1. Nuits endiablées

2 minutes de lecture

Quand j’étais petite fille, on m’a offert une poupée de chiffon. Elle n’était pas très belle. Elle faisait même un peu peur. La première fois que je l’ai vue, j’ai pleuré. Je ne l’aimais pas. Elle avait les jambes potelées, une paire de bras arqués qui lui donnaient la carrure d’un boxeur, une bouche baveuse, deux grands yeux vides, sans sclérotiques, entièrement bleus, et deux couettes flasques et plates qui, en l’absence de mèches, ressemblaient plutôt à deux longues oreilles, pareilles à celles d’un lièvre. Ou deux cornes courbées, comme un diable triste. Une démone difforme, presque aussi grande que moi. La poupée me terrifiait. Lorsqu’on me l’a mise dans les mains, la première fois, je l’ai jetée par terre.

Puis, un jour, soudain – je ne sais plus bien pour quelle raison, peut-être juste pour faire plaisir – j’ai essayé de dormir avec elle. J’avais quatre ans.

À cet âge-là, je n’étais pas comme les autres petites filles, qui jouent à la poupée et qui s’inventent maman. Déjà petite, je n’aimais pas les enfants. Je les trouvais laids, dégoûtants, inintéressants. Je rêvais d’être peintre, explorateur, directeur de cirque, membre d’un groupe de bikers à vélos, cuisinière dans un restaurant d’insectes, organisatrice de courses d’escargots, colorieuse de livres, joueuse de cache-cache professionnelle, prince d’un château en carton, fée en peignoir, gentille sorcière, vampire, goûteur de pots de chocolat ou espion. Mais s’il y avait bien deux choses que je ne voulais pas être, c’était princesse et maman.

Par la force des choses, je ne ressentais pour l’hideuse poupée de chiffon ni la tendresse inconditionnelle qu’on accorde à un ours en peluche, ni une once d’affection maternelle. Néanmoins, dans la pénombre crépusculaire de ma chambre d’enfant, seulement éclairée d’une veilleuse, la laideur de la poupée s’atténuait. Je la voyais à peine, enroulée sous mes draps. Elle n’était plus qu’un corps moelleux avec qui je partageais mon lit. Une autre à qui, avant de dormir, je contais mes histoires. Sur qui je projetais mes histoires. Mes désirs. Mes fantasmes. Étranges sont les fantasmes, à quatre ans. Je rêvais que nous partagions la même brique de jus de raisin, que nous nous glissions dans le même pantalon, que nous allions au bois cueillir des fleurs, des champignons ou des herbes magiques, que nous nous embrassions… avec la langue.

Dans le secret de ma couette, la démone de chiffon est devenue la muse de mes nuits endiablées. Mon premier amour, presque.

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