Un soupçon de chasse

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Le temps était doux, finalement un beau soir d’été. Eveline regrettait d’avoir pris la vieille veste mauve de sa mère : en arrivant ce matin en 1993 elle avait eu tout d’un coup chaud…. Fichue préparation.

Elle avait profité qu’Anne-Lise passe dans le cabinet de géographie pour les préparations du concours annuel inter-lycées pour l’attendre dans la rue. Le bâtiment central de La Poste, de l’autre côté de la rue, était entouré de beaux arbres, marronniers, encore fleuris. Elle eut pitié pour eux, dans quelques années, il n’en resterait aucun… et le vieux bâtiment aurait l’air triste et poussiéreux d’un musée déserté.

Ce n’était pas encore le cas, Eveline pouvait profiter de leur présence et du parfum envoûtant des fleurs.

Elle pouvait réfléchir à ce qui s’était passé dans la classe avec Oskar. Elle avait certainement gagné un allié. Un des plus importants, à qui elle pouvait faire confiance les yeux fermés. Mais d’où venait cette confiance absolue dans cet inconnu ? Elle se corrigea : pas un inconnu. L’émotion la gagnait. Il ressemblait tellement à son Oskar, mais avec quelque chose de profondément différent, qu’elle ne savait parfois pas comment réagir.

- Tu es prête ?

Anne-Lise se tenait devant elle avec un joli sourire franc. Sa chevelure rousse brillait dans un rayon de soleil échappé d’entre les arbres.

Eveline lui sourit.

Comment penser que dans quelques jours quelqu’un va la poignarder ?

- Bon, on y va ?

Elles allaient chez Anne-Lise, Eveline avait réussi à la convaincre d’aller étudier chez elle, malgré son ventre noué en pensant à la scène dans la cuisine. Son père n’allait pas aimer qu’elle soit dans la maison. Mais si elle voulait la protéger, elle devait être au plus près.

Elles descendirent la rue ombragée en discutant allègrement des cours, de madame Massimelli. Comme de vraies amies. Cela faisait tout d’un coup si bien, ça sonnait si juste, qu’Eveline pensa un moment que tout était vrai, qu’elle était vraiment née 25 ans auparavant, qu’elle venait d’arriver d’une lointaine ville du sud… et surtout qu’elle va continuer cette amitié le reste du lycée.

Elle se ressaisit. Mais, vu depuis ce passé si vivant, son présent lui semblait dénoué de substance.

La place centrale était animée, des élèves rentrant en petits groupes, des parents allant vers la rue de la Mairie pour les derniers achats avant la fermeture des magasins, et, au centre, la fontaine de bronze, la même fontaine que dans ses souvenirs, entourée des mêmes pigeons. Quand elle était petite, Eveline adorait leur courir derrière pour les faire prendre leur envol d’un seul coup.

Dans son présent, la fontaine en bronze n’était plus là. La mairie était en train de préparer l’installation d’un nouveau monument, mais en attendant, ils se contentaient d’un squelette d’arbre de Noël en métal.

Près de l’entrée de leur rue, un camion poussiéreux venait de s’arrêter, et maintenant des travailleurs en habits dépareillés, couverts d’une poussière blanche, commençaient à descendre péniblement les uns après les autres. Mais surgissant derrière eux comme de nulle part, il y avait une petite femme alerte qui sourit avec une expression de satisfaction en les voyant.

Eveline sentit un frisson la parcourir.

La femme s’approcha. De grands yeux de poupée sur un visage parfaitement beau, une chevelure en grandes boucles blondes sur ses épaules, mais Eveline était sure qu’elle était l’inconnue de la maison d’Anne-Lise. Alicia.

- Anne-Lise, ma chérie, dit-elle avec une voix mielleuse, je te cherchais. J’avais promis à ton père de t’amener faire les boutiques, sourit-elle mais si faussement qu’Eveline eut une sensation de nausée.

- J’ai promis d’aider ma collègue…, protesta Anne-Lise avec une voix presque inaudible.

Eveline était restée en retrait. Quelle était leur relation ? Qui était cette femme ? Les questions bourdonnaient dans sa tête. Pourquoi elle sentait tellement le danger à son approche ?

- Je suis sure que ton amie pourra passer te voir un autre jour, dit-elle en se tournant vers Eveline.

Cette fois, elle ne souriait plus. Un visage neutre, derrière lequel Eveline devina de la curiosité. Une curiosité brûlante. Voilà ce qui était encore plus étrange.

- Ou peut-être vous pouvez faire ça au lycée ? Pour ne pas déranger ton père à la maison, continua-t-elle vers Anne-Lise.

Eveline sentit son amie terrifiée. Qui était cette femme ? Il fallait intervenir.

- Madame Marcelin, dit Eveline, s’il vous plaît…

- Appelle-moi Alicia, petite, rigola l’inconnue avec un mauvais regard. Ce soir Anne-Lise n’est pas disponible…

Elle ne pouvait rien faire.

- Tu as besoin qu’on appelle tes parents pour rentrer ? continua Alicia avec le même regard.

- …euh ? non…, bredouilla Eveline.

Décidément… Elle dut prendre congé d’Anne-Lise et faire semblant de s’en aller. Son plan était compromis et tant qu’elle ne savait pas plus sur cette Alicia, sa mission semblait irrémédiablement vouée à l’échec.

Mais ce soir il ne lui restait plus rien à faire en 1993. Il était temps de rentrer. Eveline chercha un endroit désert. Les trottoirs étaient encore animés, les travailleurs s’étaient attroupés à l’entrée de leur rue et fumaient en parlant une langue inconnue.

Elle passa près d’eux ruminant encore à ce qui venait de se passer. Un de ces travailleurs attrapa son regard. Il était âgé, le visage presque complètement caché sous la poussière, avec des traces de sueur comme un tatouage dessus, mais, bizarrement, Eveline sentit qu’il savait. Qu’il avait veillé sur elles.

Cela avait duré un instant. Le regard de l’homme voulait lui transmettre quelque chose. L’avertir d’un danger.

Elle continua sa route. Sa mission s’avérait plus compliquée qu’elle ne semblait déjà à première vue, comme si empêcher un meurtre n’était pas assez difficile. Même pour une voleuse de temps. Surtout pour une débutante comme elle.

Arrivée devant le terrain vague, elle s’arrêta. Quand est-ce qu’elle était passé près de sa maison ? Mais le terrain vague était l’endroit parfait pour revenir dans le présent. Elle se glissa entre les panneaux de bois. A l’intérieur, il n’y avait personne. C’était ici qu’on allait trouver Anne-Lise poignardée dans quelques jours si elle échouait. Elle frissonna.

La libellule scintilla faiblement dans sa paume. Le soleil descendait rapidement et les pierres attrapaient les derniers rayons.

- Ah, mais que voyons-nous ici !

Alicia se tenait devant elle avec une mauvaise expression triomphante. Eveline ferma ses doigts autour de la libellule, mais la main de l’inconnue avait été plus rapide, elle avait attrapé sa main avec la libellule prisonnière au milieu. Une sensation de dégoût comme si son corps voulait l'empêcher de toucher cette peau.

- Laissez-là ! cria Eveline avec une voix lourde qu’elle ne reconnut plus.

La femme rigola.

Eveline tira son bras en attrapant la libellule de justesse. La femme avait disparu. Elle avait le souffle coupé.

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