Le lendemain d'un fiasco

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Sophie lui jetait un regard grave. Elles étaient sur un banc derrière le lycée, Eveline venait de lui raconter son weekend fou. Au moins elle la croyait. Déjà, elle l’avait entendue. Oskar, en revanche…

- Il était venu pour te voir, lui dit Sophie. Il pensait que tu le crois fâché avec toi… On t’a attendu une bonne heure, tu sais ?

- Mince !

- Tu lui as dit de drôles de choses quand tu es apparue, tu étais très bizarre, franchement.

Quand elle était revenue dans le présent, elle avait vu Oskar marcher seul sur l’allée. Tout d’abord, elle avait pensé que le saut n’avait pas fonctionné. Elle avait décidé que c’était le moment de faire la connaissance avec ce deuxième Oskar et elle avait commencé à parler sans lui laisser le temps de placer le moindre mot.

- Salut, je t’ai entendu jouer de la flûte tout à l’heure, moi c’est Eveline Brown, nous sommes collègues au lycée.

- C’est une sorte de blague ? avait-il demandé avec précaution.

- Non, on est vraiment dans la même classe, je viens d’arriver, répondit-elle avec toute la conviction dont elle était capable.

- Je sais qu’on est collègues. C’est moi, Oskar.

- Ah, tu sais ? …. On s’est déjà vu ? demanda-t-elle incrédule au risque de dévoiler son mensonge.

Comment pouvait-il le savoir alors qu’elle ne l’avait pas encore rencontré ? Mais Oskar semblait vraiment gêné… Eveline ne comprenait toujours pas ce qui ne fonctionnait pas.

- Tu as parlé avec Anne-Lise ? continua-t-elle.

- Quelle Anne-Lise ?

C’est là seulement qu’elle avait compris. Déjà, il faisait plus chaud et les bancs étaient marron. En ‘93 ils étaient verts ces fichus bancs.

Elle se tenait devant son Oskar.

Elle avait rougi. Sophie était apparue et lui avait posé d’emblée plein de questions. Oskar avait profité pour partir sans un mot.

C’était un fiasco.

Maintenant, Sophie hochait la tête avec sympathie :

- Tu dois apprendre à contrôler ton pouvoir.

Eveline baissa les yeux. C’était ce qu’elle avait pensé faire.

- Et tu dois faire attention aux petits signes, continua Sophie.

- Quels petits signes ?

- Comment tu sais dans quelle année tu es ?

Elle n’avait pas vraiment fait attention.

- Les bancs étaient verts ? répondit-elle mollement.

- Et… ?

- Je ne suis pas sure.

- La mode, la coiffure… les voitures, les téléphones ! L’argent !!! exclama Sophie. Je t’ai fait tout un dossier là-dessus. Tu dois tout apprendre par cœur !

Et elle lui tendit un classeur rempli de pages imprimées : photos, articles, listes, tableaux de prix…

- Tu as imprimé tout ça pour moi ?

- Tu veux investiguer dans une époque avant ta naissance, non ? Il te faut tout ça.

Elle était vraiment la meilleure amie au monde. Mais comment faire avec Oskar ?

- Tu devrais tout lui raconter, lui dit Sophie en se levant.

La sonnerie sonnait la fin de la recréation. Monsieur Gabet, leur prof de français, entrait déjà dans le bâtiment.

Elle essaya par tous les moyens d’attirer l’attention d’Oskar pendant le cours. Peine perdue. A la place, c’est le prof qui la vit. Il ajusta ses lunettes, tira discrètement sur sa chemise à petits motifs bleus pour couvrir parfaitement son début de ventre, et fit semblant de chercher dans ses papiers. Cela faisait longtemps que cette mise en scène ne trompait plus personne. Etrangement le nom qui sortait de ses papiers était toujours celui du téméraire qui venait de déranger la classe.

Eveline vit ses petits yeux la regarder avec malice.

- Mademoiselle Brown ? Cela faisait longtemps, dit-il avec un sourire ingénu dans sa barbe.

Elle eut droit à un passage au tableau, toute rouge, sous les regards d’Oskar, certes, mais ce n’était pas exactement ce qu’elle aurait voulu obtenir.

En passant à côté de lui au retour, elle lui laissa un billet sur le bureau : « Je te dois des explications. RDV à l’arche après les cours. » L’arche était l’entrée de leur rue. Elle espérait qu’ils pourraient rentrer ensemble.

Mais il y avait quelqu’un d’autre à qui elle avait manqué à sa promesse. Dimanche, elle avait annoncé à Anne-Lise qu’elle serait au lycée lundi. Or, si elle voulait résoudre cette histoire au plus vite…

Maintenant il ne lui restait que d’assister à deux classes de seconde en même temps… Cause noble ou pas cause noble. Elle glissa le classeur de Sophie dans son sac et partit dans les toilettes.

