Tiziana (Madame)

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Au commencement, il y avait la colère. Depuis qu’elle pouvait se rappeler, la colère avait été toujours là. Le voyage dans le temps, aussi. Les vertiges. Les rêves.

Depuis toujours, les années s'étaient mélangées devant ses yeux. La colère contre ce pouvoir qu’elle n’avait pas demandé. Contre tout cet héritage de guéguerre traîné de génération en génération depuis des siècles, cette vieille rengaine entre Séraphine et Alzemond. Contre les regards en chien en faïence avec des chasseurs, au-dessus des têtes de pauvres bougres porteurs d’une toute petite trace de ce maudit pouvoir.

A peine le pouvoir réveillé, elle voulait en finir.

Pour cela il fallait que tous les porteurs meurent. Que le pouvoir s’éteigne.

C’était la volonté d’Alzemond. Qu’elle fut alors faite la volonté d’Alzemond.

Elle devint un chasseur.

La première fois, c’était celui qu’elle devait sauver. Un jeune garçon de son âge, plein d’emphase, la défiant de lui prouver qu’elle valait quelque chose. Le chasseur de l’autre côté qui attendait qu’elle se décide. Elle avait senti la balance pencher vers un côté et puis vers l’autre… Elle avait franchi la ligne. Bravé un autre interdit. Mais cette fois, cela semblait moins terrible, cette fois elle avait juste tué.

Combien de fois avait-elle bravé l’autre interdit, tellement plus grave : ne pas revenir d’entre les morts, ne pas regarder en arrière ?

Lorsque le sang avait jailli, le garçon l’avait regardé incrédule. Mais après le premier pas il s’était écroulé comme un automate en chiffon.

Ça avait tout changé. Tout d’abord l’odeur du sang. Être chasseur lui a ouvert les sens. Elle pouvait sentir le sang humain dans l’air de la soirée en passant près de l’hôpital, en passant au petit matin sur la route derrière le parc, elle pouvait le sentir chez les autres chasseurs lorsqu’ils rentraient après avoir touché leurs cibles.

Puis la trace. Comme une onde électrique laissé derrière. Elle la sentait avec les doigts, les poils des bras, la peau entière. Pas besoin de la nommer, elle savait si la trace est forte. Si ce maudit pouvoir risquait de se retourner contre elle.

Une fois devenue chasseur, les rêves s’étaient arrêtés. Finies les lamentations de Séraphine, finie cette mission qui lui tournoyait sans cesse dans le sommeil. En tant que chasseur, il y avait ses sens, la trace dehors, et son image dans la glace.

Au bout d’un moment, elle avait regretté ces rêves. Savoir qu’elle n’était pas seule. Elle aurait voulu rêver d’Alzemond. Mieux encore, elle aurait voulu le retrouver dans son monde, l’arracher à sa bibliothèque, à son Lyceum. Le regarder dans les yeux et lui dire qu’ils avaient tous échoués. Que tant de siècles après, ces maudites traces étaient toujours là.

Ce pouvoir les amenait sur le bord de ce qui était permis, les amenait à sortir en dehors des lois… Et il ne s’agissait pas des lois des mortels, mais de quelque chose plus grave et plus ancien encore : les lois du monde.

Mais si tout était tellement grave, pourquoi porter cette guerre si loin, tant de générations après Alzemond et après Séraphine ? Pourquoi l’avoir amenée à notre porte ?

Quelqu’un rigolait encore de l’autre côté de la faille, le son était presque méconnu, la voix d’un phonographe désarticulé.

Eveline ouvrit les yeux, elle était roulée en boule au pied d’un arbre frêle, quelque part sur un trottoir, dans une soirée d’été.

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