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Perception.
Quel mot étrange.

C'est un mot qui se questionne.

Qui se remet en question.

C'est un mot qui diffère. Qui modifie. Qui change les sens. C'est l'essence même de ce mot.

Changer selon les sens.

C'est un mot à chapeau.

Un chapeau de magicien.

Claque, forcément.

Voilà! C'est un mot qui claque.

Perception.

La mienne, de perception, baigne déjà dans le bizarre depuis un bon moment. Puisque je percevais, à la base, les rires du cosmique. C'est rare, de percevoir ça. Je l'ai constaté.

Faut pouvoir percevoir.

c'est pas rien.

Faut la nature.

Propice à la contemplation.

Il suffit d'un rien. D'un horizon pour que tout un monde se crée.

Puis là, avec toutes ces années qui sont passées. Je ne sais où. Ca a empiré. Je perçois plus de trucs.

Enfin, je perçois que je ne perçois pas encore mais que ça va pas tarder.

Les synapses font open bar, là.

Un vrai courant-d'air, ma caboche.

Je me disperse un peu, tu m'en voudras pas.

C'est une stratégie, la dispersion.

C'est tactique.

J'ai l'émiettement machiavélique.

Tu t'en rends pas compte encore. Forcément, avec ton bulbe mou.

L'aération des molécules me permet de piger une chose que j'aurais préféré pas piger.

L'abyssale vide du temps.

L'espace d'un lien.

Une impression fugace.

Un vertige.

Un rien.

Juste assez pour voir où je mets les pieds.

Faut pas se perdre dans le vide du temps.

Que sinon on en perd la boussole.

J'ai la conscience qui veut tout.

Le vide et le rien du vide.

Prête à découdre.

Volontaire pour défier l'horloge. Celle du temps. Et lui coller une grosse droite.

J'ai la conscience qui veut mettre le temps k.o.

Et s'il se relève, elle sera prête à remettre ça.

C'est un combat sans fin. Je sais bien.

Sauf si le temps tilt.

Un coup de trop.

Bref!...Où j'en étais moi, Déjà? Ha oui!

Ils m'ont relogé.

Et le nouveau papier-peint...Comment dire... Il est blanc.

Pas juste blanc, hein!

Blanc!

l'immaculé collé aux murs!

Adieu les parallèles!

L'imperfection se cache dans la pureté.

Dans l'implacable profondeur du blanc parfait.

Pas une poussière.

Pas une ombre.

Rien.

Du blanc.

Et rien d'autre.

Vertige.

Ca farandole dans ma tête. Je tangue. Je chaloupe. Je chavire. Les requins sont pas loin. ils approchent...

- Vous vous sentez bien?

- Qui?... moi?

- ... Vous, oui... Vous vous sentez bien?

- Pourquoi vous me demandez ça? J'ai l'air de ne pas me sentir bien?

- Non.. Je demandais ça comme ça. Faut être humain, parait-il. Ca fait vendre.

- Sauf que vous vendez pas, là. Vous louez. Mais oui. Je vais bien. Merci.

- Bien...Alors voyez-vous, ici, tout a été refait à neuf. C'est bien éclairé. C'est moderne.

Moderne.

Se sentir dans le coup.

Bien vivant.

Pour brasser de l'air. Du rien. Du vide. Le torse bombé.

Haut les coeurs! La fleur au fusil!

Tous modernes.

Tous vivants.

Sauf ceux qui le sont pas. Cela va de soi.

Tant pis pour eux. Z'avaient qu'à pas trainer en chemin.

Le progrès, c'est un bulldozer.

Et c'est aussi une profession.

De foi.

Si tu crois au moderne, tu crois en toi.

Je bande donc je suis.

Je bande donc je suis.

Je bande!

Et ça se met à résonner.

Ca s'entortillonise en toi.

C'est comme un tempo qui t'envoute le système.

La magie verte du modernisme propre.

Oui mais là, je bande plus.

Je vacille.

Tout ce blanc!...Tout ce vide!...

Je perds mes cheveux!

Mes cheveux! Mes beaux cheveux!

N'ai-je donc vécu que pour cette calvitie?

Et que faire? Un toupet? Des implants? Tout raser? S'en foutre?... Un petite chimio? ... vacherie de conscience. Ca m'a pris, comme ça, en plein vertige... Je perds mes cheveux. Et en prendre conscience d'un coup, comme ça... Crois moi, c'est dur.

Raser, alors.

Quitte a ressembler à un moine, autant qu'il soit bonze.

Et puis ça fait propre.

Moderne.

Même sans cheveux, je banderai encore.

Le crâne assorti aux murs.

Le vide hirsute s'incruste.

Et c'est moi l'intrus.

Blanc!

Blanc et désespérément vide!

Une conspiration!

Un cauchemar pour acrophobate!

Les ricanements du cosmique s'amplifient.

Mes tympans vont pas tenir.

Va falloir que je soigne l'apparence.

Que je me ressaissise.

Faire sang blanc pour s'assortir.

Courage!

Sinon l'appart me passe sous le nez.

Ce n'est que l'affaire de quelques minutes.

Courage!

La vache! J'en bave!

Le blanc le plus moderne qui soit.

Impitoyable.

Omniprésent.

Une matérialisation du vide.

J'en ai l'évidence sous les yeux.

Une terrible prise de conscience de plus.

Retour au bateau-ivre.

Debout sur le pont.

Voie d'eau à babord.

Même le perroquet est nerveux.

Ca sent le roussi.

Une bouteille à la mer.

Plus de rhum.

Plus d'espoir.

Plus rien.

Du vide.

Partout sur les murs.

Je deviens cinglé!

