V

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Jour 8,

Je me pose toujours des questions, mais je ne suis plus certaine d’en vouloir les réponses. Cela fait une semaine maintenant que je suis à Nachtwall, et je crois bien que c’est aujourd’hui seulement que j’ai eu pour la première fois une véritable conversation avec Irene Vedma. Je n’avais jusque là échangé avec elle que des banalités lors des repas au mess des officiers. Elle me semblait distante et méfiante, mais aujourd’hui j’ai eu l’occasion d’être seule avec elle, autour de quelques tasses de thé. Je lui ai fait part de certaines de mes préoccupations concernant le fort, et à ma grande surprise elle s’est montrée très engageante et m’a répondu à chaque fois en donnant son avis sur chaque question. J’ai pu étudier un peu plus sa personne. Elle m’a l’air assez laxiste sur la discipline, privilégiant l’efficacité avant tout. Elle a toujours l’air d’observer les choses sous un angle mystique en addition à l’angle concret, et même si elle est distante, elle m’a semblé faire preuve d’une grande dévotion à la cause de Brandwerk. Sa voix est à la fois douce et froide, et malgré mes efforts pour y déceler un accent étranger, force m'est de reconnaitre qu'elle parle la langue aussi bien que moi. Quand il n’y avait plus personne autour de nous, elle s’est allongée sur sa chaise et a retiré sa veste pour se mettre à l’aise. Je n’ai pas fait de commentaire sur la façon dont elle traitait son uniforme, car j’étais trop intriguée. Elle porte une myriade de colifichets à son cou et aux poignets, mais ce qui m’a le plus choqué ce sont les innombrables scarifications qui couvrent ses avants bras et ses mains, des estafilades de toutes les tailles et de toutes les formes, partant dans toutes les directions, telles qu’aucune arme ne peut en faire en une fois. Je lui ai demandé si c’étaient des cicatrices d’un combat à l’arme blanche, tout en sachant pertinemment que ce ne pouvait être cela. Elle a alors ricané avant de m’expliquer que c’étaient des mutilations nécessaires pour ses rituels et incantations. Elle a affirmé que ça ne lui faisait pas mal, puis elle s’est mise à m’expliquer des choses que j’aurais mieux aimé ne pas savoir.

Irene semblait plus à l’aise que je ne l’ai jamais vue auparavant. Je ne sais pas si c’est parce que nous étions seules, si c’est le fait de boire du thé, ou si c’est simplement qu’elle a décidé de ne plus m’éviter depuis une semaine qu’on se connaît. En tout cas, elle s’est mise à m’expliquer des choses sur la magie d’Osowiets. Je pensais d’abord que ça m’intéresserais, mais j’ai alors compris pourquoi notre pays comptait si peu d’experts en sorcellerie. Elle m’a parlé de ses chorts, d’esprits malins qui courent dans chaque ombre, de rituels pour éloigner les uns et attirer les autres, de son panier en osier dans lequel elle gardait enfermés des démons pervers qu’elle laissait sortir pour ses rituels, et je passe le pire. Je ne veux pas écrire certaines de ces choses dans mon journal, parce que je veux les oublier sitôt que possible. Je veux me réveiller demain en ayant oublié l’essentiel de ce qu’elle m’a raconté, ou ne plus en avoir que ces souvenir vagues comme on a après un rêve. Je ne l’ai pas laissée aller aussi loin qu’elle l'aurait voulu. Malgré moi je me suis sentie très mal à l’aise. J’avais l’impression que des choses invisibles couraient tout autour de moi. Je l’ai interrompue assez brutalement, je l’avoue, et je suis partie en prétextant devoir aller aux toilettes. Je ne lui ai plus parlé du reste de la journée.

Je ne suis pas superstitieuse, mais ce dont Irene parlait ce n’était pas de superstitions, mais de phénomènes réels, concrets, qui peuvent avoir et ont déjà eu un impact sur nos existences et sur certaines grandes batailles de notre histoire. J’ai peur, je l’avoue, moi qui pensais être à l’abris de tels sentiments. Maintenant que j’ai une idée, si vague soit elle, de ce à quoi ressemblent les enchantements et contre-enchantements d’Osowiets, je me dis que les gens de la capitale sont bien idiots de qualifier les villageois de l’est de superstitieux. Ces gens ont dû voir et recevoir de plein fouet des choses qu’aucun humain ne pourrait supporter sans broncher. En tout cas, ma tâche ici s'annonce bien plus pénible que le commandement d'une garnison ordinaire, l'aspect surnaturel étant au centre de tous les affrontements avec Osowiets.

Avec tout ça, j’en ai oublié le reste de mes affaires. On m'a signalé ce matin que trois soldtas ont été mis aux arrêts après avoir tenté d'agresser leurs camarades. Je n'ai même pas pensé à aller les visiter pour savoir ce qui s'était passé. Je n’ai plus vraiment la tête à cela. Je vais immédiatement me mettre au lit et essayer de m’endormir le plus vite en espérant ne pas faire de cauchemars.

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