Chapitre 6

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Zoé remontait maintenant avec tout le village. Tous se précipitaient pour voir la bataille au loin. Dans son coeur, elle avait peur, une peur terrible pour DeuxLunes qu’elle ne connaissait que peu mais qu’elle aimait de tout son coeur. Elle ne se l’expliquait pas.

Nox, lui aussi, remontait vers la plage après avoir terrassé son dernier adversaire, un poulpe particulièrement retors qui avait été bien près de glisser un tentacule dans le Dôme. Heureusement, DeuxLunes avait réussi sa diversion et tous les monstres s’en étaient allés l’un après l’autre. Nox n’avait jamais vu pareil comportement chez eux. On aurait dit la guerre, comme au Début de l’implantation. La planète contre les humains. Mais quelque chose était différent. Il ne savait pas quoi. La planète contre DeuxLunes?

Il rejoignit la foule sur la plage. Au loin, le feu s’élevait et une sorte de tempête mêlée d’éclairs s’était créée. Tous observaient le spectacle, fascinés. Tous comprenaient à présent ce que Nox avait compris avant eux, DeuxLunes était un être d’exception. Mais il était aussi tellement jeune et fragile! Nox était bouleversé, il avait très peur pour lui et maintenant qu’il le connaissait, il n’envisageait pas sa vie sans lui.

Il retrouva ses parents, Amélie et Boris. Il se prirent dans les bras silencieusement. Zoé vint lui tenir la main, elle aussi. Il la regarda, elle comprenait ce qu’il ressentait, elle en avait envie elle aussi. Leurs pensées se lièrent, prirent de l’ampleur, heurtèrent les barrières mentales de leurs voisins. Ceux-ci se mirent à les regarder avec étonnement. Les parents de Nox les regardèrent tous deux avec stupéfaction.

- Tu ne veux quand même pas aller l’aider! Rugit son père.

- Non, non tu ne peux pas Nox, tu ne peux pas, gémit sa mère, tu vas mourir si tu y vas. Et elle se mit à pleurer.

- Zoé, revient ici tout de suite, crièrent ses parents paniqués tout en fendant la foule en direction de leur fille.

- Maman, papa, je dois y aller, pensa Nox doucement.

Boris saisit son fils par le bras et sa mère l’autre.

- Non Nox, tu ne peux pas, tu ne dois pas, pensèrent-ils à l’unisson avec tout leur force intérieure. Et pendant un instant il fut comme happé par leurs peurs et toutes les images qu’ils se faisaient de son futur si il devait sortir aider cet étranger. Un peu hébété, il vit Zoé soutenir le même assaut de son côté. Ils se regardèrent un moment, échangeant leurs souvenirs de DeuxLunes, se comprenant sans mots, mêlés dans le même amour du bel étranger.

Nox regarda sa mère et son père et il leur dit: “Vous ne comprenez pas, j’ai rencontré aujourd’hui le plus grand amour de ma vie, je ne peux pas l’abandonner”. Ce fut à leur tour d’être hébétés. Il leur transmis alors tout son amour pour eux mais avec lui tout ce qu’il avait compris sur DeuxLunes, tout ce qu’il avait vu quand l’Ennemi avait attaqué à travers la doyenne du village. Il leur montra tout ce qu’il ressentait. Comment en quelques instants partagés, il était tombé amoureux.

Zoé fut moins convaincante, n’arrivant pas à restituer en pensées tout ce qu’elle avait pu éprouver. Ses parents sanglotaient en la serrant fort et refusaient son départ, elle était trop jeune. Elle était trop jeune, ne cessaient-il de répéter.

Nox devait en convenir, il essaya lui aussi de décourager Zoé. Elle tourna vers lui des yeux désespérés. Il essaya de lui dire que plus tard, quand elle serait mieux armée pour le combat et la survie, elle pourrait les rejoindre.

Boris et Amélie avaient maintenant l’apparence de deux statues. Ils avaient compris que la décision de leur seul enfant était irrévocable. A 16 ans, il était majeur. Il pouvait partir et aucun argument ne l’avait fait fléchir. Ils étaient au delà de la détresse, tout leur monde s’effondrait.

Nox partit chercher son sac à dos et des affaires à toute vitesse et il revint sous le regard attentif et silencieux de tous les villageois qui avaient évidemment tout suivi de la scène.

Au loin, DeuxLunes faiblissait, Nox le sentait et pourtant quelle énergie encore! Il devait se dépêcher. A cet instant précis, une tornade de feu se déclencha au loin, traversée d’éclairs. Nox se raidit, tous ses sens en alerte. Et puis tout fut finit. Plus de monstres, plus d’énergie magique plus rien. On aurait dit qu’Il était mort.

