Virus

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Etendu sur son lit, dans sa chambre d'hôtel minuscule, Drago Malefoy écoute le chassé-croisé des voitures qui semble ne jamais cesser à Londres, pas même à trois heures du matin. Ce va-et-vient l'obsède. Il appartient à un univers auditif qu'il n'a pas connu pendant trop longtemps. Il lui rappelle qu'il n'est plus dans sa cellule, plus à Azkaban, mais bel et bien dehors, et pour la première fois, Malefoy réalise que cette atmosphère lui manque.

Enfin, « manquer » n'est pas le mot juste, mais... Azkaban a été son environnement proche durant les dix années qui viennent de s'écouler. La prison a beau s'apparenter sous bien des aspects à l'Enfer sur Terre... Drago a fini par s'y habituer. Par la connaître. Il préfère infiniment se retrouver en terrain connu, plutôt que paumé à Londres au beau milieu de la nuit, incapable de décider de ce qu'il va faire de sa vie...

Se redressant brusquement, Malefoy chasse ces pensées futiles de son esprit. Il préfère se reporter sur le paquet de cigarettes qu'il a acheté en début de journée, et le trouve déjà presque vide. Un rictus se dessine sur son visage tandis qu'il allume l'avant-dernière du bout de sa baguette. A Azkaban, les cigarettes étaient rares et de mauvaise qualité. Ici, il peut s'adonner à son vice avec un plaisir délicieux. La sensation que chaque bouffée le pourrit un peu plus, reflétant sa noirceur intérieure...

Renfilant son sweat, Malefoy décide de partir en quête d'un bureau de tabac ouvert tard le soir. L'occasion de s'offrir un petit tour sous les étoiles... Non pas qu'il aime les étoiles. En fait, leur vision l'angoisse. Depuis qu'il est sorti d'Azkaban, Drago trouve le ciel trop vaste et trop vide. Comme une nuée d'yeux immenses prêts à l'avaler...

En sortant de l'hôtel, il tombe presque immédiatement sur un type d'une vingtaine d'années, vêtu comme lui d'un sweat-shirt et d'un jean trop grand pour lui. L'homme l'aperçoit, jette un coup d'œil à droite et à gauche de la rue, l'interpelle :

– Eh, toi ! lui lance-t-il sans se soucier du voisinage endormi. Ça te dit un petit remontant ?

Malefoy lui adresse un regard vide qui semble l'encourager :

– J'ai tout ce que tu peux rêver de mieux, mon pote.

Sans attendre de réponse, il s'approche et traverse la rue :

– Cocaïne... Héroïne... Extasie.

Malefoy s'arrête devant lui et esquisse une brève grimace de dégoût. La drogue aussi était rare à Azkaban, mais elle était bien là. Surtout la drogue moldue, plus facile à introduire que les drogues sorcières. Pourtant, sans doute encouragé par son look de zombie, l'homme exhibe tout à coup un sachet rempli d'une poudre bleutée qui n'a rien de moldu :

– Ça, mon pote, ça t'envoie directement au septième ciel, proclame le dealer en lui agitant le sachet sous le nez.

Malefoy ricane :

– Tu me refiles de la came sorcière sans même savoir si je suis moldu ou pas ?

L'homme recule, surpris. Malefoy le dévisage. Ce n'est qu'un gamin. A peine plus âgé que lui à son arrivée à Azkaban.

– Tu sais de quoi je parle alors, dit-il en ressortant la drogue.

Drago hésite. De la drogue, il en a déjà pris plusieurs fois à Azkaban, et pas qu'un peu. Toutes sortes de drogues. Juste pour s'évader, pour calmer un peu la douleur, éprouver un soupçon de plaisir en ce monde... mais jamais suffisamment pour finir accro. A présent, la liberté lui tend les bras, et il sait à quel point il serait facile de dévaler la pente. A quel point sa situation précaire pourrait se transformer en une toute nouvelle forme d'enfer sur Terre...

