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Allez zou!

Changement de décor.

Une fois n'est pas coutume.

Bien que la coutume, tu devines ce que j'en pense.

Alors donc, une fois n'est pas coutume.

Fallait que je m'aère. Que je voie du monde.

Et que je picole, aussi.

Fallait.

Et voilà que je me suis retrouvé dans un bar.

Un bruyant. Un sale. Un grouillant. Un qui sent la bière et le stupre.

Ca fornique du regard.

J'aime pas mais ça m'excite.

Après, quand je suis excité, je réponds plus de rien. Du coup, je me colle au zinc, le nez dans ma pinte, et je picole. En silence. Sans faire chier personne. Le vide m'accompagne. Ca me suffit.

Ca remonte à plusieurs jours, déjà.

Je sifflais ma bière sans rien demander à personne quand un type s'est assis à coté de moi. Un verre à la main.

Jusque là, tout va bien.

Ca reste dans les normes.

Mais là où ça l'était moins, c'est qu'il m'a sourit. Amicalement, en plus.

Il veut trinquer avec moi.

Le con.

Con, peut-être, mais je lui ai trouvé une bonne bouille. Ca rattrape.

J'ai trinqué.

- Salut camarade. Moi c'est Folo. comme folomi. Tu me suis?

Il se marre.

Je réponds pas.

Je me tatonne en loucedé.

Ouf! Je l'ai pas oublié.

Mon cutter de poche.

Quand je sors, je préfère l'avoir sur moi.

On sait jamais.

Je suis pas un méchant mais on sait jamais.

Les dingues se balladent en liberté, maintenant.

Plus de place dans les hostos.

Où va le monde.

On est en sécurité nul-part.

Ca craint.

Ha merde dis-donc!

Y a le type, là...Folo...Il veut me serrer la main.

Il a l'air de m'avoir à la bonne.

Une légère crispation sur le cutter avant de serrer.

Il commence à me gonfler.

Déjà.

Mais il a un sourire désarmant.

Le cutter restera dans la poche.

On picole.

Les verres défilent devant nous avec un tel panache, qu'on fait passer le zinc pour l'arc-de-triomphe un soir d'artifice.

Ca hoquète. Ca rote. Ca pètarade.

Magie des bulles. Miracle du houblon.

Folo n'est pas si con.

Voir carrément pas.

C'est rare.

Du coup, je me suis bien marré.

Ca faisait longtemps.

La soirée était super bien entamée.

Nous aussi.

On s'éthylisait. On s'utilisait. On philosophait. On argumentait. On dissertait. On dissectait. On pensait que.

Queue.

Le cosmique faisait la tronche.

Faut croire.

Je l'entendais quasi plus.

Il doit pas aimer les spiritueux, le ricaneur.

Trop sérieux.

Puis le ton a tourné au grave.

Folo contemplait le fond de son verre.

Vide.

Les mots s'articulaient plus lentement.

Doctement.

Inquiétant.

Mais pas trop.

- Le monde va mal.

Ok! Ca commence bien.

- Le temps est venu de se débarasser des maîtres. Urgence capitale, mec.

- Les maîtres... Les dirigeants?

- Non. Les maîtres. Les dirigeants n'en sont que les serviteurs. Des valets.

- Ha!.. Et les maîtres..ce serait qui, alors?

- Une famille. Une tres ancienne famille. Du genre ancestrale, tu vois?

- Non. Mais c'est pas grave. Je vois plus grand-chose, là.

- Ils sont pas humains.

- Allons bon!

- Ils ont du l'etre mais y a longtemps. Très longtemps. Maintenant, ils n'ont plus rien d'humain.

- Des mutants?

- En quelque sorte... On ne les connait pas. Personne ne les connait. Ils doivent etre six ou sept cent... guère plus. Planqués dans des îles.. Des archipels... Ils ont juré notre perte. Va falloir les niquer avant qu'ils le fassent.

- Mais...Comment ils ont fait pour contrôler le monde?

- Ho!... C'est compliqué... pas envie d'en causer, là... Au départ, l'humain les connaissait. Il connaissait leur histoire. Mais le temps, c'est comme une vague. Ca efface les traces. Nous on voit l'écume...On croit qu'on a pigé... Mais que dalle, mec. L'humain est amnésique. Désespérément amnésique.

- Et assez con, aussi.

Il sourit.

- Aussi. Il mise sur le temps pour évoluer. C'est l'inverse, qui se produit. C'est parce qu'il en a une conception trop linéaire. C'est pas une ligne, le temps. C'est ici et maintenant. Comprendre ça, c'est trouver la voie.

- T'es bouddhiste?

- Mon cul! Mais ça ne m'empêche pas de piger ça. Le temps est un point vibratoire qui scintille en continu. Il n'y a ni passé, ni futur. Juste un présent. C'est ici et maintenant!

- Bon. Je veux bien... Mais si tu me dis "faut les niquer"... C'est bien pour améliorer notre futur, non?

- Quand on les niquera, ce sera ici et maintenant.

- Et on y sera quand, ici et maintenant?

- Quand l'humain aura fait sa propre révolution. Quand il aura fait le tour de lui-même.

- Houla!.. C'est pas pour tout de suite, alors.

- Ca arrivera bien plus vite que tu ne le penses. Le temps est tres proche.

- Si t'as raison, ça vaudrait mieux. T'es voyant?

- L'air du temps est chargé d'informations. Suffit de capter.

- ... Et le vide... Tu l'entends ricaner?

Il me regarde avec une moue affligée, Folo. J'aime pas quand il prend sa mine affigée. Surtout si ça m'est destiné.

- Le vide ne ricane pas. De toute façon, il n'existe pas. C'est juste une vue de l'esprit.

- Ha bon?..Toi aussi tu penses ça...

- Le temps est vibration. Tu peux le mesurer. Le vide, non. C'est une illusion.

- Si tu le dis... Et donc, tu as le troisième oeil...

- De bronze, mon pote. Un bel oeil de bronze.

On se marre.

Tant de finesse m'étourdit.

Merde, mon verre est vide!

On remet ça.

Jusqu'à plus soif. Et au-delà.

Folo, il en tient une sévère. Même assis sur le tabouret, il titube. Il a monté d'un ton. Il ne parle plus. Il beugle.

- C'est ici et maintenant! C'est ici et maintenant!

Il arrose tout le bar avec ses proférations. Ca plombe l'ambiance grave. On nous regarde d'un sale oeil. Ni le troisieme, ni de bronze, ni de Moscou. Juste le sale oeil.

Folo, il s'en fout. Moi, moins. J'aimerais autant qu'on nous foute la paix. Mais bon. On a pas toujours ce qu'on veut.

Le taulier, c'est un gras. Gras du bide. Gras du front. Gras du cheveu. Et le gras, ça donne de gros bras. Il prend Folo par le col-back et lui souffle au visage son air vicié de dents cariées. De malbouffe. De foie malade. D'estomac contrarié.

Il a la voix obscène, le taulier.

-Tu vas la fermer, ta grande gueule ou je ten colle une?

On s'est barré. Sans demander notre reste. Sans payer l'ardoise non plus. Ca lui apprendra, à ce gros con.

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