Tout le village se mit à y penser, puis à en parler. Il était mort, forcément. Rien ne pouvait survivre à cela. Nox se précipita pour embrasser ses parents, puis Zoé et ses meilleurs amis. Tous cherchèrent à le retenir. Il dut se libérer des bras, des mots et des pensées comme si c’était des centaines de tentacules. Il se jeta à travers le dôme et vola au-dessus de la plage dans la nuit tombante guidé par son seul instinct.

Et tous pleurèrent, car Nox était un de leur meilleurs combattants et un coeur fidèle toujours prêt à aider. Et Zoé pleura car elle devait rester là, au milieu de tous ces pleutres. Elle pleura de rage et d’un geste, elle envoya en l’air une gerbe de feu qui s’éleva au dessus du bouclier et tomba comme une fleur dans la nuit. Elle espérait que DeuxLunes pourrait la voir. Ses parents la regardèrent, abasourdis par son nouveau talent.


Nox ne voyait ni ne sentait ce qui se passait derrière lui, il était concentré comme jamais, déterminé à lire la présence de DeuxLunes partout où il avait pu se dissimuler. Il arriva rapidement sur les lieux du massacre. Pêle-mêle gisaient des corps de divers animaux monstrueux, scène impossible à déchiffrer de nuit. Rien ne vivait, semblait-il. Il dépassa la colline et songeant à ne pas attirer l’attention lui aussi, il atterrit et se mit à marcher. Mais où chercher Deux Lunes? Etait-il entré dans la jungle? Désespéré, Nox fit tomber quelques éclairs sur des arbres, à plusieurs dizaines de mètres de distance, pour lui faire connaître sa présence. Ceux-ci s’enflammèrent instantanément, éclairant les alentours. Il hurla le nom de DeuxLunes plusieurs fois.

Il avança dans différentes directions, mais il n’avait aucune piste. Aucune idée brillante ne lui vint. Il marcha un moment en direction du Nord. Cria encore le nom de DeuxLunes. Il devait être là, forcément, sinon il l’aurait senti se déplacer avec la magie. Il ne devait pas être trop loin. Mais l’attendrait-il? C’était ça le problème, il ne voulait sans doute pas être suivi!

Il cria encore son nom, et cria son besoin de l’accompagner. Il le supplia de l’attendre, de lui faire un signe.

Ce manège dura pendant des heures. Jusqu’à ce qu’épuisé, Nox finisse par s’assoupir à même la plage, à quelques kilomètres au nord du lieu du combat. Comme tant d’autres avant lui, il dormit avec son bouclier, mais il prit soin de le régler avec peu d’intensité pour ne pas attirer l’attention.



DeuxLunes avait froid, la nuit était pourtant douce, et il était épuisé. Il s’était traîné dans la jungle après le combat, en se coupant de toute magie. Avant de s’évanouir, il avait vu des éclairs s’abattre sur un arbre à quelques centaines de mètre. Il avait sourit, supposant que Nox était venu l’aider.

A son réveil, il faisait encore nuit. Immédiatement en alerte, il sentit le contact de nombreuses pattes sur son corps. Un scolopendre sans doute, il espérait que sa piqûre n’était pas mortelle. Très doucement, calmement, il créa un petit espace d’air solidifié entre son corps et l’animal, puis sur tout son corps. Cela le rassura. Il refroidit ensuite cette coque invisible pour faire fuir l’animal qu’il supposait à raison sensible à sa chaleur corporelle. L’animal finit par se lasser et s’en alla.

DeuxLunes se retourna sur le ventre pour observer la jungle autour de lui. Pas de bruit, pas de mouvement. Il hésita à abandonner sa maigre armure magique. N’arrivant pas à se décider il se leva doucement et se mit à avancer vers la plage. Assez vite, il parvint à la lisière de la forêt et observa les alentours. Nulle trace de monstres, ni de Nox. Il écouta attentivement pendant de longues minutes mais rien, pas un bruit, excepté celui de la mer. Une faible lumière d’aube était perceptible. Il décida de monter vers le nord, en direction des arbres brûlés. L’un d’eux était totalement calciné par l’éclair et ses flammes avait partiellement brûlé ses deux voisins qui émettaient maintenant une sorte de signal plaintif et souffrant. Les autres arbres s’étaient défendus en créant une sorte de champ de confinement. C’était déjà arrivé dans le passé. Heureusement ces arbres ne semblaient pas trop hostiles, pas trop éveillés. Il continua son chemin en se tenant loin des arbres et avança en direction du nord-ouest. Il ne savait pas bien où aller ni quoi faire. Il avait perdu sa besace dans le combat et n’avait donc plus rien à manger, ni à boire. Retour à la case départ.