Mais il a peur. Et il a mal. Les vieilles blessures de son corps se réveillent et lui font prendre conscience de tout ce qu'il a souffert. Qu'espère-t-il accomplir au juste maintenant qu'il est libre ? Que peut-il construire, que peut-il devenir ? Il n'est pas quelqu'un de bien. Prétendre le contraire reviendrait à se mentir. Azkaban l'a vidé, dépouillé de tout ce qu'il pouvait y avoir de bon et de potentiel en lui, pour le remplacer par du poison, quelque chose de noir et visqueux qui bat et qui vit en lui, qui parle à travers lui, qui anime ses muscles et son corps, mais qui n'est plus lui. Drago se débat avec sa conscience. Il a toujours été un survivant. Bien plus que Potter, quand on y réfléchit. C'est pour ça qu'il s'en est sorti. S'apitoyer sur son sort n'est plus dans sa nature depuis longtemps. Et pourtant, aujourd'hui... Le décalage entre le monde réel et ce que lui-même est devenu le ronge. Entre ce qu'on attend de lui, et ce qu'Azkaban a laissé de sa carcasse... Il voudrait simplement fuir. Fuir toute cette merde et partir dans un endroit où on ne lui demanderait plus rien. Mais c'est illusoire. Drago ne croit plus aux contes de fées non plus depuis longtemps. Le monde ne s'arrêtera pas de tourner simplement parce qu'il le souhaite : il poursuit quoi qu'il arrive, quitte à vous écraser au passage si vous ne suivez pas...

Drago tire une nouvelle bouffée de sa cigarette et expire à fond. Il pense à Granger. Granger qui lui a promis qu'elle l'aiderait et qu'une nouvelle vie était possible... Drago n'y croit pas vraiment, mais... une part de lui a envie d'y croire. La toute petite part de lui qui espère encore ne pas tout faire foirer, pouvoir échapper à ce qu'Azkaban lui a fait...

Drago hausse les épaules et jette son mégot par terre :

– J'ai pas l'argent, dit-il au gosse, ce qui n'est pas tout à fait faux.

Le gamin acquiesce :

– Pas de problème. Je suis dans le coin si t'as besoin.

Drago tourne au coin de la rue et s'en va. Il trouve un bureau de tabac quelques pâtés de maison plus loin, et découvre qu'il ne lui reste qu'une liasse de billets de dix. En rentrant vers cinq heures du matin, la concierge de l'hôtel l'arrête brusquement :

– Il faudrait songer à payer les deux dernières nuits, l'avertit-elle.

Drago hoche la tête et se dépêche de refermer la porte derrière lui, déchirant l'emballage du paquet de ses doigts tremblants. Même une nouvelle bouffée ne suffit pas à le calmer. La tête entre les mains, il pense à Granger et inspire à fond. Tout ira bien, tout ira bien...

Comment peut-il se sentir aussi piégé ?

Le lendemain, c'est lundi. Malefoy a rendez-vous avec Potter. On dirait le titre d'une mauvaise coupure presse.

Transplanant directement histoire de ne pas laisser place à l'anticipation, Drago se laisse conduire jusqu'au département des Aurors, où chaque regard qui s'attarde sur lui laisse transparaître un mélange de dégoût, de crainte et de satisfaction malsaine. Qu'ils aillent tous se faire foutre. Il les boufferait tous dans le seconde si on le laissait faire.

Malefoy réprime cet élan de violence en lui et se prépare à revoir Potter. Il appréhende cette rencontre ; il le sait et cela ne fait qu'accentuer sa colère. C'est sa façon de se défendre. Attaquer pour mieux supporter. Mais le souvenir de tout ce qu'il a vécu ces dix dernières années se condense soudain pour lui faire prendre conscience d'à quel point ses craintes sont ridicules, et Drago franchit la porte qu'une secrétaire ouvre devant lui.

Potter est déjà là. Assis derrière son bureau, le nez dans des paperasses qu'il ne lit vraisemblablement pas. Lui aussi serait-il anxieux ? Il aurait raison de l'être, l'enfoiré.

Faisant quelques pas dans la pièce, Drago regarde autour de lui, silencieux. Le bureau est différent de celui de Granger. Plus grand, mais dans un état de chaos ordonné, précaire, sur le point de s'effondrer. Des dizaines de classeurs s'accumulent partout à même le sol, leurs anneaux cliquetant tous seuls à mesure que des feuillets éparses viennent réintégrer leur place à travers tout ce foutoir. Les murs sont recouverts d'une immense bibliothèque abritant d'obscurs traités de magie noire. Malefoy laisse échapper un rictus. Si Potter n'avait pas été un Auror, il serait passé pour un type louche. Malefoy ne l'aurait jamais imaginé entouré de tous ces grimoires.

