22 - Mémoire

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Quand je regarde au loin, à l’intérieur de cette immense salle, c’est le reflet des lampes au plafond, se reflétant dans la vitre d’un cadre. Il a l’air vide, avec son fond beige comme seule compagnie. Et pourtant, si mes yeux s’y arrêtent assez longtemps, ils y aperçoivent le reflet d’un de leur semblable, perdu, au milieu d’un décor qui semble n’avoir jamais existé. Et qui pourtant doit juste avoir disparu. Je ne me rappelle pas avoir déjà vu ce tableau. Pourtant ce n’est pas la première fois que je m’assieds aux tables de cette pièce. Peut-être l’angle n’était pas identique et mon champ de vision ne s’est pas élargi à cette couleur si tristement neutre, Peut-être que mon cerveau n’a pas jugé bon de garder cette information. Sûrement. Mes souvenirs se sont estompés, aussi bien que les traits de ce visage, dont l’expression, figée dans le temps n’est même plus perceptible. Mangée par un soleil destructeur ? Est-ce qu’en brûlant les couleurs de l’œuvre, celui.ci a aussi brûlé mes souvenirs de celle-ci ? ça a l’air idiot. Pourtant cette idée me travaille, un peu trop longtemps. Et toutes ces minutes, je les oublierai.
Sans aucun doute, elles s’estomperont, aussi facilement que les erreurs du crayon, balayées par le petit objet rectangulaire.

C’est étrange, les effets que l’on porte à ce que l’on oubliera. Des projets monstrueux, qui avec la distance, se réduisent à des petits grains de poussière, si facilement soufflés par le vent. Et pourtant, sur le moment, tant de choses paraissent importantes. Chaque petit détail, vécu avec passion, puissance. Les petits instants, dont il ne restera rien. Tellement rien, que si on nous les rappelle, on affirmera avec certitude de ne pas y avoir participé. Quand je suis entré dans cette salle, je me suis assise sur une chaise cassée. Je ne m’en suis rendu compte que bien après. En voulant en changer, j’ai fait grincer les chaises si fort que j’ai eu peur qu’on me transperce de regards inquisiteurs. Autour de moi, quatre groupes de gens travaillant plus ou moins. Une fille s’est levée pour aller chercher un verre d’eau. Avant, elle avait poussé un cri de joie, pour un travail terminé. Je ne me rappellerai jamais du goût qu’avait l’eau dans ma gourde ce jour-là. Et si dans pas trop longtemps elle se casse, que je la remplace par une autre, je ne me rappellerais pas l’avoir possédée. Je ne me rappellerais pas avoir ouvert le paquet de biscuit, à nouveau à grands bruits. D’avoir essayé de comprendre l’alignement des lampes, tout là-haut, avant de réaliser qu’il n’y avait réellement aucune symétrie entre elles- Que cela fait quelques lignes déjà que je joue avec quelques morceaux de papier déchirés.

Les gens viennent, s’asseyent. Travaillent. Parlent, majoritairement. Et je ne les comprends pas. Je me souviens maintenant. La salle est si grande (je me rappelle avoir utilisé ce mot dans la première phrase : salle), les fenêtres sont si mal isolées, que le froid s’invite, s’engouffre sous les habits, se propage sur la peau, dans la peau, jusqu’aux os, aux cellules.
Moi aussi je me suis assise ici. Je ne comprends pas les autres qui s’asseyent maintenant, parce que je me souviens- Peut-être qu’eux aussi ont oublié- Je n’aime pas l’atmosphère de cet endroit- Et pourtant, je m’y place quand même. Encore et encore.

C’est étrange ce que nous fait faire la mémoire. Enfin l’oubli.

***

Une salle, pleine de gens, pleine de sons.
Des mots qui fusent. Des cris qui s’impriment.
Des paroles de chansons, qui hurlent dans l’espace.

***

Deux personnes, La tête sur la table, la moue sur le visage.
Et un silence.

***

Et rien que des instants, qui jamais ne resteront.
Qui sont destinés à s’envoler. Une multitude d’importance autant que futilité, qui ne servira à rien, à part pour le souvenir. La satisfaction de s’en souvenir encore ? Et on s’efforce de le contenir. On s’y accroche, comme à des bateaux en naufrage que l’on s’efforce de maintenir à flot.

Ce dont ls gens ne se rendent pas compte, c’est que ce n’est pas les moments qui sont importants. Car même quand les images ont disparu, les traces que celles-ci ont laissées sur nous ne s’estompent jamais.
Et c’est ça qui compte.

***

Dans la grande salle froide, les gens s’en vont.

Et d’un coup, il ne reste plus que moi, le froid, et les souvenirs de ce moment, encore là, un instant.

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