Il n’osait pas revenir au village. Il n’y serait sûrement pas bien accueilli. Il espérait que Nox était reparti en sécurité mais une part de lui espérait encore le trouver, car il désespérait de solitude.

Il marcha une petite heure quand sa faim le fit se sentir mal. Il avait très soif aussi. Son corps était douloureux de toute cette magie canalisée. Il commença à chercher à manger: un fruit par exemple (il doutait cependant d’en trouver un non dangereux, l’étude des végétaux n’avait jamais été son point fort à l’école), un animal pas trop grand (là aussi il doutait de ses connaissances en zoologie), mais quelque chose s’il-vous-plaît!

La soif était insupportable mais il n’y avait aucun cours d’eau à proximité, il allait devoir utiliser la magie pour en faire apparaître. Mais n’était-ce pas un risque énorme?

Quand tout à coup, il perçut une présence magique pas très loin. Il s’approcha prudemment, s’attendant à voir un animal, une panthère des sables peut-être ou un crabe géant, mais il découvrit une sorte de ver de terre noir et ocre derrière une dune. Curieux animal, il n’en avait jamais entendu parler. Guère appétissant par ailleurs. Des petits crabes et insectes de sable couraient sur son corps, sans doute attirés par la chaleur. Ils essayaient avec leur petite magie de pénétrer la couche chitineuse (ou était-ce minérale) du ver. Leurs efforts ne semblaient pas couronnés de succès. En y regardant de plus près, DeuxLunes vit que le ver n’avait pas de bouche, ni de derrière. Tout était clos et fermé, c’était curieux. Il prit un bout de bois pour tâter l’animal. Celui-ci ne bougea pas. Peut-être était-il mort? Il le contourna et immédiatement, la coque se dissipa dans un flux de magie et un homme se mit debout en position de combat, son sac à dos tombant par terre, les mains prêtes à lancer un sort. Nox!

- DeuxLunes!

Ils restèrent figés de stupéfaction, puis tombèrent dans les bras l’un de l’autre. DeuxLunes vivait un réel soulagement, comme il n’en avait pas ressenti depuis longtemps et Nox était aux anges.

- Nox que fais-tu là! demanda DeuxLunes après l’avoir lâché.

- Et bien je viens t’aider! lui répondit Nox.

DeuxLunes fit un sourire courageux, mais il avait envie de pleurer de soulagement à nouveau.

- Tu n’aurais pas un peu d’eau alors? dit-il en s’affaissant par terre.

- Oui bien sûr, tiens, dis Nox tout inquiet. Ca va toi? Tu n’es pas blessé? Lui demanda-t-il pendant qu’il buvait.

- No-on, ça va, rétorqua DeuxLunes en buvant tout son soûl.

- Et tu as faim? J’ai de quoi manger.

- Ouiii, je suis affamé, j’étais en train de considérer te manger, toi le gros ver des sables, dit-il dans un sourire. Heureusement que tu t’es réveillé!

- Haha, évidemment je suis sûrement très intéressant à manger dans mon déguisement, pouah, tu as déjà goûté du ver des sables?

- Non et je m’en passerais bien tu vois.

- Hihi, tiens, prends ces algues, et ce poisson séché, j’ai aussi des galettes de crabe.

- Mmh, merci dit DeuxLunes en mâchant.

Le silence se fit un moment pendant la phase de mastication. Puis DeuxLunes, à qui il venait une idée, demanda: « Tu es venu m’aider comment Nox? Mon combat était fini quand j’ai vu ton éclair et juste après je me suis évanoui.

- Tu t’es évanouis, ah c’est pour ça que tu ne répondais pas! Tu étais dans la forêt?

- Oui je me suis caché où je pouvais et sans protection magique, j’ai eu de la chance. J’ai juste été réveillé par un scolopendre.

- Ah sale bête ces trucs là, enfant j’ai été piqué par un de ces trucs sur la plage et j’ai failli perdre mon pied. Ca t’empoisonne ces machins.

- J’ai bien pensé, on a des trucs similaires dans la forêt. Mais tu ne m’as pas répondu, tu es arrivé trop tard?

- Oui et non, je voulais t’aider, je suis arrivé trop tard, mais… en fait, je veux rester avec toi, je veux t’accompagner, asséna Nox légèrement tremblant. Il se doutait que DeuxLunes essaierai de l’en dissuader.

