Interlude : Premier Jour

18 minutes de lecture

Drago presse ses mains l'une contre l'autre. Les menottes qui lui mordent les poignets ne lui laissent guère d'autres options. De toute sa vie, jamais Drago n'aurait cru que le froid puisse se montrer aussi pénétrant. Il s'infiltre par les jointures blindées du bateau, les poursuit dans le vent qui siffle autour de la cabine, partout. Drago retient ses mains de trembler. Il s'efforce d'imputer cela à la rigueur de l'hiver, et non à la peur qui lui dévore le ventre. Il a peur, pourtant. Il serait inutile de le nier.

En face de lui, dans l'embarcation de Charon, son père laisse son regard dériver dans le vide, étranger à toute sensation. Lucius Malefoy n'a pas répondu au moindre stimulus depuis l'annonce de la sentence au tribunal, moins de vingt minutes plus tôt. Depuis, des Aurors vêtus de noir les ont jetés dans cette cage avant de les balancer à la mer, direction Azkaban.

Drago se cramponne à la banquette métallique et retient un haut-le-cœur. Il ne peut pas voir ce qu'il se passe à l'extérieur, mais la mer est déchaînée. Comme toujours aux environs d'Azkaban. Les vagues de trois mètres de haut les font plonger et pointer du nez toutes les dix secondes, dans un manège incessant. N'y tenant plus, Drago s'étale dans un coin de la cabine et vomit. Il n'a quasiment rien à vomir. Son estomac se contracte douloureusement pour le lui faire ressentir, et ce n'est pas le mal de mer qu'il devine sur sa langue : c'est le goût de la peur. Dans cinq minutes, dix maximum, ils seront arrivés. Ils seront arrivés, et lui-même ne repartira plus avant dix longues années.

Drago ferme les yeux, tente d'oublier cette vérité implacable qui lui tombe dessus, qui l'écrase, détruit son avenir et sa vie, mais il n'y parvient pas. Un nouveau remous le projette à terre dans sa propre bile, et il se rattrape à son père dans l'espoir de le faire réagir :

– Père ! articule-t-il, les lèvres sèches, submergé par l'odeur de sel et de poisson pourri qui règne à bord. Père, je vous en prie ! Il faut que vous réagissiez !

Mais Lucius Malefoy regarde à travers lui, comme s'il était transparent. Il n'a pas conscience de se trouver dans le même espace que lui. Il ne sait même pas où il est.

Eperdu, Drago fixe la porte lorsqu'on vient les tirer de leur prison maritime. Deux hommes en uniforme gris, matraque à la ceinture, bâtis comme des minotaures, les considèrent d'un air circonspect tandis que Charon arrime le bateau à l'unique ponton délabré d'Azkaban.

– Sortez de là, ordonne le premier homme.

Lucius Malefoy se lève et obéit sans protester. Il ne regarde personne. Drago songe que ce n'est pas son premier séjour à Azkaban, et quelque chose en lui se serre d'inquiétude. A l'époque où son père avait été emprisonné à Azkaban, les Mangemorts en étaient encore les maîtres. A présent, Lucius et lui seront les seuls partisans de Lord Voldemort en vie entre ces murs...

– Dépêche-toi ! crie le deuxième homme en frappant du poing contre l'embrasure métallique.

Drago sursaute violemment. Son costume imprégné de sel craque lorsqu'il se lève pour sortir à son tour sur le ponton. On l'immobilise aussitôt pour une première inspection. Drago, lui, observe l'île. C'est encore pire que tout ce qu'il avait imaginé.

Azkaban est un ilôt de pierre et de désolation perdu au beau milieu de la mer du Nord, à quelques encablures de la côte écossaise. Plantée là comme le fléau des dieux lui-même, la forteresse se dresse, noire, lisse, impénétrable, une gigantesque tour sans le moindre relief, engluée par des générations de lichens ruisselants et d'algues parasites. Aucune fenêtre pour observer les nouveaux venus sur le débarcadère, aucune porte autre que le pont-levis qu'on leur fait franchir au pas de course sous la pluie battante.

