20

9 minutes de lecture

C'est pas tout ça mais je me rapproche de l'église, moi.

Avec mes petits pas trépidants.

Je me retrouve même juste en face.

Dans le fracas des cloches.

Une belle petite église de quartier, ma foi.

Romane, je crois. Mais je suis pas tres calé, en architecture. Je suis vachement méfiant vis-à-vis de la maçonnerie.

Je le dis franchement.

Je rentre.

Pas une ouaille.

Je m'en doutais un peu.

Je me déambule dans la nef.

Sous la voûte en berceau.

Au fond du coeur, sur le côté, un escalier.

Je grimpe.

Le marteau frappeur me rend cinoque.

Va falloir les arreter vite fait, ces putains de cloches!

Le clocher.

J'y suis.

Dominatum rectum est.

Là-haut, le vacarme est insuportable.

Un déchirement pour les tympans.

C'est Dieu, qui se fait tirer les oreilles, comme ça?

Il est sourdingue, le barbu?

Si c'est pour ses brebis, on ferait mieux de leur filer un sonotone. Ca casserait moins les couilles aux autres.

Ha bon sang! C'est pas supportable, ces décibels.

Me faire ça à moi.

Un lendemain de cuite.

Bande de hyènes!

Vite.

Trouver comment arreter ce bordel.

Je vais pas tenir très longtemps.

Là!

Un bouton!

Sauvé par le gong.

Le dernier coup résonne encore dans un silence salvateur.

Pas mal sonné, je redescends.

La nef.

Je me calme.

Doucement.

Le vide est partout.

Et le silence qui l'accompagne fait presque autant de bruit que les cloches.

Mais bon.

Même s'il est assourdissant, C'est quand même du silence.

Je prends.

N'empêche que c'est un silence bien intrusif.

Un silence qui trifouille.

Ma chair.

Et au-delà.

Il cherche le colimaçon.

Le silence, c'est un pote au vide.

Et le vide connait le chemin.

Forcément, le silence va trouver l'escalier.

Je craque.

Je pleure.

Un torrent de larmes.

Les nerfs.

Les salauds! Ils m'ont laché.

La pénombre clèricale s'éclaircit quelque-peu.

La porte s'ouvre.

Des bruits de pas.

Suivis de près par un bruit de fesses qui cherchent à s'asseoir. Où ça? Je vois rien.

Ha si! Y a une silhouette, dans le fond.

Une silhouette qui me déroute.

Parce-qu'elle ressemble pas à Folo.

Tant pis. Une silhouette c'est une silhouette. C'est mieux que rien.

Alors donc, à sa rencontre je vais.

Recroquevillé sur lui-même.

En mode recueillement.

Les mains jointes.

Le cheveu rare et blanc.

Un vieux bonhomme.

Mal rasé. Mal fagoté. Et surtout, complètement bossu.

Enorme, sa bosse.

Déformante. Monstrueuse.

Une bosse qui respire le tourment.

Un Quasimodo des temps modernes.

Pauvre vieux!

Sale temps, pour les difformes.

Il prie, le vieux.

Il marmonne des trucs avec des je-vous-salue-Marie et gna-gna-gna.

Les conneries habituelles .

Il m'a pas vu venir.

Je le hèle.

Il m'entend pas.

Introspection totale.

Ca marque le respect.

J'attends un peu. Une ou deux secondes.

Pour respecter.

Puis la hardiesse m'emporte. Je lui tapote sur l'épaule.

sursaut du dévot.

Il gargouillise un truc.

J'ai rien pigé.

Un étranger? C'est peut-être dangereux, un étranger.

Méfiance méfiance.

Des yeux bleus pâle légèrement irisés de rouge.

Il pue l'alcool.

Le rhum, d'après mon R.G. nasale.

La surprise passée, il sourit.

Edenté.

Un vieil ivrogne bossu et édenté.

Bien loti je suis.

Mais je vais pas faire mon difficile. Y a personne d'autre à la ronde. Pour causer, ça vaut toujours mieux qu'un mur.

Tranquillement, je m'asseois à ses cotés. J'ai grave envie de le cuisiner. Les questions bouillonnent sur mes lèvres. Mais je me retiens. Chaque chose en son temps. Je me remets à peine de mon craquage de nerfs.

Je souffle.

Sans un mot, le vieux bossu me pose la main sur la mienne.

Aussitot, une onde tiède remonte le long de mon bras, s'attarde sur l'épaule, s'écarquille sur les trapèzes. Puis se carapate sur la nuque et descend en cascade le long de la colonne.

Je me sens instantanément apaisé.

Un magnifique soleil tournoie dans mon plexus.

Ca me fait devenir végétal tellement je me sens bien.

Imagine un bon bain chaud.

Moussant à souhait.

Avec un bon spliff.

Puis quelques canettes à portée de main.

Ben, ça fait pas ça.

Ca n'arrive pas à la cheville de ça.

C'est du bonheur à l'état pur, qui circule dans mes veines.

Du bonheur soluble.

