Chapitre 2

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Les rêves se mêlent, s’effacent parfois au réveil, mais la majorité du temps il n’en reste nul trace si ce n’est la tourmente qu’ils lui affligeaient. Wassila en vient même à douter si elle rêve encore la nuit. S’ajoute à cela sa perte d’appétit, elle qui adore tant la nourriture le vit très mal. Elle ne manque pas de s’en plaindre à sa sœur de cœur, Kahina, lors d’un appel.


— Même les nouilles piquantes de Soba ne me font plus saliver ! Ne parlons pas du couscous de ma mère... Ce qui m’arrive est un affront ! D’ailleurs mon médecin n’a rien relevé d’anormal. « C’est sans doute psychologique. Ça vous fera cinquante euros, allongez la monnaie. Bonne journée !» grince-t-elle, sardonique.


Kahina rit à l’autre bout du fil à l’entente de cette voix fluette, ou grave selon la situation, que prend Wassila pour ses imitations dédiées aux personnes exaspérantes, c’est-à-dire presque tout le monde.


— Bon, elle n’a peut-être pas tort ! Ta grande-mère était un pilier pour toi et sa perte...

— Vous m’en parlez tous, c’est fou ça ! Tous mes maux ne peuvent provenir que de là ! Demain, si je tombe dans les escaliers, va-t-on me dire « Ah oui, tu as perdu ta grande-mère !» ? Bon sang, Kahé... Bon, je le ramène aussi sur le tapis. Je suis épuisée, même mon sommeil est sans repos. J’ai des douleurs dans tout le corps. Courbaturée comme si un camion m’était passé dessus.

— T’es vraiment atteinte !

— Mais oui ! s’exclame la jeune femme en se levant de sa chaise de bureau.

Elle fait les cents pas dans sa chambre peu spacieuse.

— En plus, ton école de merde n’arrange pas la situation...

— M’en parle pas, j’ai envie de chialer. J’ai encore eu le coup ce matin.

— Trouver des affaires ailleurs que l’endroit où tu les as laissées ?

— C’est passé au stade supérieur : mes clés avaient complètement disparues. Je les...

— Les laisses toujours dans tes vestes du moment, je sais.

— Ta mémoire m’impressionnera toujours. Cette capacité à tout retenir, même les moindres petits détails... Mais oui, c’est ça ! J’avais absolument fouillé PARTOUT, sans les trouver. J’avais abandonné à ce stade. Je me barre de ma chambre, frustrée, dans le but de me faire un café, c’est là que je croise ma mère dans le couloir. Elle entre dans la pièce et tombe sur les clés sur mon PUTAIN de bureau que j’avais fouillé six cents fois avant. Juste là, à découvert. Tu te rends compte ? Je vais devenir folle, si je ne le suis déjà pas.

— Ne dis pas ça, je suis sûre qu’il y a une explication à tout ça...

— Ce que moi je veux, c’est que ça s’arrête ! Ma vie me faisait déjà bien chier avant, j’avais vraiment pas besoin de ça. J’ai une migraine qui ne part pas du tout... J’ai pas envie de me mettre aux antidouleurs sous perfusion.

— C’est pas moi qui vais te le conseiller, tu sais ce que je pense des médocs. Fais-toi une camomille bien chargée, ça te fera certainement du bien.


Elles discutent un long moment et Wassila se sent enfin détendue, du moins jusqu’à ce qu’elle aperçoit la silhouette imposante d’un oiseau derrière l’unique rideau tiré de sa fenêtre. Sans interrompre la conversation, elle se dirige vers le mystérieux visiteur. Vigilante, elle ne veut pas le faire fuir avec un geste brusque. Elle s’impatiente de rencontrer ce curieux intrus, elle qui adore les animaux. Elle partage d’ailleurs cette même passion avec Kahina, qu’elle a surnommé Blanche Neige pour ce pouvoir d’attraction qu’elle a sur les bêtes. Elle tombe nez à nez avec un corbeau d’une taille plus que raisonnable. Elle s’immobilise, comme si elle n’était plus maîtresse de son corps. Non qu’elle craignait les corbeaux, malgré le nombre de mises en garde qu’on lui avait inculquées et le mépris envers les animaux à «l’habit» noir dans sa culture marocaine, elle adorait particulièrement les corbeaux pour leur intelligence et leur beauté caractéristique. Non, c’était autre chose qui la paralysait.


Le grand passereau ébène est calme, émettant des petits bruits rauques de temps à autre et agitant sa petite tête sans la quitter des yeux. Son plumage noir comme la nuit et brillant comme la soie absorbe la lumière sans la refléter. Toujours pétrifiée, Wassila remarque tout de même un détail plus que troublant : le corbeau n’a pas d’ombre. Sa silhouette imposante est pourtant frappée d’un soleil lumineux. Sa vision lui semble surréaliste, suspendue dans le temps. Le corbeau, lasse de son interlocutrice muette, s’envole nonchalamment dans un dernier croassement plein de promesse.

Cette rencontre n’a duré qu’une minute et pourtant Wassila l’a vécu comme une éternité. Kahina, inquiète de son silence soudain, hurle son nom à travers le haut-parleur. Après avoir repris ses esprits, Wassila rapproche le téléphone de son oreille.

— Kahé... Tu ne croiras jamais ce qui vient de se passer.

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