Le Tome Six : Épilogue

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 Émergeant d’un océan sans couleur, le tome trois se composait désormais des pièces ré-agencées du tome six, à la manière des milles morceaux du navire de Thésée. Sur le pont de ce vaisseau aux allures de château, Tom contemplait son ennemi déchu : le mot entre les lignes, la rancœur d’une histoire indomptable, si farouche qu’elle avait été abandonnée par son créateur…

— Merci, fit le Blocage en cours d'effacement.

 Ses contours incertains se dissipaient dans l’infini des Oubliettes, à mesure que les traits de Tom gagnaient en profondeur sur la page.

— Je ne t’ai pas sauvé, constata l’intéressé.

— Si.

— Tu es sur le point de disparaître. Quel salut trouves-tu là-dedans ?

 Le Blocage était inexpressif, fidèle à lui-même. Pourtant, il incarnait une paix nouvelle à l’aube de sa fin.

— Tu l’as compris avant moi, non ? J’ai bâti ma propre prison, petite locution. Je ne voulais pas qu’on m’aide ; j’avais besoin qu’on me brise. Il faut que je sois oublié pour que mon récit puisse s'achever… C’est dans ce but que j’ai attiré toutes ces idées ici, que je les ai retenues à bras ouverts : j’attendais celle qui m’ouvrirait la voie.

 Tom jeta son attention du côté de l’aile gauche de la forteresse, où la bête aux pattes de cachalot s’avançait d’un pas prudent. Tout autour d’eux, les spectres continuaient de flotter sans savoir s’ils allaient changer de maître ou non.

— Tu te trompes, soupira enfin le mot. Tu n’étais pas obligé de disparaître pour permettre à cette histoire d’avancer. C’est ton excuse. En vérité, tu aurais dû laisser les visiteurs quitter ton domaine sans même te manifester, au lieu de les étouffer comme tu l’as fait.

— Alors ils seraient repartis, nous laissant à la poussière et aux Oubliettes.

— Certains, oui. Mais il aurait suffi qu’un seul revienne. Un seul qui aurait ramené des renforts, librement, pour vous sauver, toi et tes fantômes. Voilà ton erreur : tu n’as jamais accepté de lâcher prise. Tu as voulu forcer les autres à te venir en aide, au lieu de leur donner un choix ; et tu t’es convaincu que tu y étais toi-même contraint par ta nature. C’est une spirale hideuse et mensongère, la véritable prison que tu t’es construite.

 Si telle chose était possible, Tom aurait juré que le Blocage avait disparu de ses lignes en riant. « Tu parles comme Elle », avait-il confessé.

 À présent, le mot régnait sur ce royaume de pierres et d’esprits, naviguant dans l’incongru et vers l’inconnu. Sa bestiole mystérieuse vint alors se poser à côté de lui, et ils plongèrent ensemble un regard commun jusqu’au fond de ces abysses. Où allaient-ils, désormais ? Si Tom était devenu le centre du récit, c’était donc à lui qu’incombait la responsabilité de le mener quelque part.

 Il s’agissait d’une charge plus lourde que le château qui les portait ; aussi brûlante qu'un soleil noir contre lui, en forme de petit volume en papier orné d’une sobre couverture... Le Blocage avait trouvé sa conclusion loin des pages de cette aventure. Tom aurait-il la chance, lui aussi, de trouver quelque part en lettres capitales le mot « FIN » ?

— Bonne question ! lança une silhouette perchée sur une tour crochue du château.

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