Un matin, à 15h23

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"Stephane ? Oh ! Stephane ! Oh ! Hey ! Steph bordel, réveille-toi ! P'tain, on y est peut-être allé un peu fort là..."

15h23 à l'horloge du four de la grande cuisine américaine de Jean, jonchée de boîte de pizza, de têtes de cône et de cadavre de bouteille. Dans le canapé en face, Jean tente de se réveiller, entre les bruits exacerbés et les cheveux qui tirent.

Au pied du canapé, sur un tapis tâché de brûlures de mégots, Stephane est allongé et ne semble pas vouloir se réveiller, en fait, Stephane ne veut pas se réveiller. Pourtant il entend bien Jean. D'ailleurs après une nuit par terre, son dos l'insulte, sa tête aussi, tout est douloureux, mais il n'a pas envie de bouger d'un iota.

"Putain mais Steph tu vas te réveiller bordel ?! Ok, je vais appeler le Samu, oh mon crâne...

-T'emmerde pas, je suis là.

-Foutre de Dieu..."

Jean, qui avait tenté de se relever, s'écroula à nouveau dans le canapé.

"Va falloir qu'on nettoie ce foutoir, Marie rentre à 18h30"

Et hop, un coup de plus au coeur. Marie rentre à 18h30, parce que Marie rentre chez Jean et Marie. Alice, elle, a arrêté de rentrer chez Stephane et Alice. D'ailleurs elle a embarqué Léo et Sophie avec elle. Il n'y a plus que Stephane chez Stephane, Alice, Léo et Sophie. Et franchement, Stephane n'a pas envie de rentrer chez Stephane, Alice, Léo et Sophie sans Alice, Léo et Sophie.

Et Stephane se dit que c'est un gros connard de ne penser qu'à sa gueule alors que Marie a emmené Aurélie en week-end mère-fille exprès pour que Jean puisse remonter le moral de Stephane à grand coup de Marie-Jeanne et de bières belges...et de rhum...et d'un très bon bourbon aussi.

"Je vais appeler la femme de ménage et un taxi pour toi, ça va aller Steph ?"

L'intéressé hoche la tête, en vrai non, ça ne va pas aller, mais il ne va pas dire non après une soirée pareille.

"J'irai te racheter un bourbon, sortit Steph de façon tout juste audible

-C'est pas une urgence, commence par te remettre à bosser, après on en reparle. Je vais chercher de l'aspirine et beaucoup d'eau"

Stephane est écrivain, il n'est pas du genre à croire aux muses, à l'inspiration, aux bonnes fées, si l'histoire ne vient pas à lui, il va à l'histoire, il écrit des romans de cape et d'épée, inspirés de faits historiques et dans une époque où le thriller est roi, il est presque le seul écrivain de son genre et il a du succès, beaucoup de succès. Enfin avait.

Alice est partie il y a 6 mois, pour un grand blond qu'elle avait rencontré en soirée presse à la sortie de son avant-dernier roman et le pire c'est qu'il n'a rien vu, il a écrit le dernier livre pendant qu'elle s'éloignait de lui mais dans la folie de l'écriture il n'a même pas saisi la distance qui s'agrandissait entre lui et sa femme. Une fois le dernier livre sortit et lors d'une soirée au restaurant, pendant qu'il s'enthousiasmait de son dernier projet d'écriture, Alice a fait tomber le couperet. Ce livre, il l'écrira sans elle et sans les enfants parce qu'il est incapable de s'en occuper lorsqu'il écrit. Elle lui a laissé la maison parce que c'est son lieu de travail et puis parce qu'elle allait vivre avec Mathieu, donc elle n'en avait pas besoin. Il pourrait revoir les enfants le week-end s'il le souhaitait, s'il se sentait capable de ne pas écrire à ce moment là.

Sauf que Stephane ne se sent plus capable d'écrire du tout, son roman est la dernière de ses priorités, son éditeur le harcèle tous les deux jours et tout lui parait ridicule, fade et sans intérêt. Il navigue entre les crises de colère et les crises de larmes, les moments où il déteste sa femme et ceux où il veut qu'elle revienne. Il attend chaque week-end comme la délivrance de retrouver ses enfants mais pas ce week-end, où Alice a emmené les enfants dans un parc d'attractions avec son amant, parce que Stephane est bien incapable de se résoudre au fait que Mathieu est son nouveau conjoint. Ils n'ont jamais été mariés, mais pour lui, Alice est encore SA femme.

"Jean ?

-Hum ?

-Je sais que j'abuse mais je peux pas faire l'aller-retour pour manger avec vous ce soir ? J'ai besoin des leçons de moral de ta femme..."

Jean sourit. Marie est psychothérapeute, elle avait déjà averti Stephane sur l'importance de lever le pied dans l'écriture et de se recentrer sur sa famille, il y a deux ans de cela. Mais Stephane, persuadé qu'Alice l'aimait pour son don d'écriture, pour leur rythme de vie, pour les soirées mondaines, refusait de ralentir le rythme, pris dans le tourbillon d'une histoire qu'il écrivait en plusieurs romans et qui ne l'avait pas encore épuisé. Marie refusait de suivre Stephane malgré les demandes de son mari parce qu'elle le connaissait beaucoup trop, mais elle n'hésitait pas à diluer ses remarques, très souvent pertinantes, qui ne faisait pas toujours plaisir à Stephane, mais qui, au moins, le faisait avancer.

Pendant que Stéphane se relevait du tapis, Jean lui amena un grand verre d'eau dans lequel était dilué l'aspirine.

"Ouais, bien sûr. Aurélie sera contente de te voir. Mais là, tu pues."

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