Le Tome Six : Chapitre 6

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  L’homme avait raison : Tom était coincé dans le tome Six depuis plusieurs jours maintenant, sans relâche, ni échappatoire… Le « château porté par des fantômes » avait dévoilé sa véritable nature de toile blanche aux fils invisibles, dénuée de description, prisme d’entraves qui ne possédaient même pas le moindre petit adjectif avec lequel engager la conversation. De sa part, chaque tentative de départ s’était ainsi terminée par un retour à la case d’arrivée ; et Tom avait fini par comprendre que dans cette étrange histoire d’horreur, il était voué à tourner en rond.

 Pris d’un soubresaut de folie, quelques heures ou jours plus tôt, il s’était alors efforcé de baptiser son nouvel ennemi. Après tout, il ne disposait d’aucune autre arme pour cet étrange duel que sa force créatrice ; son don du verbe. Tant qu’une lettre lui restait, avait-il songé, il devait tenter d’en user avant de s’avouer vaincu… Et de cette manière hallucinée avait donc été nommé le Blocage.

 Affublé d’un sobriquet pour attester de son existence, le Blocage était bel et bien devenu plus tangible. Une certaine familiarité s’était même peut-être insinuée dans leur adversité. Mais malheureusement, ce dernier n’en avait pas demeuré moins constant, ou contraignant, ou concret… Aujourd’hui, Tom – enragé de moisir entre ces pages à l’abandon – en était à le considérer simplement con, sans suffixe.

Comment quitter cet endroit ?

— Ça fait des années que je me pose la question, expliqua l’homme (unique résident vivant du château). Au moins cinq piges !

 Tom semblait condamné à partager son sort d’exilé ; et pourtant, malgré la proximité apparente de leur destin, il ne pouvait se résoudre à baisser tout à fait sa garde avec lui. L’homme demeurait un personnage étrange : l’héroïne du tome quatre, à défaut d’avoir une quête achevée, se réservait au moins l’ambition de connaître la fin qui l’attendait… Ce protagoniste-ci se contentait d’errer sous la pierre grise de ses longs couloirs, à la manière d’une fourmi sans reine.

 Il finissait par l’effrayer presque autant que les spectres grouillants partout dans le bâtiment. Tom ne s’acclimatait vraiment à aucun des deux ; de toute évidence, il n’avait pas sa place dans ce récit.

— Tu dois insister, lui lançait parfois l’homme en sirotant d’éternelles coupes de vin – lorsque le mot croisait sa table au détour de quelque vagabondage dans le château. Imprègne-toi des environs pour mieux les changer, fait s’élever ma forteresse au-dessus du "Blocage".

 L’idée semblait facile lorsqu’elle était ainsi énoncée. Mais chaque fois qu’il essayait d’entrer en contact avec le vocabulaire du coin, Tom se cognait de nouveau à son ennemi invisible. La sensation n’était pas aussi banale qu’un simple heurt contre un mur : sa violence rampait, bien plus subtile, semblable à la pression progressive d’une pierre qui pèserait de tout son poids sur son chemin, obscurcissant ses pensées, ses envies et ses espoirs à mesure qu’il tenterait d'avancer… Lorsqu’il ressortait du supplice infernal, le mot n’avait pas avancé d’une ligne.

 Et alors, après des heures de souffrance immobile, silence d’une longue agonie face à la vacuité de son existence sur la page, Tom s’en était rendu compte.

 Il commençait à devenir poussiéreux.

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