Le héros du monde sorcier se lève lorsqu'il entre et fait stupidement de la place sur l'une des chaises en face de lui. Son regard court sur lui puis dérape aussitôt, revient, s'enfuit.

Je te perturbe tant que ça Potter ? Ça te gêne à ce point de me revoir ? De voir ce que je suis devenu ?

Une fois encore, Drago s'autorise un sourire et allume une cigarette sans demander sa permission. Potter ne fait aucun commentaire. Il détaille le moindre de ses gestes comme on détaillerait un loup à l'affût. De quoi as-tu peur, Potter ? Que je te saute dessus ?

Drago s'assoit, prenant un malin plaisir à voir le survivant reculer dans son propre fauteuil lorsqu'il s'approche. Le bureau qui les sépare est lui aussi envahi par un capharnaüm sans nom. L'écriture de Potter se retrouve partout : sur des rapports, des post-it, des fragments de mémos... Drago aperçoit son dossier ouvert sur sa photo de prisonnier, mais Potter le referme aussitôt. Malefoy analyse ce qu'il voit. Pas de photo de la rouquine, Ginny Weazmoche. Pas d'objets personnels. Rien qu'un portrait des parents de Potter, et un cliché du trio d'or, Potter, Granger et Weazmoche, pris du temps de Poudlard. Potter est au centre, et aujourd'hui, le visage de Weasley disparaît sous une pile de post-it.

– C'est marrant, commence Drago, puisque Potter semble décidé à le dévisager bouche-bée sans rien dire. Granger avait exactement la même photo sur son bureau. Mais c'est toi qui étais caché.

Potter se tend. Mince, Malefoy ne s'attendait pas à faire mouche aussi facilement... Quel que soit son passé, Saint Potty a des choses à se reprocher...

– Hermione m'a dit que tu étais passé la voir, répond le Survivant en se décidant enfin à le regarder dans les yeux.

Malefoy le dévisage. Il n'a pas tant changé que ça, et pourtant... Il semble totalement différent. Peut-être est-ce cet éclat dans son regard ? Il est surprenant de voir à quel point notre regard peut en dire long sur notre état d'âme. Plus qu'un changement physique complet comme celui qu'a subi Drago. Alors qu'il le contemple ainsi, tendu et sur la défensive, Potter a les traits durs et fermés d'un homme assailli par les problèmes. D'un homme habitué à côtoyer le mal et à en rapporter quelques fragments avec lui, chaque jour un peu plus. Ses traits se sont endurcis pour révéler une mâchoire carrée, un visage volontaire, une façade lisse capable d'encaisser les épreuves, mais aussi un profond vide intérieur. Oui, Malefoy le voit à présent. Dans les cernes qui soulignent ses yeux, dans le pli amer de sa bouche, ses joues creusées, Potter a le visage d'un homme qui a été déçu au-delà de toute imagination. Un homme qui n'a plus goût en la vie, plus foi en personne, et qui se déteste, à un point difficilement concevable. Cette rancœur brute couve tout au fond de lui, comme le feu qui l'animait autrefois.

Malefoy plisse les yeux et sourit. Comment les choses ont-elles pu devenir ainsi ? Que t'est-il arrivé, Potter ? Pour que je te sente aussi fragile que de la porcelaine, derrière tes grands airs de gros bras... Est-ce que c'est moi qui suis responsable de tout cela ? Est-ce que tu te tortures pour ma petite personne ?

Drago chasse cette pensée et attend. Il n'a pas la prétention d'être le centre du monde. Et si le petit pote Potter a eu droit à quelques déconvenues dans sa vie, ce n'est que justice.

– Il faut qu'on parle de ton état de santé, reprend soudain Potter en luttant visiblement pour choisir ses mots.

Malefoy fronce les sourcils :

– C'est entre Granger et moi, ce genre de choses. Ce n'est pas censé être confidentiel ?

– Si, à quelques exceptions près.

Potter hésite. Malefoy voit le doute passer dans son regard, partir, revenir. Il ne sait pas comment formuler sa phrase, et inconsciemment, Drago lève ses défenses. Dix années à Azkaban lui ont appris à comprendre l'esprit humain bien mieux qu'une thèse de psychologie. Ce que Potter a à lui dire n'est pas quelque chose de plaisant, et son stupide complexe du héros le fait déjà s'en vouloir de ne pas pouvoir l'aider :

– Ecoute, je ne sais pas comment formuler cela délicatement, alors je vais être direct, dit soudain Potter. Tes tests sanguins sont revenus et ils ne sont pas bons. Tu es séropositif.

