Martini taste

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L'homme sentit son couteau dans sa poche, il descendit sa main pour le caresser. Il ne cessait d'y penser depuis toujours, ce couteau était important. Il espérait simplement que son rôle n'était pas de se trancher les veines. Un boulot facile. 5000 euros liquide pour 5 semaines de travail. Pas mal pour ce genre d'affaire. Le viol d'un adolescent jamais reconnu. Il s'alluma une cigarette, blonde, bon marché, digne d'un inspecteur de polar. Mais il n'était pas inspecteur, il était juste doué pour enquêter et il manquait d'argent. On ne lui avait pas dit qui rouvrait l'affaire, il avait simplement reçu une lettre contenant 2000 euros, diverses indications et un endroit où commencer à chercher. Chercher. C'était un jeu, un passe-temps qui lui permettait de jouer le rôle de l'inspecteur fatigué pour remplacer celui de l'écrivain torturé, une distraction en somme. L'homme s'était souvent rendu compte qu'il pouvait se placer dans des rôles juste en pensant à une phrase. Il pleut, encore, je hais ce putain de pays. Et voilà qu'il devenait aigri, malade, blasé et en colère contre tout ce qui existait, puis le lendemain une serveuse lui souriait et il devenait le jeune homme fou d'amour, prêt à avaler le Soleil pour un baiser imaginaire. Il aimait le rôle du détective, Harrison Ford dans Blade Runner, l'américain dégoûté qui fume sous une pluie au goût acide. L'affaire commençait à Nantes, il connaissait cette ville mais il ne savait pas d'où et quelque part il ne voulait pas le savoir. Une ville de bourgeois qui veulent se rebeller, une classe moyenne élevée aux jeux de rôles et au socialisme sans révolution, peu de pauvreté mais quelques crimes dû à la drogue consommée par les jeunes riches qui veulent s'éloigner de leurs parents de façon pathétique et violente. Comment il connaissait tout ça ? C'était une bonne question mais il n'avait pas envie d'y répondre, il choisissait d'apprécier le goût du café qui lui restait dans la bouche et de tousser à cause de son asthme.

 Le soir même le grand investigateur sans fonction était à Nantes, peu importe comment l'important était qu'il se trouvait maintenant dans un hôtel pourri totalement hors de prix dans le centre. Il décida de sortir commencer par se renseigner. L'enfant avait habité dans le quartier de Doulon, la classe moyenne qui insultait la société mais savait s'y plier, les révolutionnaires modérés. Il entra dans un bar, Les Fleurs du Malt et commanda une pinte d'ambrée, le prétendu violeur y était habitué et il comptait boire avec lui, la meilleure façon d'en apprendre sur quelqu’un. Un bar à bières plutôt chic, pas le repère classique du tonton alcoolique. Une ambiance New-Yorkaise d'artistes traînait dans l'air, comme une mélodie qui se propageait dans les odeurs d'orge, de houblon et de malt. Ce martini est proprement délicieux. Quelque chose n'allait pas. Tu n'es pas James Bons idiot, détourne ton regard de ces filles et cherche ta cible. Il suffit d'un regard pour remarquer qui clochait. Un vieux du double de son âge qui se saoulait aux martinis, notre enquêteur détestait cette boisson, mauvais souvenirs. Il s'approcha et commanda un nouveau martini pour l'homme, puis il s'assit lentement, mesurant chacun de ses gestes comme dans un film de cow-boy et posa sa veste sur le bar. « Je savais que tu reviendrais Alexandre. Suis-moi. » Le violeur descendit son martini et sortit du bar. Le détective régla l'addition et le suivit à-travers les ruelles, quelques mètres en arrière. Qui était Alexandre ? Il ne voulait vraiment pas le savoir, que l'autre ait l'impression de le connaître l'arrangeait franchement. Ça sera plus facile que prévu, une pinte, une discussion, quelques coups de poings et rideau. Cette foutue ville lui était familière, les lampadaires étaient tristes, l'air était sombre et le ciel puait l'espoir de la nouveauté, il se sentait chez lui et cela le mettait mal à l'aise. Le même sentiment mais en plus désagréable que lorsque l'on ressent ce qu'il appelait une réminiscence, cette sensation lors d'un coup de vent par exemple de voir resurgir milles souvenirs sous la forme d'un tableau impressionniste, peu clair, peu net mais trop sincère pour n'être jamais arrivé. Finalement l'homme s'arrêta devant une porte en bois, massive avec des couronnes antiques et piastres sur les côtés. Alors voici le château d'un violeur, imposante demeure pour un monstre, le château des géants de Jack et le haricot magique. Cette image le fit sourire. Le criminel ne lui accordait aucun regard et pourtant même son dos trahissait sa culpabilité, en le regardant l'investigateur avait l'impression d'avoir été témoin du viol de ce petit garçon. Ils montèrent les escaliers et entrèrent dans un appartement bordélique. Y régnait une vieille odeur de cigarette et de souvenirs, des tas de bouquins empilés, et des lames de rasoir pleines de sang jouxtant des cotons-tiges et du désinfectant. Le vieux a tenté de se tuer, plusieurs fois, trop lâche pour réussir. Le plus absurde dans cet appartement d'un immeuble haut de gamme, était la multitude des cendriers. Il y avait peut-être vingt cendriers répartis dans tout l'appartement, tous pleins à craquer, comme si le vieillard avait trop peur de les vider et en achetait sans cesse de nouveaux. Ce taré est encore plus tordu que moi. Il caressa son couteau dans sa poche, un duk-duk, très bon outil, tranchant mais sale. Les deux hommes s'assirent face à face, le jeune homme et le vieux, le père et le fils. Il manque plus que le Saint esprit., pensa le plus jeune en raillant ses pensées. « Bon, on commence ? » En réponse le vieillard lui servit un martini et s'alluma une cigarette, le détective fit de même. Sa mâchoire craqua en recevant la boisson. Que je hais ce truc... Il but sèchement le martini et sentit sa tête dodeliner, comme lorsqu'on frissonne, choc émotionnel. Il sentit ses mains se crisper. « Alexandre... » fit le vieillard et notre héros sentit qu'il allait perdre la tête. « Alexandre, je... » Il poussa un gémissement en menace : « M'appelle plus comme ça espèce d'enfoiré ou je te promets que je te tranche la gorge aussi sec ! Pourquoi t'as violé ce petit garçon hein ? Il avait 13 ans, ses parents venaient de mourir et t'en as profité salaud, oh oui je me rappelle bien comment t'en as profité pendant les années qu'ont suivies... Tu croyais quand même pas que j'allais oublier ? Personne en avait rien à foutre et t'avais trop de fric de toute façon, mais j'ai pas pu oublier... Non non non, j'ai pas pu, pas pu-u... » Le couteau d'Alexandre le démangeait mais il ne s'ouvrirait pas les veines avec, la lame était trop sale. « Alexandre... » La lame cruelle, souillée, cingla l'air et un flot de sang s'écoula sur le sol, un cendrier neuf tomba du manteau du vieillard et Alexandre pensa : « Mais qui m'a envoyé l'enveloppe ? Je crois que j'ai envie d'un martini. Je hais cette putain de ville. ». Et l'homme éclata de rire. Rideau.

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