Paradisiaque.

Toujours le sourire tranquille du bonhomme.

Et je peux te le garantir.

C'est du rhum.

Car là, il chuchote.

Et son haleine est très causante. Chargée d'un vent lourd en éthylométrie.

Pourquoi il chuchote, me demandes-tu?

Parce-qu'on est dans une église. Tout simplement.

Dis donc! Tu sais vivre ou quoi, toi?

- Vous allez mieux?

- Bien mieux. Merci. J'ignore ce que vous avez fait mais merci. Que je réponds en chuchotant de concert.

- Parfait!.. Vous avez remarqué, qu'il n'y a pas grand monde?

- Hé oui. Que voulez-vous. L'église perd ses ouailles. On n'a plus foi en grand chose, de nos jours. A part peut-être au quotidien. Et encore. Il est bien bousculé, le quotidien.

Il rit.

Sous cape.

Comme un vieux gamin.

Je l'amuse, apparemment.

- Oui, vous avez raison. L'église est vide. Et ce n'est peut-être pas un allié tres sur, le vide. Qu'en pensez vous?

- Le vide!...Pourquoi vous me parlez du vide?

- Hé bien...Ca me parait évident. Il est partout, non? Un vide omniprésent. Vous n'êtes pas d'accord?

- Bien sur que si. Justement.

- Et ses ricanements... Ca vous met mal-à-l'aise, n'est-ce-pas?

- Mais dites-voir! La tournure prend un tournant étonnant, là. Que je rétorque. Vous l'entendez ricaner, aussi?

- Hum! S'il ne faisait que ça. Le vide est un bavard impénitent, jeune homme. Laissez-le parler et il ne s'arrêtera pas.

- Ha! Parce-que vous le connaissez?

- Helas! Mais dites moi...Qu'avez vous sur le front?

Alors ça! C'est moi qui suis censé lui poser des questions, normalement. Il est gonflé, le Quasimodo, à me couper la chique.

J'élude.

-- Sur le front? Ha!...Ce truc là?... Ho vous savez ce que c'est... On est entre potes...On fait la bringue...

- La bringue? Qu'est-ce?..

- La fête, si vous préférez. Vous voyez ce que je veux dire.

- Non... Je ne vois pas. C'est amusant, la fête?

- Ne me dites pas que vous n'avez jamais fait la fête. J'aurai du mal à vous croire.

- Je ne viens pas pour m'amuser, figurez-vous. Alors non, je ne l'ai jamais faite.

Il me chambre ou quoi?

Il me chambre.

Le vieux renard.

- Faire la fête, c'est s'amuser, oui, et parfois faire des farces. Ce que j'ai sur le front, c'est une farce.

- Une farce? Vous vous moquez?

- Pas du tout, voyons! Je vous explique juste la provenance de mon tatouage.

- Hum! D'abord, si vous le permettez, ceci n'est pas un tatouage. C'est une marque que l'on dirait faite au fer rouge. Ensuite, ce symbole... Il est intrigant, vous ne trouvez pas? Drôle d'idée, pour une farce.

Je fais celui qui se fâche. Pour la contenance.

- Je vois. Monsieur que je ne connais pas met en doute ma bonne foi. Dans une église, en plus. Bravo! je vous en pose moi, des questions sur votre bosse? Non! Bon, alors!

- Ne vous énervez pas, je vous en prie. Et pardonnez mon impudence.

Ca me calme net. Il cause bien, le bonhomme. Poli, tout ça.

Un bossu bien éduqué. C'est toujours ça de prit.

- C'est moi qui vous demande pardon, dis-je. Ne nous chipotons pas. Je suis bien content, que vous soyez là.

- Mais de même, mon jeune ami. De même.

Encore un silence. Il s'installe vite, celui-là. Il fait ses coups en douce.

C'est un vicieux.

Je romps.

- Bon! Maintenant qu'on est deux larrons. On fait quoi?

Il m'a semblé comprendre que mon Quasimodo d'infortune a la pépie.

Et comme la pépie vient en buvant...

En fait, et pour être honnête.

Et honnête je suis.

Le sacré me pèse assez vite.

Hate de quitter l'endroit.

J'ai l'impression d'être sur le banc des accusés.

- L'arène est déserte, Spartacus. L'empereur lui-même s'est volatilisé. Par contre, paraitrait qu'en ce moment, la bibine est gratuite et à volonté. Je connais justement une gargote tout près d'ici. En se dépèchant, on arrivera pour l'happy hour.

Il s'est pas fait prier, le bougre. La pépie, je te dis.

C'est un soiffard, mon bossu.

Y a pas foule dans le bistro.

Abscence impardonnable du taulier.

Tant pis pour lui.

Le taulier, maintenant, c'est moi.

Un rhum pour mon nouveau compagnon.

Un café pour ma pomme.

J'ai un vilain fond migraineux qui me cherche.

J'ai faim.

Le bossu s'en fout.

Il enquille ses verres de rhum.

Et comme il est content, il s'en contente.

