Ce soir, c’est soirée trombinoscope. Les deux adolescentes du deuxième étage me montrent toutes les photos d’inconnus dont elles ont volé le portrait cette semaine. J’ai préparé deux fournées de cookies parce que je sais qu’elles aiment regarder leurs photos en mangeant des cookies et je veux qu’elles m’aiment un peu pour ça aussi, parce que je sais ce qui leur fait plaisir. Les photos défilent sur l’écran d’ordinateur et à tour de rôle, elles expliquent les clichés volés sur le pont des Arches en inventant des vies à tous ces gens qu’elles ne reverront jamais. Il y a des profs dépressifs, des amoureux, des femmes enceintes et qui l’ignorent, des policiers bientôt à la retraite, des bouchers qui compatissent pour les bêtes, des petits garçons qui ont peur du noir, des petites filles qui n’aiment que le rose, des gens qui ne comprennent pas notre langue, qui ne comprennent pas qu’on les comprenne pas, qui cherchent leur chemin, qui cherchent l’amour, un trésor, une vérité, le nom d’un visage presqu’oublié, des gens esseulés, passionnés, passionnés de cinéma, d’opéra, de tralala, des gens qui rient tout le temps et puis qui pleurent, des gens qui ne pleurent jamais, qui broient du mauve, qui aimeraient qu’on les sauve, des enfants malheureux, des amants scandaleux, des super héros déguisés, des gens en train d’avoir des idées, des amoureux encore, puis des enfants heureux, des gens en train de pleurer, des peureux, des audacieux, des contagieux, des passionnés de peinture, de BD, de modèle réduit, des gens habillés au dernier cri, des férus d’Egyptologie, de généalogie, de graphologie, amateurs de politique, des croyants, des agnostiques passionnés de géophysique, des enragés désengagés, des rebelles qui cherchent querelle, des joueurs de violoncelle...

Quelqu’un frappe à la porte. Je vais ouvrir. C’est C. en peignoir qui a rencard ce soir et sur écran. Grosse panique à bord : elle n’arrive à rien avec ses cheveux !