La sororité

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- Vous dites qu'il y avait des vampires dans le château ? (Fit la jeune femme d'une voix forte qui interrompit le conte.)

Désirée planta son regard dans celui de Cassandra, perplexe. L'intéressée le lui rendit d'un air abasourdi, n'osant rien ajouter.

- Oui, des vampires. (Dit Désirée.)

Cassandra s'humecta les lèvres. Elle ne s'était même pas rendu compte qu'elle avait interrompu l'histoire. Les mots étaient sortis, comme ça. Et désormais, elle sentait les regards des gens peser sur elle, ce qui accroissait son malaise. Elle n'avait qu'une envie, disparaître.

- Pourquoi un tel étonnement ? (S'enquit la conteuse d'une voix douce.)

Cassandra haussa les épaules.

- Pardonnez-moi, je n'avais pas l'intention de vous interrompre... Je crois connaître cette histoire et n'avoir jamais entendu parler de plusieurs vampires. La princesse n'a pas été attaquée.

Désirée afficha un large sourire et laissa échapper un rire qui était loin d'être désagréable avant d'acquiescer.

- C'est tout à fait exact, ma chère, aucun vampire n'a attaqué Sanaria.

- Mais alors, ça veut dire que tu as menti ? (S'enquit une adolescente au troisième rang.)

La conteuse se tourna vers elle.

- Non. Cela veut simplement dire que les choses sont toujours plus compliquées qu'il n'y paraît. Car voyez-vous, comme notre chère amie vient de vous le confier, il n'y avait personne dans la chambre de Sanaria, excepté la princesse elle-même. En découvrant qu'elle était seule, la princesse en vint à la conclusion que son esprit lui avait joué un tour, probablement à cause des contes qu'elle avait vaguement lus un peu avant dans la bibliothèque, causé par un évènement soudain qui avait enflammé son imagination fertile. Mais comme je vous le disais, rien n'est jamais simple...

Elle se tourna vers Cassandra, lui offrant un sourire sans animosité ni reproche.

- Me permettez-vous ?

Celle-ci opina vivement, les joues rouges.

- Bien sûr. Pardonnez-moi, je me tais.

Désirée fit claquer sa langue, amusée.

- Alors que Sanaria reprenait petit à petit ses esprits, qu'elle se remettait de ses émotions, un hurlement à glacer les sangs retentit dans le château. Et dont l'écho résonna durant de longues secondes...

"La princesse avança d'un pas dans le couloir, puis d'un autre, son chandelier tremblant entre ses doigts et projetant des ombres angoissantes sur les murs. Etait-ce une fois encore son esprit qui lui jouait des tours ? Ou ce cri était-il réel ? Et pourquoi n'y avait-il aucun garde, pas âme qui vive dans ce château ? Elle n'arrivait plus à réfléchir, à mettre de l'ordre dans ses idées. Une part d'elle lui intimait de retourner dans sa chambre, de s'y cloîtrer en attendant... Dieu sait quoi. Au moins qu'il fasse jour. Mais une autre partie d'elle l'incitait à avancer, à trouver l'origine de ce cri, étrangement familier.

Tu connais ces couloirs mieux que les gardes eux-mêmes. Même si les choses venaient à se gâter,  personne ne pourra te retrouver... Avance...

Elle ne voulait pas n'être qu'une peureuse, toujours dissimulée dans l'ombre, derrière des gardes ou des protecteurs. Ses pensées se tournèrent vers Désirée. La jeune femme serait passée devant pour tenter de découvrir ce qui se passait. Elle prit une inspiration et poursuivit. Les couloirs étaient sombres, oppressants, bien plus que d'ordinaire. Sanaria essaya d'ignorer la chose, peu désireuse d'en savoir la raison, de peur de découvrir quelque horrible chose qui puisse nourrir ses angoisses déjà suffisamment grandes. Après ce qui lui sembla des heures à déambuler à travers le château, et alors qu'elle pensait à abandonner sa quête, un nouveau hurlement retentit, plus proche que le précédent. Quelques secondes lui furent nécessaires pour reprendre sa route. La petite voix dans son crâne lui hurlait de ne pas continuer, de se cacher tant qu'il était encore temps. Mais elle ne l'écouta pas. La voix qui hurlait lui était familière et elle sentait qu'elle devait continuer, qu'elle devait découvrir ce qui se passait.