Malefoy ne réagit pas. Pendant quelques secondes, ce mot flotte entre eux, dans l'air ambiant, comme une illusion. Alors, Malefoy sent un acide familier envahir ses veines, et il éclate de rire. Un rire de dément, un rire qui le dévore et qui prend le dessus sur ses traits, sur sa vision, sur ses gestes, pour le secouer tout entier tel un pantin désarticulé. En face de lui, Potter le regarde avec horreur. Ce n'est visiblement pas la réaction qu'il escomptait.

Reprenant son calme aussi soudainement qu'il l'a perdu, Drago braque soudain son regard dans celui de Potter, pour le simple plaisir de lui faire mal :

– J'ai le sida ? demande-t-il.

Potter peine à répondre :

– Pas exactement, marmonne-t-il. Pas encore. Le sida est le dernier stade de l'infection au virus du VIH. Toi, tu es seulement contaminé. Le virus a une période de latence d'environ dix ans avant de se déclarer.

Malefoy sent de nouveaux rires se frayer un chemin jusqu'à sa gorge et les réprime. Un poids immense tombe de sa poitrine et dégouline sur ses épaules. Il perçoit soudain la pièce autour de lui avec une conscience aiguë de l'instant. Il se sent désespéré. Il se sent libre. Pas d'espoir, pas d'avenir. Rien que la certitude d'en avoir bientôt fini...

– Ça nous aiderait de savoir quand tu penses avoir été infecté, poursuit Potter, inconscient de ses  réflexions. Pour estimer à peu près à quel stade tu en es... Quand le virus est susceptible de se réveiller...

Malefoy se tend soudain vers lui tel un reptile :

– S'il y a une période de latence de dix ans Potter, il se réveillera très bientôt.

L'Elu fronce les sourcils. Malefoy voit les questions qui se bousculent dans son esprit et qu'il hésite à poser :

– Tu es sûr ? demande-t-il malgré tout. Aucun événement susceptible de t'avoir contaminé postérieurement ?

– J'en suis sûr, Potter.

Et inutile de jouer avec les mots en te donnant l'air subtil... Toi et moi savons très bien de quoi nous parlons.

– Très bien, il faudrait que tu nous donnes les noms de tes anciens partenaires, soupire alors Potter en changeant de stratégie. Pour pouvoir les prévenir. Contenir la contamination.

Malefoy détourne les yeux quelques instants. Il n'a pas envie de rire à cette question. Ne veut pas non plus y donner de réponse. Au final, il déclare simplement :

– Elles sont toutes mortes, Potter.

– Qui ?

– Pansy Parkinson a été lapidée en pleine rue. Daphnée et Astoria Greengrass ont été assassinées par leur père juste avant qu'il ne se tire une balle dans la tête. Toutes les personnes avec lesquelles j'ai couché sont mortes.

Potter le dévisage avec quelque chose qui s'apparente à de la pitié, jusqu'à ce que Drago ajoute :

– Ou incapables de contaminer qui que ce soit.

Cette dernière remarque, il n'a pu l'empêcher, par honnêteté. Cela lui donnerait presque à nouveau envie de rire. Depuis quand est-il honnête ? Potter ouvre la bouche pour en demander davantage, mais un simple regard de Malefoy l'en dissuade :

– Très bien, articule alors le héros du monde sorcier, lentement.

Sans doute repasse-t-il tout son dossier en mémoire afin d'identifier de qui il vient de parler.

– Il faudra aussi que tu repasses voir Hermione rapidement, reprend-il soudain comme s'il revenait à lui. Il y a une injection obligatoire dans ce type de cas : ça ne te guérira pas, mais ça te rendra non-contagieux. Pour le reste... Il faudra que tu voies avec elle. Il y a des traitements, Malefoy...