A l'intérieur, le sol, le plafond et les murs sont faits de pierre nue. Les blocs aiguisés comme des lames de rasoir semblent à peine avoir été taillés pour remplir leur fonction. Cela donne à l'ensemble l'aspect d'une caverne artificielle mal dégrossie, où la lumière pénètre péniblement par les minuscules conduits d'aération ménagés en haut des parois. Aucune chance de s'évader par-là : les passages doivent faire la largeur d'un poing. En revanche, c'est largement suffisant pour laisser pénétrer le froid et le vent de l'extérieur, qui hurle à travers le labyrinthe de corridors que Drago ne peut qu'apercevoir. Il règne une humidité ambiante qui suinte le long des murs, s'agglutine en mares stagnantes sur le sol irrégulier, développe des colonies de moisissures dont la senteur âcre irrite le nez et la gorge de Drago.

– Pose tes mains sur l'encre, ordonne un employé dissimulé derrière un bureau vitré.

Avec un temps de retard, Drago obéit. Il laisse l'homme relever ses empreintes tandis qu'on lui retire ses menottes, tout en tentant désespérément de capter l'attention de son père. Rien. Lucius Malefoy reste aussi amorphe qu'un rêveur ambulant, évoluant seul dans son monde, détaché de la réalité. Peut-être cela vaut-il mieux. Mais Drago voudrait le supplier : il ne veut pas être seul ! Père, je vous en prie, ne m'abandonnez pas livré à moi-même ici !

– Désape-toi, lui ordonne-t-on en le faisant brusquement revenir à la réalité. Tes objets personnels dans le baquet.

Drago a un temps d'hésitation qui lui coûte cher : l'Auror lui balance un poing dans les côtes qui manque de le faire tomber à genoux. La douleur est si intense qu'elle lui coupe la respiration : il n'ose plus inspirer mais déjà, elle remonte le long de ses flancs, déchire ses entrailles, torture son estomac mis à mal. Drago se cramponne au comptoir vitré jusqu'à ce qu'un coup sec lui  fasse lâcher prise : le deuxième Auror vient de lui briser trois doigts d'un coup de matraque.

Drago s'effondre. Le choc a fermé son esprit à toute autre préoccupation que la douleur. Il ne voit plus qu'un gigantesque vide blanc où il se noie et refait surface sans arrêt, par vagues, une nuée de flashes qui manquent de lui faire perdre connaissance. Il se mord les lèvres jusqu'au sang pour ne pas que ça arrive. A côté de lui, son père observe, passif. Il a déjà retiré sa veste et sa chemise de costard, et s'apprête à ôter ses chaussures.

Drago se relève en contenant une nouvelle montée de bile. Sa main droite palpite comme si elle était mue d'une volonté propre. Chaque pulsation de son cœur est une infinité d'échardes qui se répercutent dans ses doigts brisés, un essaim d'abeilles mordant, déchirant, piquant, encore et encore.

– Père..., articule Drago. Aidez-moi.

L'un des gardiens jette un coup d'œil à Lucius :

– Aide-le, ordonne-t-il en le poussant vers son fils.

Alors, tel un aveugle, Lucius aide Drago à se redresser et défait les boutons de sa chemise. Drago se laisse faire, cherchant désespérément à faire renaître son père du regard, à susciter une lueur de conscience ou de soutien, mais il n'y a rien. Rien que le vide. Lucius Malefoy s'est perdu très loin en lui-même, quelque part où tous ces événements ne peuvent plus l'atteindre, et Drago n'est plus pour lui que la rumeur persistante d'un monde qui s'obstine à le torturer.

Saisi d'un immense frisson tout à coup, Drago recule et se débrouille pour se déshabiller seul. L'Auror acquiesce d'un air satisfait :

– Si t'es sage, lance-t-il, on soignera cette main. Maintenant bouge-toi.

Avant qu'on ne les entraîne dans la pièce d'à côté, Drago a largement le temps de l'entendre murmurer :

– Saloperie de Mangemorts...

Nus comme des vers, Drago et Lucius sont guidés à travers un réseau obscur aux relents de catacombes ou de vieilles mines. L'air sent le renfermé, les embruns, la poussière, et une forme de puanteur persistante qui pourrait correspondre à des colonies de rats prospérant sur les cadavres de leurs ancêtres. En chemin, ils croisent d'autres Aurors qui les toisent avec un mépris ou une satisfaction affichés, mais aussi des prisonniers : sales et décharnés dans leurs pyjamas de toile, conduits à la file indienne vers les tâches qui leur seront assignées pour le reste de la journée.