- Il y a quelqu'un ? (Dit-elle en haussant le ton.)

Sa voix tremblait. Elle essaya une seconde, puis une troisième fois. Aucune réponse. Sa route s'arrêta net devant une porte fermée. Il lui fallut un moment avant de reconnaître les battants de la salle du trône. Un nouveau hurlement se fit entendre, juste de l'autre côté. Elle frémit, prise d'une panique soudaine et les ouvrit à la volée.

- Père ! (Cria-t-elle.)

La pièce était plongée dans des ténèbres insondables qui ne laissaient rien entrevoir. Même les flammes de son chandelier semblaient comme étouffées, n'émettant plus qu'une vague lueur qui lui permettait à peine de voir le sol à ses pieds. Pourtant, elle voyait très bien ses mains, ou le reste de son corps.

- Père ! (Reprit-elle de plus belle.)

Il n'y avait que le silence. A un détail près. Un clapotis, lent, mais régulier, sur les dalles de marbre.

Plic. Plic. Plic. Plic.

Le bruit accéléra soudain, puis changea.

Ploc. Ploc. Ploc. Ploc.

Quelque chose luisait face à elle, sur le sol. Sanaria plissa les yeux avant de mettre une main devant la bouche en reconnaissant une flaque de sang, qui grandissait à mesure que les gouttes tombaient. Elle releva la tête pour en voir l'origine. La créature semblait flotter dans les airs, agile, gracieuse et ténébreuse. Ses yeux écarlates étaient plongés dans ceux de la princesse. Ses lèvres étaient tordues sur un rictus mauvais et du sang s'écoulait de sa bouche jusqu'à son menton avant de goutter paresseusement. Cette chose était une femme, à n'en point douter. Quelque chose, dans son regard ou sa posture, lui paraissait étrangement familier. Pourtant, en cet instant précis, Sanaria était incapable de ne serait-ce que s'en souvenir. Elle était comme hypnotisée et s'avança de quelque pas, sans s'en rendre compte. Une sorte de mélodie, douce et entêtante, résonnait dans son crâne. Cela l'apaisait, la rassurait. Ses pieds heurtèrent quelque chose et elle s'écroula, tête la première. Elle s'affala sur un objet mou, son visage rencontra le sol dans une caresse liquide qui lui donna la nausée. Elle pataugeait dans le sang. A tâtons, elle recula, ses mains s'arrêtant sur la chose flasque sur laquelle elle venait de trébucher. Il s'agissait d'un corps. D'un cadavre pour être plus précis. La jeune femme poussa un cri et recula précipitamment. La mélodie dans sa tête s'était estompée. Ses yeux ne quittaient pas le corps, ou plutôt, le dernier endroit où elle l'avait aperçu, avant que les ténèbres ne l'engloutissent. Elle était sous le choc, tremblant des pieds à la tête, les yeux écarquillés d'horreur. C'était un cauchemar... Elle se força à bouger alors que ses jambes, repliées sous elle, devenaient douloureusement insensibles, et avança à quatre pattes en quête du corps. Elle le retrouva sans peine, à deux mètres devant elle, là où elle l'avait laissé. Après une inspiration, elle le tourna pour voir son visage. Ses yeux remarquèrent immédiatement la barbe, imbibée de sang, que l'homme avait affichée de son vivant. Ils remarquèrent aussi les deux trous dans son cou, rougis. Et enfin, elle vit son visage. La peau était grise et craquelée. Les joues, autrefois pleines, étaient désormais totalement creusées, de même que les lèvres, rentrées dans une bouche aux gencives desséchées et nues. Les yeux de la victime étaient révulsés, d'un noir d'ébène... Des larmes roulèrent sur les joues de Sanaria, qui secouait la tête sans quitter le corps des yeux.

- Non... Non, non non non non... (Souffla-t-elle avant de hurler.) Nooooooon !