C'est un pièhe... Attends... calme toi... C'est un piège... Souffle... Là... Doucement... Cherche le ventre... Deviens le... Rempli le vide de son souffle.... Fais le tien. Reste digne.

Digne et moderne.

Propre et respectable.

Depuis combien de temps n'ai-je pas ressenti les vibrations légères de l'herbe sous mes pieds?

Etrange question.

Mais qui m'aide a reprendre flot.

Je m'enracine.

J'ignore si elles tiendront le coup longtemps, les racines.

Elles sont encore à fleur de peau.

Une rage d'écume se fracasse contre la proue.

Le vaisseau est projeté sur les vagues titanesques.

C'est la grande tempête du désert océanique.

L'anéantissement du tout.

L'absorption du rien.

Le perroquet m'a labouré l'épaule avant de s'envoler.

Elle cherche à sauver sa peau, la sale bête.

Sale bête!

Faudrait que je pense à tenir un carnet de bord.

Si j'en ai le temps.

Le temps passe.

En plus, il y a le temps qui passe.

Tic tac tic tac tic tac...

Après la sale bête, le sale gosse.

N'est-ce pas, petit con?

Tu pensais passer ni vu ni connu. Hop là! pas vu pas pris!

T'inquiète, va. On peut pas te choper, pour le moment. Mais ton heure viendra.

Passe ton chemin. Les chiens aboient mais tu ne trépasseras pas.

Pas de suite.

Mais tu t'approches de la fin.

Tu vas déraper.

Sache-le.

Je pige pas.

C'était pas un mauvais bougre, au début. Si?

Au début de quoi, tu me demandes?

Ben... Il y avait bien un début pour le temps, non?

Non?

Sempiternel serait le temps?

Malédiction! Fatalitas!

On ne peut anéantir le sempiternel. Il revient toujours.

Sempiternellement.

Oui mais c'était peut-être pas un mauvais bougre, avant.

Avant qu'il s'acoquine avec le cosmique.

Il est pas recommandable le cosmique, qu'est-ce que tu veux.

On l'aurait mal conseillé. Je vois que ça.

Du coup, il a défailli.

Pardon?

Il défaille jamais, le temps?

C'est bon à savoir.

Le temps serait donc parfait.

Le bon élève par excellence.

Et l'excellence s'acquiert avec le temps.

Ca se tient.

Sauf que la perfection n'existe pas ici bas. J'en sais quelque-chose. Et ça me rend fou, ça! Fou!

Allez quoi!

Fais un effort, le time!

Un petit putain d'effort.

Tout petit.

Tu pourrais essayer de ralentir.

Je te demande pas de t'arrèter.

Faut être humain.

Tu continues ta course mais tranquille, quoi.

C'est vrai ça. Pourquoi speeder, tout le temps? C'est fatigant, à la longue!

Regarde moi ça. T'es tout stressé. Il va pas faire long feu, ton palpitant.

Ha bon?

Le coeur du temps ne serait qu'un mythe?

Le temps passe et ne ressentirait rien?

Pas d'émotion aucune?

Le pauvre vieux.

La désolation du temps sans âme.

Je compatis.

Mais c'est pas une raison pour nous compresser comme ça!

Joue la cool!

T'aimes la valse?...1 2 3... 1 2 3 ...

Oui!.. Tu te débrouilles bien. Continue. 1 2 3 ... 1 2 3 ... T'es dans le rythme, à fond! Formidable! Le temps a le sens du rythme! .

Ce qu'il nous reste à faire, c'est baisser le tempo.

Le tempo du temps!

1 2 3 ... 1 2 3 ... Ha!... T'accélères, là.

Si.

T'es en avance sur le temps.

Ne mens pas, je t'ai vu.

Reste bien en tempo.

Epouse la courbe.

1 2 3... 1 2 3... Fais-nous valser avec toi. Invite-nous. Fais-nous ta ronde infinie de joie, de jeux et de rires d'enfants.

Tu sais faire ça, quand tu veux.

Emmène-nous batifoler dans l'éternel.

Fais nous apaches.

Fais nous chasseurs dans les plaines du grand Manitou.

1 2 3... 1 2 3...

Je ne sais pas trop danser.

Mais je sais tanguer.

Je sais tanguer en me tenant droit.

En marchant droit.

Et en causant droit.

L'expérience du vieux tangueur.

Du vieux loup solitaire qui hurle à la lune.

Je tangue droit. Je donne le change. Je parais zen, sur de moi, loin des murs tout ça... Mais à l'intérieur, je hurle.

Je hurle comme un damné. A genoux sur les tombes du cimetière, au fond du jardin.

Je hurle au vent.

Je hurle aux murs.

Saloperie de murs!

Saloperie de blanc!

Un vide aussi vide!

Jamais vu ça, moi.

J'aimerais me décoller la peur du visage et la plaquer sur l'immaculé.

Sacraliser les lieux.

Faire de cet enfer un endroit.

De survie.

Puisque c'est là qu'ils m'ont relogé.

Malgré la valse, le temps passe.

Toujours.

Le temps pour la contemplation.

Du vide.

Ravagé par l'écarlate des murs translucides.

Seule la fenêtre m'a empêché de sauter.

Ce qui est étonnant, de la part d'une fenètre.

Mais elle au moins n'était pas blanche.

Juste transparente.

Et du coup, ça m'a permis d'appréhender la chute.

Dix étages, quand même.

Pourtant, comparé à la férocité du blanc, ce vide là ne me faisait pas peur.

Presque pas peur.

Et c'est ce presque, qui m'a sauvé.

C'est pour ça, que je peux te causer.

Encore.

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