Le Tome Six : Chapitre 5

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 Alors qu’il était à découvert, surpris et isolé du champ lexical qui suintait des murs du château, Tom se sentit soudain pris au piège. Comment allait-il repartir ? Et qui était cet homme aux connaissances bien trop larges pour celles d’un simple personnage ?

— J’étais accompagné d’une drôle de créature en venant… commença-t-il, prudent.

 Le protagoniste s’affairait à remplacer les bougies aux murs, dont la cire fondait dorénavant plus vite que la peau d’un crâne plongé dans un chaudron d’acide. Leur flamme avait d’ailleurs viré au bleu spectral, si bien que des nuances froides et fiévreuses léchaient petit à petit les vieilles pierres de la salle à manger.

 Visiblement, Tom était le seul à s’en formaliser.

— Penche-toi sur une fenêtre, lança l’hurluberlu d’un air distrait.

 Méfiant, le mot hésita : est-ce qu’un personnage pouvait le toucher pour le jeter au bas des tours ? L’héroïne du tome quatre avait réussi à le contraindre, mais elle venait d’un monde magique et maîtrisait certainement une sorcellerie semblable aux pouvoirs de l’aigrefin…

 Tom se résolut tout de même à s’exécuter – ce qui constituait d’ailleurs un pauvre choix de formulation dans ce contexte – et s’approcha ainsi d’une lucarne sans vitrail. Une vue tordue sur le château s’offrit à lui dès lors qu’il glissa son regard vers le dehors : une rafale de vent s’abattait sans relâche sur le couvert de tours branlantes, la pierre grinçait dans un gémissement perpétuel et la lueur spectrale de la lune faisait luire l’ensemble d’un éclat vaporeux.

Sauf que ce n’était pas l’éclat de la lune…

 Tom n’avait pas assez prêté attention aux détails. Les reflets blanchâtres qui dansaient à l’ombre des tuiles du château ne provenaient pas du ciel, mais de fantômes ! Des spectres maussades, geignards, hagards, et en parade ; des vieux rois qui marmonnaient, des mendiants mort-nés ou des prêtresses malmenées ; des regrettés, des âmes en peines et des amants perdus… Ils flottaient dans les abysses de la nuit par centaines, comme une valse de méduses phosphorescentes traversant des ruines englouties.

 Et c’est alors que Tom comprit. Il devina d’un coup ce qui permettait au château de se mouvoir ainsi à travers les brumes : le bâtiment volait, lui aussi, soulevé par ses propres fantômes.

— À part quelques rares visiteurs aussi abstraits que toi, aucun sujet ne peut monter ici… lâcha l’homme – qui était resté tellement silencieux près de sa cheminée possédée que Tom avait failli l’oublier. Ta bête a dû rester en bas.

— Où vont tous ces esprits, avec leur château ?

— Nulle part. Il n’y a rien d’autre qu’eux, ici. Cette histoire ne tient qu’à un concept.

 Tom avait du mal à décrocher son attention des condamnés qui transportaient ainsi leur peine à tout jamais dans les Oubliettes, dominés par un homme sans nom.

— Je dois repartir, dans ce cas. L’aigrefin ne doit pas être ici.

— J’ai bien peur que tu ne puisses plus t’en aller aussi facilement… Ce tome est habité par un concept capable de restreindre jusqu’aux simples mots : tu ne pourras t’échapper.

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