Dans les yeux de Potter, Drago voit soudain briller plus que de la sollicitude. Plus que de la compassion, plus que de la pitié. Potter a peur pour lui. Potter s'en veut. Potter s'ouvrirait les veines sur le champ sur le bois de son bureau, si cela pouvait lui venir en aide. Fronçant les sourcils, Drago crache un « Merci » qu'il s'entend à peine prononcer. Plus que le choc qu'il vient d'encaisser, plus que l'épée de Damoclès qui flotte désormais au-dessus de sa tête, l'attitude de Potter le perturbe et lui donne envie de lui arracher la vérité à coups de poing. Que ressens-tu, Potter ? A quoi est-ce que tu t'attendais en me recevant ici ? Pourquoi est-ce que tu t'obstines à vouloir me faire avouer qui m'a violé à Azkaban, combien de fois, et il y a combien de temps ? Tu crois que je veux m'en ouvrir à toi ? C'est toi qui m'as envoyé là-bas !

N'y tenant plus, Malefoy se lève soudain :

– Il faut que j'y aille, déclare-t-il sans lui demander son avis.

– Attends ! Je...

– Je vais passer voir Granger.

– Mais on a à peine commencé...

Malefoy se penche soudain sur le bureau, contraignant Potter à reculer :

– Qu'est-ce que tu veux savoir ? crache-t-il. Si je me suis bien conduit ? Oui. Si j'ai un travail ? Non. Si je sais où me loger ? Oui. Je peux prendre soin de moi-même, Potter. Je n'ai pas besoin de ton aide, et certainement pas de ta flicaille à la con.

Potter reste muet devant la violence qu'il ressent en lui. Parfait. Drago claque la porte et s'en va.

Resté seul dans son bureau chaotique, Harry se prend la tête entre les mains. Il doit lutter pour contenir les tremblements qui agitent son corps, mais n'y parvient pas : des larmes traîtresses se frayent un chemin jusqu'à ses points lacrymales et le secouent de sanglots silencieux. Sa poitrine lui fait mal comme si on venait de lui arracher le cœur à pleines dents. Dans le maelstrom de pensées qui l'assaillent, il parvient à peine à respirer, et l'horreur de ce qu'il vient de voir le percute encore et encore tel le marteau du malheur sur l'enclume du monde.

Malefoy est détruit. Ce qu'il a vu dans cette pièce... Ce n'était pas humain. Il perçoit encore son rire, ce rire inhumain qui s'est emparé de lui telle la folie d'un possédé, à l'annonce de sa mort inéluctable...

Potter se crispe et s'effondre un peu plus. Si Malefoy a dit la vérité, il ne lui reste plus longtemps à vivre. Infecté mais sans traitement depuis plus de dix ans... le virus ne tarderait pas à frapper, et il frapperait fort. Malefoy n'aurait pas les ressources nécessaires, tant physiques que financières, pour le combattre. Et Harry allait échouer...

Poussant un cri de rage, Harry envoie le dossier Malefoy voler à travers la pièce. La photo du prisonnier tournoie quelques instants dans la pièce d'un air stoïque. Une par une, les feuilles se remettent en place et le dossier revient se poser sagement sur le bureau. Harry n'ose plus le regarder. Il y a dix ans, il s'était fait la promesse d'attendre et de tout faire pour aider cet homme. Mais les administrateurs de la prison lui avaient interdit l'accès et l'avaient tenu à l'écart de la moindre information. Pendant dix ans, il avait redouté ce qu'il trouverait à la sortie d'Azkaban, et aujourd'hui, la réalité avait rattrapé ses pires craintes... Que peut-il faire à présent ?

Malefoy le hait, avec raison. Il n'a plus rien de l'adolescent qu'Harry a connu. Il ignore qui est l'homme qui vient de quitter son bureau...

Mais pourtant, l'espace de quelques secondes, il a entrevu une fragilité. Une faille, une porte ouverte sur Azkaban et sur ce passé nébuleux dont Malefoy refuse de parler... Harry n'a pas aimé ce qu'il a vu. Il est évident que Malefoy a été violé, et Dieu sait quelles autres horreurs encore... A la frustration de n'avoir pas pu l'aider s'ajoute désormais l'impuissance et la rage, à l'idée de ce qu'il a subi... Ce que cela lui a fait, ce qu'il a été capable de commettre ensuite... Harry n'est pas sûr de vouloir l'imaginer.

Drago traverse le Ministère de long en large sans se soucier de rendez-vous ou de passe-droit. En tant que mort en suspens, il estime pouvoir griller quelques priorités. Franchissant en trombe la porte du bureau de Granger, il n'attend pas pour déverser toute sa rage :

– Vous échangez des infos, Potter et toi ?

