2 - Sapin

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Deux heures du mat, Ronchon ne sait déjà plus où donner de la tête. Elle a faim et les réserves sont au plus bas. Elle a envie d'étrangler Michette. Partout ailleurs, dans toutes les maisonnettes de lutins, et sûrement aussi dans le Monde Occupé, les provisions doivent être engrangées en vue de permettre de passer l'hiver. C'est la règle numéro ouane du bon sens et la grande règle impérative neumbeur OUAaaaaaNE de la survie minimale ! L'automne existe pour préparer l'hiver, c'est logique, c'est d'ailleurs si évident que personne ne remet en doute le fait de remplir pots, fûts, cave, greniers. Tant qu'il y a de la place, on entasse ! Michette s'en fiche, elle part du principe que qui dort dîne, et comme elle dormira durant les neuf mois qui viennent, se réveillant avec la certitude que les fruits lui tomberont comme un dû à ce moment-là, alors elle se permet de chanter "Après moi, qu'on s'enjugue !", et pas sûr qu'elle écrive "qu'on" comme ça.

Ronchon lève un énième couvercle. Un regard suffit : elle retourne le pot au-dessus de la caisse à bois. Trois noix moisies en tombent, qui sécheront près du feu et finiront dans les flammes. Elle ne savait pas que les noix pouvaient moisir. Rancir, oui, mais moisir ? Comment Michette s'y était-elle prise ? Elle repense à l'un des popoèses de Belzégonde : "Même en cage, on apprend à tout âge. Rester sage, passeront les nuages.", et rattrape son sourire qui se faisait la malle. Elle déniche un fond de miel et un peu de vinaigre, fait chauffer de l'eau, et se prépare une soupe dans laquelle elle ajoute de la cannelle et du gingembre. Ce sera épicé, mais rien de tel pour réactiver ses muscles endoloris.

Revigorée, elle passe ensuite au ménage. Nettoie les vitres, des lanternes, des fenêtres, des miroirs. Tout ce qui apportera de la lumière. Astique la cuisinère à l'émeri, polit bouilloire et cafetière, récure pichets et marmites, redonne de la joie aux cuivres, puis époussette la cheminée et les meubles. Un bon coup de balai et la pièce recouvre une dignité. Ronchon, à genoux sur la terre battue, toute à sa fureur, une main activant énergiquement la grosse brosse en chiendent, et l'autre main munie d'un vieux couteau pour ôter les saletés tenaces, n'entend pas la porte qui s'ouvre.

— Ronchon ? J'ai frappé…

Un jeune lutin a passé la tête. Ronchon lève les yeux, encore à fulminer intérieurement contre sa colocataire, et se redresse en découvrant l'intrus.

— Ah, Zolizieux, tu es matinal !

— Matinal ? On ne voit pas le soleil à cause du brouillard, mais la matinée a déjà lâché plein d'heures dans les nuées. Tu as perdu ton horloge ?

Ronchon regarde l'horloge qui orne le mur de la cheminée. C'est vrai, l'horloge, elle ne s'est même pas rendu compte que l'heure indiquée n'était pas bonne. Pas un seul tic, ni un seul tac. Michette n'a pas remonté le mécanisme. Ronchon éclate de rire.

— Au moins, tu n'as pas perdu ta bonne humeur, c'est le principal !

Zolizieux s'approche et embrasse la lutine toute échevelée.

— Bonne année ! se souhaitent-ils mutuellement.

— Je n'ai plus de café, s'excuse Ronchon. Tu as planté ton sapin ?

— Oui, Boris nous a jetés dehors dès potron-minet pour faire son grand ménage de "bon départ". Comme d'habitude, Reventhgin avait laissé des instructions avec tous les endroits où trouver des semences ou de jeunes conifères à transplanter. J'ai choisi un genévrier et l'ai installé sur la petite colline, entre un vieux sapin et un roncier. Et toi ? ... Je suppose que tu ne t'es pas encore occupée de ça…

Ronchon ne répond pas. Un coup d'oeil circulaire lui apprend qu'elle a bien travaillé, mais il reste tant à faire. Elle hausse les épaules, fataliste.

— Je laisse tomber le ménage pour l'instant. On y va ? J'ai envie de rapporter un mélèze. J'en avais repéré un bosquet l'an dernier avec de tout jeunes plants qui n'auront pas la place de s'épanouir sous les aînés.

— Allons-y, ne dérogeons pas à la tradition. Le premier jour, c'est "ménage et sapin", pas "ménage ou sapin" ! Je t'aiderai pour le ménage, j'aime bien ça, mais avec Boris… Et puis, nous, nous sommes trois, alors que toi, toute seule, c'est moins drôle, hein ?

Elle lui sourit, contente de retrouver le Zolizieux qu'elle avait toujours connu.

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