.

Drago inspire à fond. Il compte sur l'effet de surprise. Il compte sur le dédain que ces gens ont toujours éprouvé pour la culture Moldue. Avec un peu de chance, ils hésiteront suffisamment longtemps pour que le piège se referme.

Drago expire à fond. Il ne lui reste plus qu'à donner le signal. Veut-il vraiment faire cela ? La question n'est que pure convention. Il ne ressent aucune hésitation dans son cœur. Il devrait pourtant, il le sait. Pourquoi n'en ressent-il pas ?

Est-ce cela que tu m'as pris, Potter ? Potter, toi qui me dévisage depuis cette porte entrebâillée, est-ce cela que tu m'as pris ? Ma capacité à hésiter ? Les tremblements qui devraient agiter ma main avant l'acte ? Ma conscience ? Ma morale ? En ai-je jamais eu une ?

Drago se retient de secouer la tête. Sa dernière pensée est pour Hermione. Désolé, Hermione. J'aurais voulu être à tes côtés. J'aurais dû être à tes côtés. Je le comprends aujourd'hui. Auprès de toi, ma renaissance aurait été possible. Mais je ne peux pas. Une fois encore, on m'a ôté ce choix. Je dois agir tel que je l'ai prévu, car il y a trop de colère en moi. Trop de rancœur. Le monde n'a cessé de m'agresser depuis que je suis né. Il est temps pour moi aussi d'envoyer un message au monde. Qu'il sache de quoi je suis capable. Dès demain matin, ce sera chose faite. Je serai devenu le monstre que tous, vous vous êtes évertués à faire de moi. Le sang que j'aurai versé, peut-être l'aurez-vous tous aussi un peu sur les mains. Je suis tiré vers l'abyme. Je dois y plonger au plus profondément si je veux espérer le détruire.

Alors, Drago fait le geste. Rien que deux doigts passés près de son visage. Aussitôt, Jack et ses acolytes exhument de derrière leurs jambes les bidons que Drago les a envoyés acheter quelques jours plus tôt. Personne ne remarque leur agitation, tant l'assistance reste concentrée sur Drago. Ils dévissent les bouchons et en déversent le contenu sur le sol. Alors seulement, des murmures se font entendre. La forte odeur d'essence qui envahit le hall les saisit tous à la gorge, mais ils en ignorent l'origine. Ils n'ont jamais eu recours à l'essence. Des cris jaillissent néanmoins lorsque les garçons sur la mezzanine arrosent le centre de l'assemblée depuis l'étage. Les voleurs jettent les bidons et se reculent dès leur tâche terminée pour transplaner. Drago a consacré de longues semaines à leur enseigner cet art, lorsqu'il s'appelait encore Nazca Constantine.

Jack et les autres transplanent également. Alors, avant que les invités décontenancés n'aient le réflexe de s'enfuir à leur tour, Drago fixe soudain la foule et y met le feu.

XXX

Harry attend le dernier instant pour transplaner. Jusqu'au bout, il a refusé d'y croire. Il a contemplé Drago Malefoy escalader ces marches comme s'il s'emparait de son destin. Le digne héritier de Tom Jedusor, et de Blaise Zabini... Mais tout cela n'était qu'une ruse. Il a eu tort d'oublier à quel point Malefoy était bon menteur.

Lorsque le feu se propage brusquement dans la salle, nombreux sont ceux qui tentent de transplaner par réflexe. La panique fait échouer leur sort, ou désartibule leurs corps en morceaux. Nombreux sont ceux qui se ruent vers les pièces latérales pour fuir la chaleur. Harry veut plonger à contre-courant. Il veut retrouver Malefoy. Où est-il ? Il n'a pas pu se laisser mourir avec tous ces gens, ce n'est pas possible... Il a forcément transplané...

Malefoy... Comment as-tu pu faire une chose pareille ? Pourquoi ? Pourquoi ?

Désemparé, à moitié étouffé par la chaleur et la fumée, noyé sous les cris, Harry s'efforce d'éteindre l'incendie, mais c'est peine perdue. D'autres ont essayé avant lui, mais la chaleur est trop forte, les corps se sont enflammés trop rapidement : la douleur a fait perdre la raison aux torches humaines, qui ne parviennent plus à se servir de leur baguette.