Drago couvre son intimité de ses mains, mais il ne peut empêcher la rougeur persistante qui s'accroche à ses joues et lui fait baisser la tête, tandis que les premières remarques fusent, commentaires ou menaces inintelligibles lancés par des voix gutturales, tels les damnés aux langues arrachées des Enfers.

Drago ignore si ce petit périple est destiné à les affaiblir moralement ou non. Probablement. Les humilier en les exposant nus à la vue de tous... Le procédé semble si basique que Drago s'en forge une carapace, qui ne tiendra peut-être pas jusqu'à la prochaine épreuve. On les conduit jusqu'à une pièce carrelée où on les fait asseoir sur deux fauteuils métalliques rongés par les ans. La morsure du métal froid s'enfonce dans les cuisses de Drago. Il se hérisse, mais on le plaque sur le siège : deux hommes viennent leur lier les mains et les pieds tandis qu'un troisième exhibe un nécessaire à raser. Il dispose les instruments devant lui tels les scalpels d'une intervention chirurgicale. Drago sent la terreur revenir en force dans sa gorge, et ses pensées se mélangent pour ne plus former qu'un tout incohérent. L'homme attrape ses cheveux sans douceur et passe la lame au ras de son cuir chevelu. Très vite, une cascade de mèches blondes se met à pleuvoir. Drago sent des larmes brûler à ses pointes lacrymales. La douleur le paralyse, mais plus encore la haine qu'il sent dans le geste qu'on lui inflige : le couteau émoussé qui passe et repasse encore à la surface de son crâne, arrachant racines et fragments de peau, l'écorchant parfois jusqu'à ce que des traînées de sang s'écoulent le long de son cou...

Drago contemple sans rien dire son bourreau infliger la même chose à la chevelure soyeuse de son père : la fierté de Lucius Malefoy, qui tombe en mèches poissées de sang sur le carrelage sale.

On les relève enfin : deux silhouettes pâles et pathétiques, rasées, nues, sans autre possession en ce monde que leurs yeux pour pleurer. Drago ne peut retenir les tremblements frénétiques qui secouent ses membres comme une poupée désarticulée. Sans un mot, ils sont conduits dans une nouvelle salle où on leur fait subir une fouille plus approfondie : deux hommes inspectent l'intérieur de leur bouche, de leurs oreilles, puis leur font écarter les jambes pour un toucher rectal bref mais brutal. Lucius Malefoy ne réagit pas. Drago lui serre les dents et endure cela comme une humiliation de plus.

On les aligne enfin contre la paroi carrelée, où la moitié du personnel de la prison semble s'être rassemblée pour l'attraction de la journée. Drago ne tarde pas à comprendre pourquoi : deux hommes déroulent ce qui ressemble à un énorme tuyau d'incendie, puis ouvrent les vannes sans prévenir.

Drago et Lucius sont projetés contre le mur. La violence du jet les heurte comme autant de coups de poings labourant leurs côtes : un flot de douleur continu, glacé, intense, qui les pousse à se protéger l'un l'autre dans un coin de la pièce comme deux animaux acculés. Etourdi, le souffle coupé par le froid, Drago entend à peine les rires des Aurors qui raillent leur nom et leur projettent leur jet en plein visage, forçant l'eau à pénétrer leurs bronches sans un seul instant de répit.

Suffoquant, Drago s'effondre à genoux où l'arrosage cesse enfin. Il recrache une bonne partie de ses poumons avant de pouvoir enfin respirer librement. Sa peau à vif le brûle, et toute une collection de marbrures se forme déjà sur la peau délicate de son ventre nu. On leur jette à chacun un pyjama rayé qui s'imbibe aussitôt d'eau froide avant de les forcer à s'habiller. Enfin, ils sont conduits dans leur cellule : la même pour tous les deux, et la grille se referme sur eux sans nourriture, et sans la guérison promise.

Etendu dans le noir, Drago ne parvient pas à rassembler ses pensées. Elles éclatent tout autour de lui comme autant d'étoiles dispersées dans l'univers. La douleur le mange, l'engloutit, l'avale, efface son identité pour ne plus faire de lui qu'un réceptacle de nerfs à vif. Jamais Drago n'a souffert à ce point durant ses dix-sept années d'existence. Pas même lorsque le Seigneur des Ténèbres lui a apposé sa marque. Pas même lorsqu'il tentait de réparer l'Armoire à Disparaître, terrorisé par l'échec autant que par les conséquences de son acte, hanté jour et nuit par la perspective de devoir tuer Dumbledore... C'était une douleur morale, à l'époque.

