Chapitre 1

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Wassila a le visage bouffi à son réveil. Comme premier réflexe, elle attrape le téléphone qui vibre de bon matin et le déverrouille avec précipitation. Son teint ébène reflète légèrement la lumière bleutée de son écran qu’elle tapote de ses fins doigts aux ongles longs non vernis. Et presque instantanément, ses yeux bruns en amandes s’arrondissent de surprise lorsqu’elle aperçoit l’heure : elle allait être en retard ! La jeune femme se dresse aussitôt dans son lit, quitte ses chaudes couvertures dans lesquelles elle était emmitouflée et s’apprête à descendre la petite échelle de son lit superposé. Sa tête de cul d’après réveil lui embrouille encore l’esprit et ses mouvements désarticulés sont rigides et lents. Elle arrive en bas de l’échelle, non sans râler une énième fois contre ce lit de malheur. Un passage en quatrième vitesse à la salle de bain était de rigueur ! Lorsqu’elle croise son reflet dans le miroir, elle ne peut s’empêcher de sourire, moqueuse face à sa chevelure crépue dissidente qui s’est encore résolue à prendre une forme étrange pendant son sommeil.

— J’en ai vraiment marre de ces cheveux... Comment je vais faire pour me réveiller avec un mec avec cette dégaine ? On dirait un de ces bonshommes du film Trolls !

Elle pouffe de rire face à ses sornettes et se dépêche de faire sa toilette et de coiffer un peu ses cheveux indomptables dans une forme à peu près arrondie. Le bus allait passer dans cinq minutes et sa maison se situe à une dizaine de minutes. Non seulement elle allait devoir faire le sprint de sa vie, mais elle devait s’empresser de finir ses préparations.

— Je le savais ! J’aurais dû préparer mon sac hier... Quelle idée de me taper toute la première saison d’American Horror Story d’un coup... Merci Kahina, tu m’as rendu accro et indirectement foutu dans la merde ! Tu paies rien pour attendre, peste-t-elle, en rigolant. Je vais te dénicher un Stephen King que tu n’as pas lu et te l’offrirai au pire moment !

Son sac prêt, elle s’affaire à enfiler sa tenue : une robe blanche en coton qui contraste avec son teint. Près du corps, cette dernière épouse sa silhouette de petite taille et met en valeur ses fesses qu’elle apprécie particulièrement. Son attention dévie le temps d’une seconde sur son téléphone vibrant puis revient sur les lacets de ses vieilles baskets anciennement blanches mais désormais grises. Elle n’a pas le temps de suite, elle regardera une fois dans le bus !

Wassila agrippe son sac, lourd de ses cahiers et ustensiles de dessins, et s’apprête à quitter le domicile.

Même pas eu le temps de déjeuner, pense-t-elle en écho aux gargouillements de son estomac mécontent. Tant pis, je me choperai un croissant sur la route.

Elle met la main dans la poche gauche de sa veste en cuir, là où se situent systématiquement ses clés mais ne trouve rien.

— Oh non ! C’est pas vrai ! J’ai pas le temps pour ça ! panique-t-elle, le visage fermé par la mauvaise humeur.

Elle commence à fouiller tous ses manteaux et vestes, retourne toutes les affaires dans la pièce et inspecte même les endroits les plus improbables. En vain.

— MERDE ! Putain, il a vraiment fallu que ça m’arrive aujourd’hui ! Je les ai pas bougées de la veste... où est-ce qu’elles sont, bordel ?

Elle regarde l’heure, et sa colère monte d’un cran : elle comprend que le seul moyen de monter dans ce foutu bus serait de s’y téléporter. Elle souffle, se laisse tomber sur le lit du bas, se cogne la tête au lit d’en haut car le matelas du bas est trop haut. Heureusement pour elle, ses cheveux touffus lui servent de protection, même si elle n’est pas ultime. Elle peste de façon inintelligible, puis se met à observer les surfaces des meubles dans la chambre.

— Bon, foutu pour foutu... Faut que je me calme. Énervée, je ne les trouverais pas. Autant déjeuner, et prendre mon temps en attendant le bus suivant.

Wassila se résigne, se lève et quitte sa chambre dans l’intention de se préparer un café. Alors qu’elle passe le seuil, elle croise sa maman en peignoir avec son foulard fétiche enroulé sur la tête. Cette dernière non plus n’est pas du matin, elle fait une grimace familière à Wassila, «qu’est-ce que tu fais là ?»

— Je trouve pas mes clés, tu ne les aurais pas vues ?

— Non, t’as encore raté ton bus ? répond-elle d’une voix enrouée.

— C’est pas ma faute cette fois, je sais pas où sont les clés !

Sa maman continue son chemin sans se soucier le moins du monde des états d’âme de son aînée, elle est encore dans les nuages.

— Je suis sure que si je regarde dans ta chambre, je les trouve, dit-elle avec un sourire espiègle.

— Ça m’étonnerait, mais vas-y quand même ! On sait jamais.