– Malefoy...

– Je croyais que nos conversations seraient privées. Que mon état de santé n'appartiendrait qu'à moi et à ton foutu dossier !

– Je n'avais pas le choix, Malefoy, c'est le règlement ! Je t'en prie, calme-toi !

Granger se lève à sa rencontre et tend la main vers lui tout à coup. Elle s'interrompt avant de le toucher. Sans doute vient-elle de prendre conscience de l'énormité de son geste. A fleur de peau, Malefoy attend qu'elle recule, mais elle s'approche tout à coup et pose la main sur sa joue :

– Je suis désolée, articule-t-elle doucement, comme on dompte un animal blessé. J'aurais dû te le dire moi-même, en premier. La procédure exige que l'on mette le contrôleur judiciaire au courant dans ce genre de cas. Pour prévenir la prison et éviter au plus vite la propagation.

Malefoy se hérisse, mais il n'a pas la force de répliquer. Il est difficile pour lui de réaliser à quel point il se sent hypnotisé par le simple contact de cette peau chaude contre la sienne. Ce n'est pas comme la fois où Granger l'a examiné... C'est un contact humain. Un véritable contact humain, spontané, sincère, et qui ne lui veut pas de mal.

Au bord des larmes tout à coup, rattrapé par tout ce qu'il vient de vivre, Malefoy secoue la tête et force Granger à lâcher prise :

– Je voulais partir du bon pied avec toi, murmure-t-il. J'avais envie de te croire, toi et tes putains de promesses honnêtes.

– Tu le peux toujours...

– Non. Je vais mourir et je n'ai même pas la dignité d'en garder le secret.

– Ne parle pas comme ça !

Granger s'est écriée tout à coup, et la force dans sa voix le surprend :

– Il y a des traitements ! poursuit-elle. Des médecins à consulter, des solutions à envisager...

– Et avec quel argent ?

Granger se tourne vers son bureau et attrape des coordonnées qu'elle lui tend :

– Cet homme est prêt à te prendre, dit-elle. C'est un habitué, il a déjà recueilli plusieurs de nos anciens détenus.

– « Epicerie Grumpy & Co », déchiffre Malefoy d'un air dubitatif. En quoi est-ce que ça consiste exactement, Granger ? Vendre des légumes ?

– Pas tout à fait, répond Granger en évitant son regard, visiblement gênée. Il faudra... Aider les clients à emballer leurs courses.

– Fabuleux ! Et c'est avec ça que je suis censé reprendre un nouveau départ ? Payer les doses qui maintiendront la mort à l'écart ?

– C'est un début !

Granger tente une nouvelle fois le diable et lui attrape le bras :

– Tu ne peux pas tout avoir d'un coup, Malefoy. Ce sera difficile et je ne peux pas le nier, je ne veux pas te mentir. Mais c'est un début. Avec cet argent, tu pourras te payer un loyer, à manger, et consulter un médecin... Ensuite, on avisera. Un problème à la fois.

Malefoy la dévisage, longtemps. La ferveur qu'il devine sur ses traits le dérange. Brusquement, il se rend compte que Granger est belle, et pas seulement parce qu'elle l'une des premières femmes qu'il voit en dix ans. Sa peau est douce sur son bras, et la volonté qu'elle déploie à lui venir en aide encore plus :

– Pourquoi est-ce que tu fais tout ça pour moi ? demande-t-il, perdu.

Des larmes montent aux yeux de Granger :

– Parce que j'aurais dû faire plus, murmure-t-elle. Parce que tu ne mérites pas tout ce qui t'es arrivé. Parce que... j'ai besoin que tu ailles bien.

Drago se dégage avec un soupçon de répulsion :

– Je ne suis pas un chiot ramassé sur la route, crache-t-il.

– Non. Tu es mon plus grand regret en ce monde.

Cette répartie bloque la sienne.

– Je t'en prie, laisse-moi t'aider..., supplie-t-elle.

A nouveau, Malefoy sent la colère couver en lui :

– Tu veux seulement te venir en aide à toi-même.

– Peut-être...