Elle agrippa le corps avec désespoir, le visage déformé par une détresse, un chagrin qui l'emportaient tels une vague. Son père gisait devant elle, sa vie volée par une créature de cauchemar, la bouche à jamais ouverte sur un cri muet. Elle resta prostrée de longues minutes, le corps secoué de sanglots incontrôlables. Elle en avait oublié sa peur, tout comme les ténèbres environnantes ou encore le clapotis du sang et la créature qui se dressait au dessus d'elle. Plus rien n'avait d'importance en cet instant. Elle effleura du bout de ses doigts tremblants les restes du visage de son père, un gémissement de douleur sur les lèvres. Les larmes commencèrent peu à peu à se tarir, le chagrin, à devenir presque supportable. Un sifflement rauque s'échappa de sa gorge.

Elle sursauta quand une main se posa sur son épaule, la rappelant au reste du monde.

- C'est une perte tragique, très chère.

Sanaria releva la tête et se contorsionna pour voir la femme qui venait d'arriver. Elle reconnut immédiatement la bibliothécaire qu'elle avait croisé plus tôt dans la soirée. Celle-ci s'exprimait d'une voix douce, mélodieuse.

La princesse ouvrit la bouche et bafouilla quelques mots incompréhensibles.

- Vampire... (Finit-elle par dire.)

- Je sais. (Déclara la femme.) Mais la créature est partie.

Sanaria mit quelques secondes à réaliser ce que son interlocutrice venait de lui dire. Ses yeux balayèrent la pièce du sol au plafond. Elle avait raison. Nulle trace de la créature. Des gardes étaient étendus tout autour d'elle, inconscients ou morts, elle n'aurait su le dire. Et les ténèbres avaient disparu.

- Pourquoi... (Souffla-t-elle, le désespoir perçant dans sa voix.) Pourquoi...

- Les vampires sont des créatures monstrueuses. Parfois, elles attaquent sans raison. (Elle marqua une pause.) Mais c'est là un acte de colère... De haine.

- Comment le savez-vous ? (S'enquit la princesse d'une voix éteinte, les yeux de nouveau rivés sur le corps sans vie de son père.)

- Je m'intéresse tout particulièrement aux vampires. (Elle se tut un instant, avant d'attraper la jeune femme par les épaules.) Mais plus encore aux fées.

Sanaria frissonna et se défit de l'emprise de son interlocutrice d'un coup d'épaule.

- Que me voulez-vous ? (Demanda-t-elle d'un ton las.)

La femme fit claquer sa langue, amusée.

- Te révéler à toi-même, très chère.

Elle commença à lui tourner autour et Sanaria sentit un frisson s'emparer d'elle. L'air semblait... Plus froid. Une brise souffla dans la pièce. Les lumières vacillèrent un instant. Quand elles s'arrêtèrent, deux femmes de plus se trouvaient avec elles.

- Je ne comprend pas de quoi vous parlez... (Souffla la princesse.)

Elle se redressa, mal à l'aise. Les yeux du trio luisaient d'un éclat bleuté inquiétant.

- Nous avons un but. Combattre les vampires, où qu'ils soient, les empêcher de nuire.

- C'est un échec ! (Répondit Sanaria d'une voix sèche.) Mon père... Vous avez échoué !

La colère perçait dans sa voix, dans sa posture. Ce qui semblait ravir la cheftaine du groupe, dont les cheveux bleus dansaient derrière elle à chacun de ses mouvements.

- Oui... Nous sommes peu nombreuses.( Acquiesça la bibliothécaire.) Mais cela va changer. Vois-tu, Sanaria, cela fait un moment que nous nous intéressons à toi.

- A moi ?

- Oui. Notre sororité aurait grand besoin de nouveaux membres. Comme toi.

- Je ne suis pas intéressée...

- Ne sois pas si prompte à refuser notre offre. Cela pourrait t'accorder ce que tu espères le plus en cet instant. La vengeance.

Sanaria déglutit. Elle se massa le front, prise d'un début de migraine qui l'empêchait de réfléchir.

- La vengeance... contre cette... chose ?

- Oui.

- Vous êtes dingues.

