La métamorphose
Le bois, elles pouvaient le faire les yeux fermés tant elles en connaissaient les détails. Il était d’ailleurs déjà arrivé à plusieurs reprises qu’elles s’aventurent dans cette petite forêt de nuit, sans autre éclairage que la faible lueur de lune. C’était une expérience qui leur plaisait : elles étaient obligées de faire confiance à leurs autres sens, si peu utilisés en général. Toutes les sensations étaient alors dupliquées et vécues avec bien plus d’intensité. Le son de leur voix se mêlant aux bruissements propres à l’éveil nocturne de la forêt, donnait à leur propos une autre dimension, plus vrai et plus poignante. Leurs chiens étaient eux aussi friants de cette nouvelle temporalité où leurs instincts de chasseur prenaient le dessus : chevreuils, renards, écureuils, lapins… tous semblaient les attirer vers le cœur du bois.
Cependant, après quatre années dans l’immobilité et la tranquillité la plus totale, des évènements étranges se produisaient et même les plus infimes d’entre eux semblaient modifier le lieu. Elles s’en apercevaient bien évidemment : le ruisseau s’asséchait peu à peu, les arbres les plus majestueux se déracinaient et bloquaient le passage aux marcheurs les moins téméraires, les racines se déplaçaient et les prenaient en traitre. Mais comme dans toutes situations délicates, elles préféraient fermer les yeux et continuer leurs balades en toute allégresse, dans l’innocence de leur jeune âge.
Qu’auriez-vous fait à leur place ? Comment empêcher la nature d’évoluer même si l’impact de ses modifications semblait la faire souffrir ? Il était impossible d’intervenir. Alors pour quelles raisons se lamenter ? Certes, cela les peinait de voir leur lieu de paradis se détruire peu à peu comme attaqué par une maladie auto-immune, mais les moments passés là surpassaient tout et elles savaient qu’il fallait en profiter avant que le bois ne succombe à la maladresse des hommes.
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