Je mate à travers la vitre.

Une boulangerie.

A dix pas du bistroquet. Juste en face.

Impec!

Je laisse le vieux pochard à ses ablutions et me carapate sur l'alimentaire.

Un frisson subit m'ondule le long de la colonne.

Je pourrais dire que l'ambiance générale me fait froid dans le dos, mais non.

Même avec le vide qui m'environne de partout.

Hostile.

Non.

C'est autre chose.

Je devine une présence derrière la présence.

Les ricanements cosmiques deviennent plus distincts.

Plus nets.

Ca essaie de mumurer des mots.

Des bribes.

C'est lointain.

J'entends des trucs comme "...lumière..." "...Amour..."Et autre chose encore... Plus lointain...."Fils..." Il me semble.

Mais comme on dit, ventre affamé n'a pas d'oreille.

Et moi, j'ai faim.

C'est donc un affamé qui entre dans la boulangerie.

Un affamé qui ne sent pas le pain chaud, hélas.

J'ai droit ni au sourire de la boulangère, ni à ses miches.

Ni à la sempiternelle vieille bique qui met un temps fou à trouver sa monnaie.

Du temps.

Encore du temps.

Sans-cesse à serrer la vis.

Et c'est les vieux, pour qui c'est quasi foutu, qui nous en font perdre un max, de temps.

Les crevures!

Oui. J'avoue.

Le jugement est dur.

Je m'en veux, de penser ça.

Ils ont pas le fond méchant, pour la plupat.

Ils sont complices et victimes.

Faut compatir.

C'est l'égo qui les rend cons.

L'égo qui les pousse à l'orgueil.

L'ultime.

Celui qui rend insuportable de partir seul, en laissant derrière soi les autres bien vivants.

Le drame du pourquoi moi et pas lui.

Si.

Ne mens pas.

Ca te travaille pareil, de ton coté.

Ca s'insinue dans tes replis secrets.

Ca rôde près de ton escalier.

Se frotte contre ta porte.

Parfois même de façon obscène.

Ca te pisse sur le paillasson.

Ca te fait la danse du ventre.

Rien que pour toi.

C'est un gros lézard qui joue du pipeau.

Un air que tu connais bien.

"Et moi et moi et moi".

Il joue faux, en plus.

Une horreur.

Faut pas s'étonner qu'après, certains misent sur le collectif. Un bon vieux suicide entre potes. C'est autrement plus sympa.

Faut reconnaitre.

C'est festif.

La fausseté du jeu s'éparpille dans l'unisson.

Le beau spectacle que voilà.

Des dizaines et des dizaines d'esprits qui se font la malle en même temps.

Un ballet galactique.

Une danse astrale qui ricoche dans l'au-delà.

Féérie du communautaire.

No body dans la boulange.

Of course.

Pas beaucoup de pain non plus.

Et un choix misérable en viennoiserie.

Décevant.

A moins que.

L'intuition m'indique d'aller voir derrière le comptoir.

Coté fournil.

Et là!...Big surprise! Tres big! Vraiment, je m'y attendais pas. Tu devines? Non?.. Je suis sur que tu voudrais être en ma compagnie, pour voir ce que je vois. Etre avec le stigmatisé, comme un bon apôtre. Te tenir dans le sillage du moi-même illuminé. Découvrir la vérité suprême. Le Graal à portée de main. L'insoutenable lumière des célestes. Sonder la torpeur du grand mystère. Ho que oui, tu aimerais être avec moi!

Pour voir.

Tu devines toujours pas? Je te laisse chercher. Prends ton temps.

Je t'en donne même, si tu veux.

Tic tac tic tac tic tac tic tac...

T'en veux encore? J'en ai d'autres!

Des tics et des tacs en veux tu en voilà!

La grande braderie stellaire!

Le bonimenteur des ménagères, C'est moi!

Et j'en suis fier!

Comment ça, tu t'en fous? T'es carrément blessant, là.

Je m'offre à toi. corps et àme.

Je te donne tout. Ma lumière. Ma bénédiction. Mes bonnes manières. Mes terreurs nocturnes. Mes menteries. Mes hurluberluseries. mes sacrétoiseries. Mes turpitudes. Mon bon sens. Mon linge sale. Ma poubelle pleine. Mon coeur d'artichaut. Mon rododendron. Mes doutes. Mes imperfections. Mes petites saloperies. Mes râleries. Ma peau. Mes convictions. Mes tripes. Mon cerveau. La chaleur de mes bras. Mes poils de cul.

Tout!

Je te donne tout!

Et toi tu repousses?

Tu rejettes?

Tu joues l'indifférent?

T' es un sans-coeur. Tu le sais, ça? Un sans-coeur! Même pas l'apéro, tu m'offres. Et moi je te donne tout. Comme un con.

Tiens! Tu mérites même pas que je te dise ce que je vois. T'es qu'un gros venimeux.

Retourne dans ton Comodo! Va jouer dans ton bac à sable!

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Michel Dulac ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0