Aujourd'hui, à la douleur morale s'ajoute une douleur physique bien réelle, obsédante, inébranlable, et elle détruit chaque seconde pour en faire une éternité. Jamais Drago n'avait réalisé à quel point la douleur est le plus terrible des maux. Elle oblitère tout. Elle détruit l'intelligence, les pensées, l'individu, elle s'impose sans la moindre échappatoire, sans aucun moyen de s'y dérober : constante, lancinante, sans pitié aucune. Drago maudit son corps qui le trahit. Il tremble de froid, ce qui atténue un peu la pulsation de ses doigts brisés. Mais le reste de ses muscles lui donne l'impression d'être passé sous un train. Il n'ose pas regarder, mais il sent la carapace de plaques bleuâtres que le jet d'eau a dû semer sur son torse. Allongé en travers de la minuscule banquette de pierre dure qui lui sert de lit, sans couverture ni oreiller, Drago s'autorise à peine à respirer tandis que chaque côte qui se soulève lui inflige le martyre. En face de lui, il entend le souffle sifflant de son père qui souffre en silence.

Drago perçoit soudain un bruit dans le couloir et se redresse. Tous ses sens en alerte, il scrute l'obscurité aussi épaisse qu'un nuage de poix.

La cellule dans laquelle on les a jetés doit mesurer trois mètres sur trois. Elle ne comporte aucun mobilier, si ce n'est les deux banquettes taillées à même la roche, une cuvette d'aisance et un lavabo. Des barreaux épais donnent directement sur le corridor où s'entassent dix autres cellules. Drago ignore de son mieux la douleur pour tenter d'habituer ses yeux aux ténèbres. Il aperçoit du mouvement : une forme, puis deux, et le bruit d'un verrou que l'on force.

Drago se redresse totalement. Recroquevillé contre le mur du fond, il fixe les nouveaux venus qui ne sont pas deux, mais quatre. Le premier qui s'avance est trapu, monté tout en muscles, la peau tannée par une collection de tatouages qui souligne son absence totale de cou sur ses épaules larges :

– Alors, c'est vrai..., articule-t-il tandis que Lucius Malefoy semble enfin prendre conscience de la situation. Les Malefoy sont à Azkaban.

L'homme porte l'uniforme rayé des détenus. Sans prévenir, il se jette sur Lucius et le saisit à la gorge :

– Alors, ça te fait quoi de ne plus sucer la queue de Tu-Sais-Qui, petite merde ? gronde-t-il avant de lui cracher au visage.

Lucius ne répond pas – il dévisage simplement l'homme avec ce qui ressemble à de l'effroi. Ce dernier raffermit sa prise et le plaque contre le mur :

– Regardez-moi cette petite fiotte... Je parie que t'as déjà pissé dans ton froc, pas vrai ? Ton maître n'est plus là pour te protéger ? Et tes petits copains non plus ? Ils sont où, tes petits copains ?

Il se penche à son oreille pour lui murmurer :

– J'ai entendu dire que le Ministère leur avait à tous offert un petit tour avec les Détraqueurs... Sauf pour toi et ton fils. Il faut croire qu'ils ne vous aimaient pas. Rassure-toi, nous on va bien s'occuper de vous...

Sans un mot, l'homme siffle entre ses dents et deux de ses acolytes viennent se jeter sur Malefoy père pour l'immobiliser. Il est évident que Lucius est leur première cible, mais le dernier complice se rue sur Drago qui se dérobe au dernier moment. Il tombe de sa couchette et entraîne l'homme dans sa chute.