- Nous sommes des fées. Comme toi. Et l'heure est venue pour toi de libérer ton potentiel latent.

La chef s'avança, aussi vive qu'un éclair, et lui attrapa le poignet.

- Afin de te révéler à toi-même, princesse. (Déclara-t-elle.)

- Lâchez-moi.

- Sinon quoi ?

- Lâchez-moi !

La femme aux cheveux bleus tira sur le poignet de Sanaria, lui offrant un sourire sardonique.

- J'ai dit... Lâchez-moi !

Le cri de Sanaria fit reculer la fée d'un pas. Une légère aura bleutée traçait des filins dans les airs, entre la princesse et les corps au sol. Elle se figea, abasourdie et paniquée.

- Qu'est-ce que...

- Il ne reste plus qu'à sceller le pacte... (Murmura la bleutée à son oreille.)

Sanaria cligna des yeux. La chef s'était déplacée dans son dos, sans qu'elle ne la voie...

- Sceller... le pacte ?

- Chacune de nous est unique... Chez toi, une brusque colère, sourde, créé dans des conditions particulières... (Elle laissa sa phrase en suspend.)

Sanaria tremblait. Elle sentait sa colère qui bouillonnait au fond d'elle, qui ne demandait qu'à être libérée. Et elle angoissait à cause de ça. Une voix murmurait à son oreille. Si au départ, elle avait cru qu'il s'agissait de celle de la fée, elle comprenait désormais qu'il y avait autre chose, de plus profond.

- Libère-là ! (Murmura la bleue d'une voix impérieuse.)

La phrase fut comme un déclic pour Sanaria. Elle écarquilla les yeux, ouvrit grand la bouche cependant que son cri se déployait. Elle bascula la tête en arrière alors qu'il gagnait en puissance, forçant les membres de la sororité à se boucher les oreilles. Les vitres de la pièce se brisèrent. Les corps des soldats se soulevèrent du sol, emportés par une aura bleutée, par un lien qui les reliait à Sanaria. Elle s'empara de leur énergie, les faisant vieillir à vue d'oeil jusqu'à ne laisser d'eux que des êtres frêles qui tombèrent au sol avec un bruit mat.

La princesse resta dans les airs encore quelques secondes, le corps luisant, avant de tomber à genoux, haletante. Elle porta une main à son visage. Des filaments d'énergies dansèrent sous sa peau avant de se fondre avec. Une puissance nouvelle parcourait son corps. Elle prit une inspiration. Jamais elle ne s'était sentie aussi bien, aussi vivante. Ses yeux aux reflets bleus balayèrent la pièce, s'arrêtant sur les corps décharnés.

- Sont-ils... ?

- Non. Non. Ils ont simplement perdu des années de vies. Mais tu en auras bien plus l'utilité qu'eux. (Fit la chef d'une voix cassante, sans émotion.)

La princesse se pinça les lèvres. Elle aurait dû se sentir bouleversée... Mais il n'en était rien. Et cela ne l'émouvait pas, pour une raison qu'elle ne parvenait pas à cerner.

Elle sentait une présence au fond d'elle, une entité. Celle avec qui elle était liée, qui lui offrait son pouvoir en échange d'un pacte dont elle ignorait tout. Toute sa peine, sa douleur, semblaient avoir disparu, au profit de quelque chose d'autre qu'elle ne parvenait pas encore à déterminer.

- Comment te sens-tu ?

- Merveilleusement bien.

Les mots étaient comme sortis tout seul, mais ils n'en étaient pas moins vrais.

- Et ce n'est qu'un début. Un nouveau monde s'ouvre à toi. Sanaria, voici Maeva et Lyna. Quant à moi, je suis Syrielle.

- Je suis heureuse de faire partie des vôtres.

Syrielle leva un doigt, amusée.

- Oh, pas encore. Pas tout à fait. Il y a un... rituel, si je puis dire.

- Un rituel ?

- Absolument.

La bleue fit claquer sa langue, amusée.

- J'ai tant de questions.

- Nous y viendrons.

Elle claqua des doigts et les deux autres quittèrent la pièce.

- Suis-moi. Nous avons un présent. Pour ton initiation.

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