Il ne s'attendait pas à un tel aveu, mais déjà, Granger continue :

– Mais ce n'est pas une raison pour y laisser ta vie. Je t'en prie. Je serai là pour t'aider, je te le promets. J'ai déjà réglé le prix de l'injection pour l'anti-contagion...

– Tu as fait quoi ?

– L'injection est payante, se justifie Hermione. Obligatoire, mais payante, et aux frais du patient. Je me suis dit que tu n'aurais pas besoin de cette charge en plus sur tes épaules...

Malefoy rassemble toute sa volonté pour contenir sa colère et inspire à fond :

– Combien ça t'a coûté ? demande-t-il.

– Je...

– Combien ça t'a coûté ?

Granger déglutit :

– Cinquante gallions...

Plongeant la main dans la poche de son jean, Malefoy en exhibe presque tous ses derniers billets de dix :

– Je n'ai que de l'argent moldu, dit-il. Mais pour toi ça devrait faire l'affaire.

Une part de lui a honte de cette petite pique, mais Granger ne relève pas :

– Malefoy, je voulais juste...

– Je peux prendre soin de moi-même ! hurle-t-il. Tu comprends ? Je ne veux pas de ton fric, je ne veux pas de tes yeux larmoyants, et je ne veux surtout pas de ta pitié ! Contente-toi de faire ton putain de job, bordel de merde !

Face à lui, Granger recule. Tremblante, elle exhume une seringue de son bureau et lui fait l'injection. Drago sent le produit le brûler tandis qu'il remonte le long de son bras, s'insinue dans ce corps qui le trahit, une fois de plus.

– Ça te convient ? articule Granger, des sanglots dans la voix. J'ai fait mon « putain de job », selon ta définition ?

Drago ne répond rien. Il s'en veut et il tremble de rage, incapable de supporter le poids de nouveau remords :

– A plus tard, Granger.

– Attends, ne...

Mais il transplane sans la laisser finir sa phrase.

Le lendemain, Drago se présente à l'épicerie indiquée par Granger. C'est une petite boutique implantée dans une ruelle tranquille, à l'écart du Chemin de Traverse. Peu fréquentée, et donc, peu de chance qu'il soit reconnu. Pourtant, les ennuis se présentent avant même que le travail ne commence :

– Enlève ce sweat-shirt, lui dit son patron, un homme d'une cinquantaine d'années à l'embonpoint certain.

– Pourquoi ? demande Malefoy en mobilisant sa patience.

– Tu ne peux pas le porter avec ton uniforme.

L'uniforme en question se compose d'un pantalon noir, d'une chemise blanche à manches courtes et d'un tablier rouge. Drago se refuse à porter la chemise qui découvre sa peau à nue. Et l'homme sait très bien pourquoi :

– Je ne veux pas enlever mon sweat-shirt, articule Drago le plus calmement du monde. Je ne suis pas sûr que vos clients apprécieraient, de toute façon.

Sur son avant-bras, la Marque des Ténèbres semble le brûler, comme une créature immonde dotée d'une vie propre.

L'employeur le dévisage avec dégoût :

– Je ne veux pas causer de scandale ici, mon garçon, déclame-t-il d'un ton paternaliste que Drago exècre. Mais si t'enlèves pas ton sweat-shirt, tu ne bosses pas pour moi.

Drago prend une grande inspiration. Il ne lui faut pas longtemps pour se décider :

– Alors je ne bosserai pas pour vous, déclare-t-il.

Et au diable le gentil job de Granger.

Le soir venu, la nuit règne à nouveau sur Londres. Drago ne peut trouver le sommeil. Il a volé le portefeuille du patron en sortant de l'épicerie, tout juste de quoi payer sa chambre encore quelques jours. Ses mains tremblaient tellement qu'il a bien failli se faire prendre.

Encore à court de cigarettes, il renfile son sweat pour une virée nocturne. Le gamin de la veille attend toujours à la lisière d'un lampadaire. Le gosse le reconnaît, le salue, sans trop insister.

Drago sent tout le poids des deux jours écoulés lui tomber sur les épaules. C'est un combat perdu d'avance. Il est malade, il n'a rien et il ne vaut rien. Qu'importe un peu plus de déchéance ? Au moins, ses derniers instants seront vécus à fond.

S'approchant du gamin, refoulant la voix de sa conscience qui étrangement s'apparente de plus en plus à celle de Granger, Drago s'avance et demande simplement :

– Combien ?


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