Le bain moussant

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Février a l’air de vouloir déposer les armes. Peut-être reviendra-t-il à la charge dans quelques jours mais en attendant, je me délecte dans un bain rempli de mousse. La fenêtre de la salle d’eau est grande ouverte sur cette après-midi qui sent bon le printemps et le bois brûlé. J’écris ça dans le cahier à spirale qui me suit partout en prenant garde de ne pas l’éclabousser: « ça sent bon le printemps et le bois brûlé ». J’ai un peu froid mais un sentiment de bonheur m’envahit. Je suis toujours tellement heureuse quand j’en sens un passer. C’est comme une vague qui monte et puis descend, comme un papillon qui virevolte avant de disparaitre ; on sait bien qu’on ne le reverra jamais mais on ne peut s’empêcher de le trouver magnifique.

Magique.

C. qui ne doit pas connaître la signification du mot « pudeur » fait irruption dans la salle de bains en trainant derrière elle un lourd tabouret et son humeur de femme ménopausée. Je note ça aussi. Elle me fusille du regard, s’installe, allume une cigarette en m’en proposant une. Le bain a refroidi. J’actionne l’eau chaude sans réagir à sa proposition parce que je sais qu’elle sait que je n’aime pas ça mais elle me dit quand même « Un jour, tu t’y mettras, crois-moi ! »

Une moto bourdonne au loin, passe en rugissant sur la Nationale derrière la maison puis s’en va murmurer ailleurs. Un silence suivi d’un autre qui lui ressemble. C. toussote. Mon bain refroidit, la mousse disparait. J’ai froid. Elle se lève pour refermer la fenêtre, me demande encore des nouvelles de la petite boulangère. Elle dit « Tu ne trouves pas ça bizarre, toi, qu’elle passe sa vie dans sa chambre sans faire de bruit ? On devrait peut-être l’aider. Pour elle, il n’est pas trop tard… Tu es sûre qu’elle travaille au moins ? »

Et là, une colère sans précédent mélangée à la douce fraicheur venue de la fenêtre jaillit du plus profond de mon ventre malade, me fait pleurer de joie et de tristesse. Je jette mon cahier sur le parquet, hurle « Mais tu vas me foutre la paix à la fin ! Il est déjà trop tard pour elle. Personne ne peut plus rien faire ! On ne survit pas à un chagrin d’amour. Pourquoi tu es tout le temps là ? Et pourquoi tu m’expliques pas que jusqu’à mon dernier soupir, je vais aimer à ce point l’odeur de bois brûlé et celle du printemps ? J’ai besoin d’y croire, tu entends ? Croire que mes petits vont rester auprès de moi. Croire qu’ils ne sont pas des papillons. Merde ! C’est ça que je veux que tu me dises ! Que tout ça continuera, le bois brûlé, les papillons… Je n’en peux plus, moi, tu comprends ? Je ne peux rien faire pour cette fille. »

C. jette son mégot de cigarette dans la cuvette des toilettes, se lève de son tabouret, dit les yeux pleins de larmes « J’aurais tant voulu ».

Je ferme les miens. Quand je les rouvre, elle a disparu. J’appelle très fort les garçons pour les faire venir.

J’appelle longtemps.

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