Un étrange brouillard

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Quelques heures plus tard, à une dizaine de miles seulement de la frontière canadienne, des phares éblouirent la jeune femme dans son rétroviseur. Le conducteur klaxonnait de manière intempestive et la collait dangereusement.

— Il est malade celui-là ! s’écria-t-elle, la voix suraiguë.

La pluie battait toujours son plein, or Linda accéléra malgré la chaussée glissante. Son cœur rata un battement. Elle crut reconnaître la voiture de son époux. Simple coïncidence ? Ses larmes recommencèrent à couler. Plus de peur que de tristesse. Elle plissa les yeux au-dessus du volant, son buste penché vers le pare-brise. Elle n’y voyait goutte, mais ne parvenait pas à freiner. Son pied écrasa la pédale. L’anxiété qui la rongeait se transforma en panique, puis la panique en terreur. De la sueur perlait sur ses tempes.

— Mon Dieu, aidez-moi à échapper à ce fou ! répéta-t-elle maintes fois comme un mantra.

Trouver un endroit sûr !

Sur le bitume gorgé d’eau, une brume verdâtre s’éleva en volutes autour de la Chrysler. Très vite, la lueur émeraude, de plus en plus opaque, l’encercla. Aucune trace de l’automobile qui talonnait Linda. Soulagée, elle ralentit puis ouvrit la fenêtre. Des murmures incompréhensibles s’exhalaient de l’étrange brouillard. Sa main l’effleura avec curiosité. Sentiment fugace de déjà-vu. Elle avait l’impression de se retrouver à l’intérieur d’une aurore boréale. Une ombre imposante surgit soudain devant le capot détournant l’attention de Linda en sursaut. Effet d’optique ? Elle pila. Une rafale glacée dissipa le phénomène météorologique. Sur le bas-côté de la chaussée, un panneau la surplombait. Dessus était inscrit en lettres rouges : Bienvenue à Somnore. Âmes : en hausse. Linda fronça les sourcils, ce nom ne lui évoquait rien.

— J’ai l’impression que nous ne sommes plus dans le Montana[1], ironisa-t-elle en singeant Dorothy au pays d’Oz.

Se trouvait-elle déjà au Canada ? Où se situait la frontière ? Alors que les questions fusaient dans son esprit, un voile subtil se déposa sur ses yeux. La jeune femme se détendit, interrompant sur-le-champ ses inquiétudes.

L’unique route menait vers des buildings miroitants sous les rayons du soleil. Ah, la civilisation !Linda aimait le confort opulent et ne s’en était jamais cachée. Elle roula donc à bonne allure vers la ville qui lui tendait les bras. Durant le trajet, des corbeaux s’envolèrent d’un buisson dans un bruit infernal. L’un d’eux s’écrasa contre le pare-brise. Linda laissa échapper un cri. Elle détestait ces bestioles. Alors que les essuie-glaces nettoyaient le sang de l’oiseau, elle crut de nouveau distinguer du coin de l’œil une vague silhouette obscure se fondre dans la terre. Sans doute son imagination. Ses battements cardiaques s’accélérèrent et, par la suite, elle regarda dans ses rétroviseurs à de nombreuses reprises. L’impression d’être suivie ne la quittait pas. Elle ne croisa pourtant pas âme qui vive jusqu’à ce qu’elle atteigne la Cité.

Deux immenses sphinges ailées en gardaient l’entrée. Linda demeura pantoise ; une scène de l’Histoire sans finlui revint en mémoire. Le livre favori de sa jeunesse. Curieuse, mais quelque peu inquiète par cette analogie fortuite, elle inspira profondément puis franchit les portes. Aucun des géants ne lui décocha d’éclairs mortels.


[1]Phrase originale traduite : « Toto, j’ai l’impression que nous ne sommes plus au Kansas ».

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