Le petit carton

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Le silence est absolu. Il est tout en carton et en poussière. La lumière de l’ampoule tremblote. Je suis dans mon grenier. J’y suis. J’ai osé. Depuis combien de temps je n’avais pas monté les marches ? Et depuis quand ma vie se passe toute en questions et en silence ?

Un peu moins de 34 ans.

Je rature cette autre phrase qui me terrifie.

Je dois ouvrir un carton. Il reste des objets ici, des traces. J’en choisis un et m’en approche, souffle pour en chasser la poussière. Je sais exactement ce qu’il contient. Malgré le temps, je sais toujours où les choses ont été rangées. Je m’apprête à l’ouvrir.

En bas la sonnette.

Driiiing.

Des voix. La porte qui se referme avec fracas. Encore des voix et des pas dans l’escalier. Des pas qui approchent et mon silence qui se fissure, se brise quand la porte du grenier s’ouvre et qu’une main allume éteint allume éteint allume la lumière. L’ampoule grésille et rend sa dernière lueur. Une pâle clarté venue d’une fente entre deux tuiles laisse encore voir la poussière danser au-dessus du petit carton. Colette peste contre l’état de la maison et contre le temps qui est impitoyable. Elle dit « Tout fout le camp, regarde-moi ce bazar ! Qui va s’en occuper après moi ? » Avec elle, Antoine-le-petit-Prince-en-doudoune-moutarde. Ses cheveux dorés ont poussé et il porte toujours sa doudoune moutarde. Stéphanie n’est pas avec lui. Elle est en Espagne depuis quelques mois. Elle rêvait de partir, de changer d’air, de voir un autre soleil se lever le matin. Du coup l’autre gamine l’a suivie jusque-là. Le petit Prince est très triste. Le jour des aurevoirs, il a dit « Maintenant je serai seul, je n’ai pas d’autres amis » alors Colette a eu pitié. Elle a dit « Mais non voyons je suis là » et depuis il vient rendre visite. Pas à moi parce que je ne l’intéresse pas vraiment. C’est pour elle qu’il vient. Certains soirs où Colette s’éternise chez moi, ils restent tous les deux dans la cuisine à boire des bières et parler de peintres célèbres. C. adore la peinture. Elle dit qu’elle l’aime tellement qu’elle ne comprend pas pourquoi Dieu ne lui a pas donné ce don, celui de déposer sur une toile des histoires qui ne se racontent pas. Elle dit « La peinture, tu la regardes mais tu ne la vois pas, tu la ressens et tu ne cesses jamais de l’aimer parce que l’amour est comme ça, invisible et éternel. » Elle dit « Un jour j’ai aimé un homme qui peignait le vent… » Elle dit « Je l’ai aimé et je n’ai jamais cessé ». Quand elle dit ça, Antoine-le-petit-Prince-en-doudoune-moutarde la regarde comme si elle était la huitième merveille du monde.

Aujourd’hui, c’est différent. Ils sont montés dans mon grenier pour fouiner. Je n’aime pas ça et je n’ai pas envie de rester là à les écouter discuter sans fin. Ils m’énervent. Colette est vieille et laide. Je le leur dis mais ils restent là, sans même réagir à mes insultes, à évoquer un tableau qui a fait pleurer Colette à Paris un jour. Après, ils parlent des Impressionnistes pendant un temps qui me parait interminable. Le Petit Prince dit que quand il va au musée, il y va pour une seule peinture qu’il choisit et il lui met un rendez-vous, il dit que les rendez-vous avec les Impressionnistes ne l’ont jamais déçu. Il dit « Finalement, j’ai plein d’amis » et puis la poussière a terminé sa danse et c’est à nouveau le silence.

Colette s’est approchée d’un carton, un tout petit carton dépoussiéré et posé sur un autre plus volumineux. C’est celui que j’allais ouvrir ; je sais exactement ce qu’il contient. Elle prend sa respiration, joint ses mains dans un geste de prière et en bas le téléphone sonne.

Sonne.

Sonne longtemps.

Je finis par descendre pour décrocher. Je dis « Allô ? Allô ? » mais personne ne répond.

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