Les secondes qui suivent sont une mêlée indescriptible. Drago tente de se dégager du poids de son agresseur qui n'a pas encore réalisé ce qui lui arrivait, tandis qu'à côté lui parviennent les bruits de lutte entre son père et les hommes qui se sont mis à trois contre lui. Déchiré par l'urgence, l'adrénaline en ébullition dans son ventre, Drago assène un coup de pied à l'homme qui le retient puis se jette sur le premier prisonnier. Il n'a qu'une seconde d'arrêt, lorsqu'il réalise que sa main droite est brisée. Mais il n'a pas le choix. Serrant les poings, Drago s'étale de tout son poids contre le premier prisonnier qui vient s'assommer contre la paroi de pierre. Désorientés, les deux autres acolytes se tournent vers cette riposte qu'ils n'ont pas vue venir. L'un d'eux attrape Drago tandis que l'autre lui expédie un crochet en plein dans la mâchoire, disloquant les os sous l'impact. Drago voit la nuit s'illuminer d'une myriade d'étincelles douloureuses avant qu'une clé de bras n'immobilise ses mains dans son dos. Déstabilisé, fou de terreur, Drago se met à ruer et hurle pour que quelqu'un leur vienne en aide :

– Papa ! Défends-toi ! crie-t-il tandis que le chef se relève en se massant le sommet du crâne.

Une traînée de sang dégouline de son front à l'endroit où il a heurté la paroi. Il se retourne vers Drago qui ne cesse de se débattre et immobilise sa mâchoire fragile entre ses battoirs. Lentement, il fait pression :

– T'es pas comme ton père, toi, hein ? articule-t-il d'une voix rauque.

Son haleine sent le tabac froid et la viande avariée. Il appuie encore, et la douleur devient insoutenable :

– Je croyais que tous les Malefoy étaient des petites lopettes tout juste bonnes à se terrer dans leur Manoir ? reprend-il, imperturbable. C'est pas ça que tu es, mon garçon ? Tu veux te battre ?

Drago ne réfléchit plus. S'il songe une seconde à sa peur, elle s'emparera de lui et paralysera ses mouvements. Il doit se sortir de ce piège et tout de suite, quel qu'en soit le prix, quel qu'en soit le moyen : il doit se battre s'il ne veut pas inaugurer des années de sévices corporels : il se tend et projette de toutes ses forces son crâne sur le nez du chef. Le craquement qui retentit lui rappelle la brisure de ses doigts, et pendant quelques secondes, le choc le fait s'abandonner complètement entre les mains de ses bourreaux. Décontenancés, ces derniers relâchent leur prise juste assez pour lui permettre de leur échapper : il les percute mais trébuche sur le corps du quatrième homme qu'il a étendu d'un coup de pied.

Le visage entre les mains, le chef ne pousse pas un cri. Des filets de sang s'échappent d'entre ses doigts serrés. Lorsqu'il se redresse enfin, ses yeux profondément enfoncés dans leurs orbites paraissent totalement noirs :

– Tenez-le, ordonne-t-il aux deux sbires.

Les hommes se jettent sur Drago qui leur résiste, mais le chef se tourne vers Lucius Malefoy. Ce dernier a replongé dans sa léthargie horrifiée : il contemple son fils en sang qui se brise encore plus les os sous les coups de ses adversaires, et à peine a-t-il le réflexe de lever les mains lorsque leur chef l'agrippe, le soulève et le retourne contre la paroi. L'homme sort une lame de rasoir de sa poche et la plaque contre la gorge de Lucius :

– Arrête de te débattre, mon garçon, murmure-t-il juste assez haut pour que Drago puisse l'entendre.

Tétanisé, Drago ne fait plus le moindre geste. Ebahis par sa résistance, les deux acolytes maintiennent une distance respectueuse avec lui.

– Arrête de bouger ou je tranche la gorge de ton père, répète le chef en appuyant un peu plus la lame.

Il fait signe aux deux hommes, qui reviennent empoigner Drago par chaque bras.

– Maintenant, poursuit-il, je veux que tu regardes. Très attentivement. Tout ce que je ferai à ton père, je te le ferai à toi. Et puis ce sera le tour de Miles, et de Peters. Et demain soir, on reviendra avec Lewis, puisque tu l'as assommé pour le compte. Ça te convient, comme programme ?

Drago serre les dents, mais ne dit rien. Il est coincé et il le sait. Doucement, le chef dépose la lame de rasoir sur le bord de la banquette : accessible, tentante, et il déchire la combinaison de son père.

– Non ! s'écrie Drago.

