Séraphine

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Un vaisseau descendait doucement sur le fleuve. Un navire lourd, encombrant, guidé avec des cordes tendues depuis les deux rives. Séraphine avait vu des dizaines de navires pareils transiter par la vallée, mais cette fois elle avait l’étrange impression qu’il ne pourrait pas passer.

Cette fois le lit du fleuve semblait trop étroit, serré entre les deux flancs de montagne, entre Alzemond avec son Lyceum et ses tours d’un côté, et elle, avec son château, ses jardins, ses tours de guet… et le village, de l’autre…

Le village était sauf, mais à quel prix ?

Ils avaient tort tous les deux.

Le mage ne lui avait pas donné le choix. Ou si, le choix d’abandonner… De le laisser décider pour eux tous.

Séraphine se tourna vers la pièce. Grande, pierres blanches couvertes de tapisseries. Enchevêtrement de fleurs et oiseaux. Un petit renard caché dans le feuillage près de la porte.

Edmira se leva :

- J’apporte une lampe, Madame ?

Avec quel droit s’étaient-ils mis à choisir à qui la vie et à qui la mort pour ces gens ? Quel droit avait-elle de décider de qui va vivre au-delà de sa première mort ?

Le tissu brodé était toujours là, le fil d’argent luisant dans les motifs.

Avec quel droit avait-elle changé le cours du temps pour tous ceux qui allaient venir ?

Est-ce qu’elle choisirait son peuple si cette décision devait à nouveau être prise ? Elle ne l’avait pourtant pas fait pour le Seigneur Léondas… Elle ne lui avait pas demandé d’abandonner son champ de bataille…

Edmira la regardait, son aiguille dans la main. Berthe, les yeux clairs pointés vers elle depuis son pupitre.

Séraphine hocha la tête le visage assombri.

- Chante-nous quelque chose, mon enfant, dit Edmira et s’assit.

La voix de Berthe s’élevait comme une fumée vers le plafond haut de la pièce, comme une fumée de ce que sa première vie avait été.

Séraphine ferma les yeux devant cette idée. Était Berthe la même ? Avait-elle vraiment réparé l’injustice ? Elle sentit la pierre froide sous ses pieds.

- Tu peux amener une lampe, Edmira, dit-elle.

Jolien était là aussi, quelque part dans la chambre, caché dans les feuillages du souvenir. Il attendait.

Le temps était changé. Et tout le futur avec, lui qui n’était alors qu’une possibilité parmi toutes les autres… un jeu de verres colorés recomposé après chaque secousse. Qui leurs avaient donné ce droit ?

Et notre présent, nous, tels que nous nous voyons, à quel point étions-nous la conséquence de ce changement ? Aurions-nous dû être différents ? Aurions-nous dû être ?


Eveline avait les yeux grand ouverts. Comme si elle avait dormi comme ça. Elle aussi se mettait à changer le passé. Qui lui donnait ce droit ? Et l’injustice alors ?

Le vent dehors frappait dans les feuilles des arbres.

Pourquoi sauver juste Anne-Lise ?

Elle se leva et ferma la fenêtre. Il faisait encore nuit. Une nuit indécise, pas complètement obscure, avec une lune fiévreuse, encore plus lumineuse sous le passage des nuages.

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