Elles entrent tel un seul homme dans la pièce. La maman parcourt la pièce du regard et immédiatement remarque une pointe brillante sur le bureau dégagée de Wassila. Elle s’en approche, découvre les clés en évidences et les secoue devant sa fille, dépitée.

— Et ça, c’est quoi ? Va t’acheter des lunettes, boukala* !

Fouzia lâche les clés dans la main de sa fille puis s’en va vaquer à ses occupations. Wassila, elle, reste plantée là à scruter son bureau sans comprendre. Elle l’avait passé au peigne fin, ses clés ne pouvaient pas juste être là en évidence ! C’est pourtant là qu’elle avait regardé en premier. Elle ne comprend pas puis après mûre réflexion, abandonne : ça ne peut être que sa fameuse tête de cul du matin qui lui embrumait l’esprit et la vision assurément. Alors qu’elle s’apprête à quitter sa chambre, elle observe une dernière fois son bureau avec insistance puis s’en détourne.

* tête de nœud en dialecte marocain.

*

Après un bon café, Wassila consulte enfin son téléphone et souffle face aux nombreuses notifications reçues. Elle fait le tri et dégage les messages non importants puis s’arrête sur les appels manqués de son amie Alissia. Elle sait déjà pourquoi celle-ci tentait de la contacter : son retard - très régulier... Elle tapote sur son clavier alors qu’elle s’installe dans le train :

« Je vais avoir une ou deux heures de retard... Mes clés étaient d’humeur joueuses ce matin :’) »

Après une dizaine de minutes, Wassila reste sans réponse de son amie.

Elle m’en veut... On devait déjeuner ensemble ce mardi. Punaise, ce que je suis tête en l’air ! On commençait les cours plus tard aujourd’hui !

-

La jeune femme débarque sur la voie une de la gare de Beloeil, une petite ville tranquille qu’elle fréquente pour ses cours de graphismes - qu’elle qualifie de médiocres. En moins d’un quart d’heure, Wassila a déjà rejoint sa classe et s’installe après s’être confondue en excuses au professeur. Elle repère Alissia, lui fait un signe discret de la main et cette dernière répond à son salut, moins chaleureusement toutefois. Malgré sa petite taille, Alissia ne passait pas inaperçue avec sa chevelure brune lisse et longue, teintée d’un bleu délirant. Elle avait aussi ce visage rond à la bouille adorable, et ses yeux bleu clair très expressifs captent le regard. Son style vestimentaire insolite ne laissait pas indifférent. Pour faire court, il n’y en avait pas deux comme Alissia ! Cette boule d’énergie d’habitude très bavarde, est très calme et concentrée sur le cours, bonne élève comme elle est.

La leçon se déroule sans que Wassila en capte la moindre bribe, sa tête est totalement ailleurs et elle met ça sur le compte de la fatigue. Alors qu’elle sort de la classe, elle croise le regard désapprobateur de son amie qui fait la moue.

— T’as encore dormi tard, je parie !

— Ça se voit tant que ça ? J’ai une sale gueule ?

Alissia pouffe de rire puis se reprend : elle était fâchée contre Wassila tout de même !

— C’est pas en me faisant rire que tu vas te rattraper de ce matin !

— Je suis vraiment désolée, Ali ! Je ne sais pas ce qui m’arrive en ce moment... Et ne me parle pas de manque de sommeil, ça n’est pas ça. J’oublie des choses, un peu trop souvent à mon goût. Mes affaires ne sont jamais là où je les laisse, c’est comme si...

— Comme si, quoi ? s’impatienta Alissia, curieuse.

— Comme si on les déplaçait sans arrêt et que quelqu’un se paie ma tête !

— Oh arrête avec ça ! Tu le sais que je n’aime pas parler de ce genre de surnaturel là... Ça me fait flipper ! rappelle-t-elle, en se frictionnant les avant-bras comme si elle était saisie de froid.

— Je suis sérieuse, Ali ! Je n’ai pas l’impression d’être moi-même depuis que ma grand-mère...

— Je comprends, Wass... Tu as déjà pensé à consulter ?

— Un psy ? s’exclame la jeune femme, mi-surprise mi-amusée. Oui, ça m’a traversé l’esprit et figure-toi que j’ai pris rendez-vous pour la semaine prochaine ! Et pour me rattraper pour aujourd’hui, je t’invite à midi pour un bon burger au Diner !

— Wass ! T’abuses ! Tu sais bien que j’essaie de faire attention à ma ligne !

— Je ne t’ai pas demandé ton avis ! répond-elle, taquine.

La jeune femme passe la langue à son amie et cette dernière, peu rancunière, lui sourit, le cœur léger. Elles s’aventurent dans les couloirs de la Haute école afin de rejoindre la classe suivante, rient à gorge déployée et discutent de bon cœur. Mais en réalité, les inquiétudes de Wassila ne font que s’accroître, même si elle donne le change en surface. Ces petits incidents disparates deviennent un peu trop quotidiens à son goût et elle commence à se questionner sur leurs natures. Est-ce vraiment le hasard ? Le destin s’acharne-t-il sur elle ?

Seul le temps peut lui apporter des réponses. Mais sans doute aussi davantage de questions.

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