3 - Décorations

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Le soleil ne s'est toujours pas montré, mais il approche de son zénith lorsque les deux lutins sont de retour. S'ils ont fait le trajet aller en à peine une heure, en courant, le déterrage du petit mélèze les a occupés le même temps. Quant au retour, afin de ne pas malmener leur protégé, qu'ils se passaient tour à tour, échangeant la bêche contre le sac contenant la motte d'où dépassait un scion aussi grand qu'eux, ils ont marché vite, sans excès. Ronchon se fraie un chemin entre les houx et les rosiers qui bordent le nord-ouest de la clairière. Derrière cette haie naturelle, une petite colline dénudée se dresse.

— Quand je suis arrivée ici, il y avait un grand sapin sur cette colline. La foudre l'a détruit et il a fini en bois de chauffage. C'est là que je veux mettre le mélèze. J'en ajouterai d'autres dans les années qui viennent.

Ronchon donne le premier coup de bêche. Zolizieux pose le sac à ses pieds.

— Pourquoi n'as-tu pas replanté un sapin ?

— Le sapin assombrissait la pente, jusqu'à la maison. Les mélèzes sont des arbres moins denses. Ils permettent même à l'herbe de pousser à leur pied. Quand on sera moins jeunes, on pourra venir s'assoir ici.

Ronchon se redresse entre deux bêchées, imaginant déjà la scène sous un mélèze immense. Un banc, la vieille souche du sapin en guise de table, un soleil clair et sec de fin février… Zolizieux sourit en la regardant.

— Quoi ? Tu te moques de moi ?

— Non, j'aime bien ton air rêveur. Je ne me projette pas assez souvent dans l'avenir lointain. C'est sûrement un tort.

Le trou terminé, ils plantent le jeune mélèze. Ronchon adresse ensuite ses recommandations au peuple visible et invisible, expliquant à haute voix pourquoi elle plante, et ce que ce plant apportera à l'environnement. Elle rassure, à la fois le mélèze et ce petit coin chamboulé par une décision qu'il n'a pas vu venir.

— Bon, maintenant, ménage ! lance Zolizieux en faisant demi-tour.

Ronchon le suit en nettoyant la bêche.

— Tu veux une tisane d'angélique après ? Je crois bien que je n'ai que ça à t'offrir. Il faudrait que j'aille faire des courses…

— Tu dis ça comme si c'était un problème…

— Ben oui. Pour bien, il faudrait que j'aille dans le Monde Occupé, mais il ne reste plus une seule décoration pour payer un passageur.

— Michette ? interroge, goguenard, Zolidieux en se retournant.

Ronchon hausse les épaules sans répondre.

— Il me faut tant de choses… Je dois reconstituer les stocks. Si je me cantonne au Monde Oublié, je n'y arriverai pas. Tout le monde a sûrement ramassé les fruits d'automne indispensables. Les noix, les pommes, les raisins, même les glands et les champignons. Je ne peux quand même pas voler ceux d'ici ! Même Squirrel, je n'oserai pas. Je vais peut-être lui prendre une noix ou deux si je meurs de faim, mais lui, il a tant travaillé pour dormir tranquille… Non, faut que j'aille dans le Monde Occupé…

La salle enfin propre, les deux amis s'attablent devant leurs bols fumants. Ronchon relance la conversation sur les décorations. Elle a bien une idée, mais si Zolizieux en avait une meilleure, elle serait contente de l'adopter.

— Il y a bien le vættir de boues…

— Oui, j'y pensais. Il parait qu'un objet fabriqué par soi-même suffit à le payer, mais le voyage est-il aussi désagréable et dangereux qu'on le dit ?

— Certains se sont retrouvés plongés dans une fosse d'aisance. D'autres se seraient noyés, ou étouffés, mais on n'a rien sans rien, et quand on veut gagner du temps ou de l'énergie, il y a un prix à payer. Je sais comment appeler un vættir de boues, je l'ai déjà fait. Je peux bien le refaire, après tout.

— Tu l'as déjà fait ?! Je ne te connaissais pas si téméraire.

Zolidieux en tombe de son tabouret. Il est stupéfait par cette révélation. Lui n'aurait jamais pris un tel risque. Les vættirs de boues transportent de boues en boues, mais de la glaise épaisse aux eaux sales, tout est boue pour eux, et on ne peut pas choisir. Comme pour chaque vættir, c'est à leur bon vouloir. Le seul choix qui reste au passager est la destination-à-quelque-chose-près. Tu l'as déjà fait ? répète-t-il en attendant des précisions.


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