Au bout de plusieurs minutes de panique pure, Harry renonce lui aussi. C'est cela ou périr dans les flammes au milieu de tous les autres. Harry transplane jusque chez lui. Malefoy n'y est pas. Idem dans la boutique de Constantine, ou chez Harpocrate. Alors, en derniers recours, Harry transplane devant la maison d'Hermione. Il frappe à coups sourds à la porte, ignorant la douleur de sa peau brûlée et l'odeur de roussi que dégagent ses cheveux.

Hermione finit par ouvrir, et dès qu'elle le voit, son corps se fige :

- Que s'est-il passé ?! demande-t-elle.

- Malefoy est là ?

- Quoi ? Non !

Harry l'écarte pour qu'elle le laisse passer, mais il doit se rendre à l'évidence : Malefoy n'est pas ici. Il n'est nulle part.

Tournant en rond dans le salon comme un chien fou, Harry finit par raconter par bribes le récit des dernières semaines à Hermione. Celle-ci se décompose à mesure qu'il parle :

- Comment as-tu pu faire ça ? s'écrie-t-elle. Enlever Manz et Lensher ! Comment as-tu pu l'entrainer là-dedans ? Tu savais qu'il les tuerait si tu les lui livrais ! Et tu as osé croire que c'était une bonne idée ?

- Cela valait mieux que pas de vengeance du tout !

- Tu en es sûr ? Tu l'as ramené droit sur un chemin qu'il essayait de quitter de toutes ses forces ! Il allait mieux ! Il commençait à reconstruire sa vie, il allait s'en sortir !

- Avec toi ? crache Harry.

Hermione se tait. Harry réalise la violence et la haine dans ses propos et se tait lui aussi.

- Je suis désolé, murmure-t-il enfin, plus mortifié que jamais.

Il entend encore les cris de ces gens en train de brûler dans le grand hall du manoir Malefoy... « Nous serons peut-être quittes », a dit Malefoy. Etait-ce cela qu'il voulait dire ? Cette vision de cauchemar, est-ce la vengeance personnelle qu'il lui adresse ?

- J'ai merdé, reprend Harry, plus perdu que jamais. Lamentablement, comme d'habitude. J'ai merdé...

Hermione s'approche de lui et lui prend la main. Malgré tout ce qu'il vient de lui avouer, elle trouve encore de la compassion pour lui en elle :

- L'important pour l'instant, c'est de savoir s'il est en vie, murmure-t-elle.

- Je n'en sais rien...

- Il ne se serait pas laissé mourir. Pas de cette manière, pas avec tous ces gens...

- Peut-être qu'il pensait qu'il ne valait pas mieux qu'eux ?

Hermione le considère avec indulgence. Il comprend à son regard qu'elle estime qu'il fait un transfert de sa propre opinion sur lui-même. Il n'argumente pas.

- Drago a fait cela parce qu'il était en colère, dit Hermione.

A mesure qu'elle les énonce, les pensées et les sentiments de Drago lui apparaissent clairs comme de l'eau de roche dans son esprit :

- Il était fatigué que le monde le force à livrer des batailles dont il ne voulait pas. Fatigué d'incarner l'héritier de tout ce qu'il méprisait. Même sa vengeance, en un sens, c'est toi qui l'as forcé à l'accomplir. Alors il a éliminé Zabini. Et tous ses hommes avec lui. Pour que plus personne ne vienne lui demander de s'asseoir sur le trône des Sang-Purs. Pour que plus personne ne vienne lui demander quoi que ce soit.

- Les Aurors lui demanderont des comptes.

Hermione le dévisage, avec cette fois sur le visage un pauvre sourire triste, et des larmes dans les yeux :

- Oh, Harry..., souffle-t-elle. Je ne crois pas que Drago ait ignoré cette éventualité. S'il ne veut pas qu'ils le retrouvent, alors ils ne le retrouveront pas. A vrai dire...

Hermione serre un peu plus Harry dans ses bras. Elle est bouleversée par tout ce qu'elle vient d'apprendre, par les horreurs qu'elle imagine. Bouleversée à l'idée d'avoir perdu Drago pour toujours. Mais quelque part au fond d'elle, dans une partie inavouée de son esprit, elle le comprend. Elle comprend pourquoi il a agi ainsi. Et c'est pour cela que, en regardant l'horizon à travers la fenêtre, elle est capable d'assurer avec certitude :

- Je ne crois pas que nous le reverrons jamais.

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