XIX

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Jour 71





Irene Vedma m’inquiète. Ce n’est pas la première fois que je le pense, ni la première fois que je l’écris. Mes conversations avec elle sont rares mais me laissent toujours l’impression d’avoir effleuré un abysse terrifiant et d’avoir détourné le regard juste avant de faire une chute mortelle dans l’abîme. Aujourd’hui ce n’est pas d’une conversation qu’il s’agit, ni d’un pressentiment. J’ai vu quelque chose. Depuis que je travaille en collaboration avec la sorcière pour maintenir en état ce fort, elle s’est toujours assurée que je ne voie rien ou presque rien de ses rituels. Ses exorcismes, ses sortilèges et autres dissipations se font toujours seule dans une salle close. Le personnel du fort s’y est habitué. Ils semblent se moquer éperdument de ce qu’elle peut bien fabriquer, du moment que les sortilèges d’Osowiets sont bien dissipés. J’ai d’abord pensé que leur flegme était la bonne réaction à avoir, mais ce que j’ai vu aujourd’hui m’a persuadée du contraire. Je faisais bien d’être curieuse. Je faisais bien de m’inquiéter.


Je sais qu’avec les questions magiques, il ne faut jamais juger les choses sur leur apparence, je peux peut-être mal interpréter certaines choses, mais je crois bien qu’il faudrait que je sois folle pour ne pas m’inquiéter.


Aujourd’hui Irene a à nouveau dissipé un sortilège ennemi. Ce matin, juste avant le lever du soleil, la vigie a sonné l’alarme en voyant une nuée de créatures surgir du néant et se lancer à l’escalade des murs. Les formes noires qui grimpaient sur la muraille verticale sans difficulté ressemblaient à des araignées d’une taille monstrueuse. Il y en avait des centaines, et nos soldats horrifiés ont tout juste gardé assez de sang froid pour faire feu sur ces horreurs, avant de s’apercevoir que les balles leur passaient au travers.


Pour cause, Irene me l’a expliqué rapidement : les araignées étaient factices, de pures hallucinations créées par la sorcellerie sans doute pour cacher quelque chose. Comme à son habitude, elle a réclamé une salle où s’enfermer pour pratiquer son rituel et dissiper le sortilège, mais j’ai insisté pour y assister de mes propres yeux. Elle m’a lentement regardée de la tête aux pieds puis a craché un « non, vous n’avez pas l’état d’esprit pour. ». Le débat nous a fait perdre un temps précieux, pendant que la garnison n’était pas loin de céder à la panique, et Irene ne démordait pas, sans pour autant donner de bonne raison. Finalement, par peur de perdre plus de temps précieux, je l’ai laissée faire, mais j’ai suivi d’aussi près que possible tous ses préparatifs. Elle est d’abord allée dans ses appartements personnels où je n’ai pas pu la suivre, et elle en est sortie revêtue d’une robe brodée dans le style d’Osowiets avec un chaudron sous le bras et un sac en toile sur le dos. Je n’ai pu voir ce que contenaient ni l’un ni l’autre, mais ses ingrédients étaient nombreux et volumineux. Elle a ensuite choisi une salle vide au hasard et s’est enfermée dedans. J’ai attendu juste devant la porte pendant toute la durée du rituel. Cela aura été affreusement long. Même en tendant l’oreille, je ne distinguais rien de réellement intéressant. Des bruits étouffés, comme s’ils venaient d’excessivement loin, de par delà des barrières autres que les murs qui me séparaient de la sorcière. Des hululements, des halètements, une conversation en langue d’Osowiets et d’autres bruits spongieux que je n’arriverais même pas à décrire. Le rituel a duré plus d’une heure.


Quand la sorcière est sortie, elle était trempée des pieds à la tête. En la voyant, j’ai pensé que c’était de la sueur, mais maintenant je n’en suis plus si sûre. Elle m’a jeté un regard accusateur, et est repartie vers ses appartements sans se retourner, un sac vide à la main et son chaudron sous le bras.


J’ai bloqué la porte avec mon pied avant qu’elle ne se referme, et sitôt qu’Irene est sortie de mon champs de vision, je suis entrée dans la pièce. Là, j’ai bien failli m’évanouir, et pourtant j’ai déjà éviscéré des hommes à coup de sabre sur le champs de bataille. Le sang qui couvrait les murs n’était pas impressionnant en lui même, mais la manière dont a dû arriver ici est effrayante.


Pour décrire les choses de manière concise et orthodoxe, comme une noble de Branwerk devrait le faire, les six faces du polygone formé par la salle étaient rouge sang, recouverts d’une épaisse couche d’une substance rouge que j’estime être du sang séché. Le plafond, le sol, les murs, tout en était recouvert. En dehors de cela, il n’y avait rien d’autre dans la salle. Absolument rien.

Sur le coup, je suis restée immobile à observer cet aberrant prodige pendant un long moment, mais je n’ai pas réussi à rester de marbre plus de quelques minutes. L’air m’a paru rempli d’une odeur insupportable et je me suis précipitée hors de la salle pour reprendre une bouffée d’air.


Du reste, nous avons abattu les six saboteurs envoyés par Osowiets qui tentaient de s’infiltrer dans le fort sous couvert de cette nuée d’araignée. C’est de peu d’importance en vérité, mais l’étude ultérieure de la pièce ensanglantée m’a démontré que les traces sanguinolentes se désagrégeaient petit à petit. J’ai tout de même ordonné à deux sentinelles de me servir de témoin, pour m’assurer que je ne perdais pas la raison.



Bientôt, il faudra que je confronte Irene Vedma directement. Au fond de moi, je redoute ce moment.

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