XVI

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Jour 51

Dans la famille des von Machthand, nous avons toujours estimé que la noblesse se méritait plus qu’elle ne s’héritait. Je crois que c’est ce qui m’a toujours poussé à vouloir être irréprochable : je suis une chevalière, je ne peux donc pas me permettre de faire des erreurs, car ce serait non seulement déshonorer ma famille et sa dignité, mais ce serait surtout une insulte envers tous ceux qui ne sont pas nés avec les mêmes privilèges que moi.

J’ignore pourquoi je sentais le besoin d’écrire ceci. J’ai le sentiment d’avoir fait une erreur et que la victoire d’aujourd’hui ne peut pas vraiment être considérée comme telle. Pourtant, si j’y réfléchis de manière mathématique, nous nous en sommes bien sortis. Nos contre-attaques audacieuses ont brisé le moral ennemi, la pénétration du front par les deux flancs exercée par nos véhicules marcheurs a eu l’effet escompté, et les poursuites ont permis de faire des victimes et des prisonniers en grand nombre, tout cela pour des pertes humaines relativement faibles. Seulement, je ne peux plus me sentir aussi bien qu’avant alors que je me tiens dans ma chambre et écris dans mon journal. Je n’ai pas encore fait remplacer Reiner. Sa chambre est vide. Je ne sais pourquoi, je ne crois pas que je supporterais que quelqu’un d’autre prenne sa place, du moins pas aussi vite. Ça serait comme reconnaître qu’il n’était qu’un pion remplaçable, et naturellement il ne l’était pas. Guère loquace, mais fidèle jusqu’au bout. Sa mort m’a fait douter que j’aie bien mérité de naitre dans la noblesse.

Au début de l’assaut ennemi je pensais qu’on était parés à tout. J’allais finaliser les préparatifs du combat, tous les canons étant chargés et parés à tirer sur les premières cohortes d’assaut d’osowiets, puis l’adjudant chef Gottfried zu Reinschwartz a débarqué en trombe, couvert de sueur et rouge d’anxiété. Tous les véhicules marcheurs de combat, tous, refusaient de marcher. Les moteurs souffraient d’une avarie qu’on ne s’expliquait pas, un sabotage dépassant l’entendement, des gremlins assuraient certains pilotes. Sans sourciller, j’ai envoyé Irene jeter un œil aux véhicules, et j’ai revu mes préparatifs pour le combat. J’ai décidé de me tenir sur les murs, pour m’assurer que les assaillants qui parviendraient à grimper sur les murs soient repoussés avec le maximum d’efficacité. J’ai moi même dégainé mon sabre et suggéré à l’infanterie de préparer les baïonnettes. Une charge à la baïonnette est toujours une tactique risquée, et certains en Brandwerk la méprisent comme étant un gâchis qui ne tire pas assez profit de nos technologie et de nos armes supérieures, mais la charge à la baïonnette incarne la faculté de choc entre les deux armées, et c’est ce choc qui peut briser le moral de l’ennemi et le mettre en déroute au moment choisi sans avoir à se reposer sur un long combat d’usure avec échanges de tirs. Il est nécessaire pour cela de surveiller très attentivement le champs de bataille, car une charge à la baïonnette lancée exactement au bon moment peut faire tourner court une bataille et l’écourter suffisamment pour limiter les pertes. Seulement, si la charge n’est pas lancée exactement au bon moment, elle est assurée d’échouer lamentablement ou en tout cas d’encaisser des pertes horrifiantes. Pour cela, j’estime qu’un général qui ordonne une charge à la baïonnette sans être au plus proche du champs de bataille est irresponsable.

Sur le moment aussi, je voulais en découdre. Cela avait fait trop longtemps que je n’avais pas eu l’occasion de mettre à l’épreuve mes talents d’escrimeuse, et les attaques magiques d’Osowiets m’avaient irritées au plus haut point. Je voulais trancher des gorges et larder des ventres. Oui, c’est exactement là qu’était le problème.

Leurs assauts étaient précédés par une odeur de souffre atroce. Ils ont réussi à faire apparaître un écran de fumée pour empêcher nos mitrailleurs de les abattre pendant qu’ils avançaient. J’ai tout de même ordonné de canarder la zone, mais leur cavalerie réussi à se frayer un chemin jusqu’au mur et à placer des charges explosives pour mettre hors service les nids de mitrailleuse. Ensuite, plusieurs vagues sont passées, et de nombreux grimpeurs sont parvenus à lancer leurs grappins. J’allais ordonner de les trancher, quand dans un éclair à l’odeur de souffre, une cohorte de soldats est apparue spontanément sur nos murs et s’est ruée sur nous. Ils ont utilisé je ne sais quelle magie pour se transporter directement sur nos murs, pendant que leurs renforts arrivaient en escaladant. Dans le feu de l’action, l’ennemi a réussi à abattre notre étendard de division, je me suis donc frayée un chemin jusqu’à lui et l’ai récupéré en éventrant le soldat osowiet qui voulait le voler. Avec notre puissance de feu supérieure, nous avons réussi à faire plier l’ennemi, et quand j’ai repéré dans le regard de leurs troupes d’assaut qu’ils hésitaient à poursuivre le combat, j’ai immédiatement ordonné la charge et j’ai avancé en première ligne avec l’étendard que j’ai planté contre le mur avant de dégainer un pistolet avec mon sabre. J’ai continué à motiver l’assaut, mais au final je ne pensais plus qu’à repousser l’ennemi à la seule force de mes armes. Dans l’affaire, on m’a tiré dessus avec un fusil à canon scié. Je ne pouvais pas l’éviter, mais heureusement une silhouette plus colossale que la mienne s’est interposée pour essuyer les dégâts à ma place. Reiner. La moitié de son buste a été arraché par l’impact, et il a été brulé du nombril jusqu’au visage. Il est mort en serrant les dents pour ne pas hurler de douleur.

Finalement, la première vague a été repoussée. Je m’en suis retirée sans blessures. Pendant ce temps, Irene avait résolu le problème des machines. Les kolduns avaient réussi à faire se glisser des génies maléfiques (je crois qu’irene les appelle domovoï) qui ont pris possession des moteurs et les ont empêchés de chauffer. La sorcière n’a eu qu’à les intimider et en détruire quelques uns à coup de zagovor. Les affaires de sorcière...

Je me sens lasse. Je n’ai pas envie de décrire la suite de la journée, j’en écrirais un rapport réglementaire au haut commandement de toute façon, mais comme cet épisode ne figurera pas dedans, il fallait que j’écrive quelque part comment est mort Reiner. Ne jamais l’oublier.

L’essentiel est que l’ennemi a été vaincu aujourd’hui. Peu importe que j’aie maintenant une tenace envie de vomir. Ça passera. Ça passe toujours.

J'ai l'impression que la guerre a cessé d'être excitante depuis que je suis ici.

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