31 mai 1993, 11h05. Plein d’élèves déversés sur les couloirs. Une sirène remplissant tout d’hurlement. Ah, exercice anti-incendie. Ça tombait bien.

Elle retrouva Anne-Lise dans la cour, à côté d’une petite fille brune. Elles s’arrêtèrent lorsqu’Eveline s’approcha.

- Salut, moi c’est Eveline.

- Zoé, répondit l’inconnue. Je ne t’ai pas vue en classe tout à l’heure.

Mensonge, vite.

- J’étais avec un prof, répondit-elle, pour mon dossier. Je viens d'être transférée ici.

- Tu viens d’où ?

Ouf, elle avait échappé belle. Elle lissa tant bien que mal ses cheveux derrière les oreilles. Quels autres noms de lycées elle connaissait ? Et si elle prenait juste un nom d’écrivain ?

- Je viens du sud. On vient de déménager dans la ville.

Les regards dubitatifs d’Anne-Lise. Ce n'allait pas être simple.

Elle était venue enquêter sur sa famille, gagner sa confiance. Ça prendrait des semaines. En plus, elle risquait de devenir une menteuse en bonne et due forme au bout de la première journée…

Une prof s’était approchée d’eux, grande, osseuse, lunettes carrées, cheveux roux aux racines presque blanches dans une queue de cheval qui lui allongeaient encore plus le visage.

- Les filles, vous pouvez entrer maintenant, l’exercice est terminé. Vous pouvez faire mieux la prochaine fois, n’est-ce pas Zoé ?

Sa voix extrêmement douce, mais d’une douceur forcée. Eveline frissonna.

- Oui, madame Massimelli. Nous venons de rencontrer notre nouvelle camarade.

Les yeux de la prof, doublés par des lentilles épaisses, s’attardèrent un moment sur elle. Des sueurs froides maintenant.

- Bien, dit-elle avec un regard confus. Maintenant retournons en classe.

Sacrée libellule ! Eveline souffla soulagée en suivant Anne-Lise. Elles allaient dans une autre classe, à l’étage, sur un couloir qui s’ouvrait à côté de la salle des professeurs. Elle n’avait aucune idée que ce couloir existait. Elle n’arrivait même pas à comprendre dans quelle partie du bâtiment il pouvait bien conduire.

Elles entrèrent dans une salle. Laboratoire de mathématiques. Laboratoire de quoi ? Elle était filière L pour une bonne raison. Cause noble ou pas cause noble…

Géométries dans l’espace. Elle était perdue. La meilleure solution était de se fondre dans la masse.

Pourquoi sauver précisément Anne-Lise ? Uniquement Anne-Lise ? Pourquoi elle ?

Elle regarda Oskar, l’autre Oskar. Il suffirait peut-être qu’elle lui raconte tout et il pourrait le faire, sauver Anne-Lise, non ?

Mais pendant la pause elle eut l’étrange impression qu’Anne-Lise l’évitait. Sûrement, elle avait passé le cours de maths à l’observer et à observer Oskar. Puis elle n’avait pas du tout compris la question de la prof. Elle n’avait pas la moindre idée de quoi on parlait d’ailleurs. Ce qui lui avait provoqué un rire nerveux. Désastre sur toute la ligne.

Elle devait laisser de côté son retentissant échec scolaire pour accomplir sa mission. Si Anne-Lise l’évitait, il restait une deuxième piste.

Elle s’approcha d’Oskar. Il était à l’entrée du terrain de sport, complètement différent sans les cages en métal.

- Ah, c’est toi ? lui sourit-il. Pas ton point fort les maths ?

Il était incroyable à quel point il lui ressemblait. Surtout quand il souriait. Depuis combien de temps elle n’avait pas vu l’autre Oskar, son Oskar, lui sourire ?

Elle sentit ses joues rougir. Mince, ce n’était pas le bon moment.

- Je t’ai vue hier dans le parc. J’ai adoré ton morceau. Depuis combien de temps tu joues de la flûte ?

- Comment ça de la flûte ? cria un garçon juste à côté de son oreille.

Tout un groupe. Ils étaient juste derrière eux avec un ballon de basket. Oskar devint tout rouge.

- Quoi ? C’est quoi ?

- Oskar joue de la flûte !!!

- Hein, Oskar, c’est ta copine, la matheuse ?

Gestes pour feindre la position des mains sur une flûte traversière. Gros rires.

Mince.

- Pas du tout, répondit-il, je ne sais pas de quoi elle parle.

Ils s’éloignèrent en rigolant. Un d’entre eux pourtant était avec Oskar dans le kiosque à musique. Il tourna la tête vers Eveline avec un regard noir.

Elle avait tout gâché.

Elle avait tout gâché avec les deux Oskar.

Cela faisait tout aussi mal.

Anne-Lise passait avec Zoé et d’autres filles vers le bâtiment principal. Eveline les entendit rigoler. Elles étaient en train d’imiter ses réponses pendant l’heure de maths.

Fichue journée.

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