Oublieux de tout danger, il se rue à nouveau sur le chef, mais les deux sbires le retiennent et le noient sous une pluie de coups qu'il ne peut esquiver. Il entend Lucius gémir lorsque le chef s'écrase contre lui. Enragé, Drago mord et crache et griffe ; il franchit le barrage de ses ennemis pour se faire cueillir par le colosse qui vient d'abandonner son père en larmes sur le sol.

Drago ne voit plus rien : sa terreur est devenue fureur pure ; il ne sent plus la douleur au bout de ses doigts, et il se précipite dans les bras du chef pour lacérer ses côtes de ses poings. Sa chair est comme de la pierre sous ses coups : l'homme l'attrape et, d'une simple pression, l'écrase au sol :

– Tu te bats comme un chaton, crache-t-il en appelant ses sbires à la rescousse.

– Non !

Drago recule ; il se débat et rampe à terre tandis qu'on lui attrape bras et jambes pour entraver ses mouvements. Il doit lutter, lutter, lutter, peu importe la douleur et l'épuisement, peu importe leur nombre : il ne doit pas cesser de bouger...

Le chef le saisit par la taille, tire sur ses côtes douloureuses, le force à se retourner le nez sur la pierre. Drago pousse un hurlement inhumain. Il ne reconnaît plus ni son cri, ni la créature qui le pousse. Il sent avec une conscience aiguë de l'instant les mains poussiéreuses qui déchirent ses vêtements et dénudent sa peau. Il ne peut plus bouger. Malgré tous ses efforts, malgré toute sa volonté, les deux sbires immobilisent ses bras et ses jambes, et leur chef se couche sur lui de tout son poids.

Drago voudrait s'enfuir à l'autre bout de la Terre lorsqu'il le sent s'insinuer en lui, lentement, insidieusement, comme pour lui faire prendre la mesure de son impuissance. Il se mord les lèvres pour ne pas crier, retenant les larmes qui déchirent ses yeux : il ne veut pas lui donner cette satisfaction, c'est tout ce qu'il lui reste...

Le chef le pénètre vite et fort par des coups de rein saccadés, grondant comme un bœuf pour lui signifier son plaisir. Drago ne peut résister aux va-et-vient qui blessent son visage contre la pierre. Il a la gorge si nouée qu'il est certain de s'être brisé les cordes vocales. Sa conscience s'est réduite à cet instant précis, une éternité maintenant et en ce lieu, où la douleur l'ouvre en deux pour le précipiter dans des Enfers encore inconnus. La présence de l'autre à l'intérieur de lui lui est insupportable : son contact, sa peau contre la sienne, cette proximité intime qu'il ancre en lui telle une marque : Drago ferme les yeux et dissimule les larmes qui lui échappent lorsque le sperme chaud du chef se répand entre ses cuisses.

L'homme soupire, se retire :

– Quelle belle petite salope on s'est trouvée là..., murmure-t-il. J'aime quand elles se débattent. Je sens qu'on va se voir souvent, toi et moi.

Il se relève et Drago le sent agripper ses jambes pour permettre à l'un de ses disciples de prendre sa place. NON !

Profitant de l'échange entre les deux hommes, Drago se redresse si brusquement que l'acolyte qui lui fait face lui lâche les poignets : Drago lui casse la mâchoire d'un coup de coude.

Meurtri, couvert de bleus, il ne s'attarde pas sur le sang qui dégouline entre ses jambes et bondit sur le deuxième sbire. Il lui éclate la tête contre la banquette en pierre, retrouvant d'un seul coup sa voix pour évacuer toute la douleur et la rage qui le possèdent.

Le chef le fait taire d'un seul coup de poing. Drago s'effondre, écartelé de toutes parts. Il voudrait lever les mains, mais ses membres ne lui obéissent plus. L'épuisement a vidé jusqu'à la dernière parcelle d'énergie de son corps.

Doucement, le chef examine ses complices, réveille le dernier d'une claque, les relève. Tous se redressent en fixant Drago d'un œil noir. Alors seulement, le chef se penche à nouveau sur lui :

– Tu te défends bien, mon petit. Je dois te reconnaître ça. Mais tu comprendras vite qu'ici, on souffre moins quand on obéit.

Ramassant la lame de rasoir, il lui assène une tape presque amicale à l'arrière du crâne :

– Moi, c'est Monroe, déclare-t-il. Souviens-toi de moi, petite merde. On se voit demain soir.


Annotations

Vous aimez lire Natalea ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0