Celui-ci le regarda d’un air touché, ses yeux s’agrandissant comme des soucoupes puis il se mit à réfléchir et Nox se dit que qu’il penserait sûrement à le renvoyer alors il dit rapidement: « Que tu sois d’accord ou non, je le précise, je sais que c’est risqué, je sais que je peux mourir mais je m’en fous, je veux t’accompagner, je, je tiens à toi plus que je ne peux le comprendre, c’est comme ça, c’est instinctif, je dois rester avec toi. J’ai déjà fait mes adieux à tout le monde, ça n’a pas été facile, mais voilà, je suis là, c’est comme ça! ».

DeuxLunes était assez comique à regarder, bouche-bée mais il sauta vite sur ses pieds pour se jeter sur Nox et le prendre dans ses bras. Il n’avait jamais été aussi heureux et soulagé de sa vie. Il allait effectivement essayer de rejeter l’offre de Nox mais devant une telle conviction, il ne pouvait guère lutter, souhaitant en son for intérieur ne plus jamais être seul.

Nox fut ravi et soulagé de cette marque d’affection. Cela ne fit qu’augmenter son désir mais chaque chose en son temps, il n’allait pas révéler maintenant qu’il était amoureux, cela pourrait se révéler contre-productif. Il était décidé à aimer DeuxLunes envers et contre tout, y compris le refus de DeuxLunes. Après tout, il ignorait si il était homosexuel, hétérosexuel ou bi. Dans son village, les moeurs étaient très libres mais il savait que dans la forêt et plus loin, certains humains étaient revenus aux vieilles conventions d’avant la colonisation de l’espace.

Cela semblait ridicule après tous ces siècles passés d’ouverture et de permissivité sexuelle mais la planète avait beaucoup changé les humains et certains désirs n’étaient plus accueillis avec autant de tolérance. Bref, il valait mieux ne rien dire pour le moment. Et puis, peut-être fallait-il prendre un peu de recul et attendre de voir comment les choses allaient se passer. Nox se méfiait tout de même un peu des réactions impulsives, ce qui était un paradoxe car il était très impulsif, mais il avait suffisamment de bon sens pour pouvoir tempérer ses émotions et sentiments.

Il se mit à rire. Soulagé.

- Je suis content que tu le prennes comme ça, je croyais devoir te convaincre!

- Mais tu m’a convaincu! s’exclama DeuxLunes en riant lui aussi. J’étais simplement facile à convaincre. Tu n’imagines pas combien je me sens seul!

- Ah si j’imagine bien. Je l’ai perçu dans le rêve de la rêveuse, quand tout a commencé à partir en cacahuète, j’ai senti ta solitude et ta peur.

- Ne parlons plus d’elle! dis brusquement DeuxLunes. J’ai peur d’évoquer cela à nouveau, tu sais pourquoi.

- Oui pardon, je voulais juste expliquer, mais tu as raison, nous n’en parlerons plus, en tout cas pour le moment, il fit une pause.

- Mais il faudra en parler une fois, au moins à mot couvert, pour que nous puissions y réfléchir et trouver des solutions, tu ne crois pas?

- Oui c’est vrai, nous ferons ça, mais demain d’accord? répondit DeuxLunes. Pour le moment, je préfère ne plus y penser et me réjouir de ta présence. Et puis il faut qu’on bouge, tes amis pourraient venir nous chercher ou quelqu’un d’autre, il vaut mieux déguerpir. Tu as pris pour combien de jours de vivres et d’eau?

- Bah, trois ou quatre jours à deux j’imagine, l’eau pour moins longtemps. Je me suis dépêché. Elle va vite nous manquer.

- J’imagine que tu pourras nous créer de l’eau dans la forêt à partir de l’humidité de l’air, tu sais faire cela n’est-ce pas? demanda DeuxLunes.

- Oui, je peux le faire, et comme ça, l’autre ne te sentira pas, c’est ça?

- Oui j’imagine, j’espère.

- Ok alors mettons-nous en route!

Ils se préparèrent, effaçant un peu leurs traces comme ils le pouvaient. En se dirigeant vers la forêt, Nox se tourna vers la mer et le village au loin, à peine visible. Il soupira un instant, les larmes aux yeux. Puis il se détourna. DeuxLunes chercha son regard, lui serra les épaules en signe de compréhension tout en remerciant la planète de lui avoir donné un compagnon.

Ils s’engouffrèrent sous les arbres. Prêts à commencer leur aventure à deux.

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