Le chasseur et le loup

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Il n'était pas le plus courageux, il n'était pas le plus fort ni le plus grand ou le plus intelligent. Il n'était pas particulièrement vif ou précis et ce n'était pas un grand guerrier. Ils l'avaient choisi parce que c'était un bon chasseur et qu'ils savaient qu'il accepterait la tâche sans esclandre et partirait immédiatement. Tels étaient les mots que Mériadoc se répétait sans cesse dans son esprit en essayant de se convaincre, mais revenait imperturbablement la même dure vérité. Ils m'ont choisi parce que je ne suis pas irremplaçable. Il n'avait pas de famille en-dehors d'un lointain cousin qui ne connaissait pas son nom, pas de fonctions importantes le village pullulant de chasseurs aux mérites plus grands que les siens, pas d'honneur à défendre, de vengeance ou de querelle à poursuivre et personne ne se préoccupait vraiment de s'il vivrait ou nom. Cela devrait l'attrister, il le savait, qu'on se débarrassât de lui ainsi mais au contraire il s'en réjouissait. Sans avoir souvent essayé de s’intégrer et de se faire apprécier par le reste de la tribu, il avait toujours voulu se trouver une place plus utile dans la société. C'est ma chance. Voilà dix jours d'après les anciens que la nuit était arrivé, et dix jours qu'elle restait. Lorsque les druides s'aperçurent du problème, ils commandèrent des sacrifices d'animaux et des offrandes votives à l'ensemble de la communauté. Mériadoc céda alors sa meilleure fourrure quand certains abandonnaient le cochon qui devait les nourrir cet hiver. Mais quand les animaux et les babioles ne suffirent plus... Mériadoc fut alors très heureux de n'avoir jamais eu de querelles avec qui que ce soit. Un homme qu'on avait accusé d'avoir volé aux dieux fut égorgé et un garçon qui avait lâché une mauvaise plaisanterie fût immolé devant la maison du chef pour Belenos et sa lumière. C'est pendant que les druides débattaient de qui ils comptaient brûler que l'étranger arriva. Il avait la stature d'un homme mais son visage était camouflé par un long manteau en plumes de corbeau dont un bec immense terminait le capuchon sur lequel d'immenses bois de cerfs étaient élevés. Il chevauchait un gigantesque sanglier au yeux rouges dont coulaient des larmes constantes et il arriva avec la brume divine, depuis la forêt. Les druides s’inclinèrent suivis des artisans, des paysans, des chasseurs, des pêcheurs et finalement des chefs, tous inclinés devant Cernunnos le dieu-cerf. Le dieu circula un moment parmi les agenouillés et il prononça ces paroles : « Vous avez fâchés les dieux ! Vos pathétiques offrandes et vos piètres sacrifices sont vains et irritent jusqu'à Belenos. C'est la fumée de votre bêtise qui obscurcit le ciel ! Mais vous pouvez réparer vos erreurs, racheter la confiance des dieux. Il existe un moyen de vous sauver de la famine qu'apporte la longue nuit. Bientôt vous enverrez un de vos guerriers dans la forêt, il partira à l'Est et cherchera une ancienne forteresse. Là il trouvera une sorcière et sa famille, il devra les tuer sans hésiter, ramener leur petite fille en sécurité, et quand il reviendra, la longue nuit finira. » La brume le suivit comme un esclave rampant et il repartir dans la forêt, vers l'Est.
 C'est également à l'Est qu'était parti Mériadoc ce matin, après une nuit incessante de débats auxquels il n'avait pas été convié, les anciens décidèrent « qu'il était le plus apte à porter ce noble fardeau », mais il n'était pas dupe. Pourtant, il obéit et il marchait depuis des heures dans la nuit sans fin et sans lune, la forêt impénétrable aux nombreuses légendes l'encerclant de légendes. Lorsqu'il se sentit trop épuisé pour pouvoir marcher encore, il monta le camp, une couverture et un feu pour sa nourriture. Il n'y avait pas de repères dans la nuit, alors il se lèverait quand il serait en forme. Un poisson fut rapidement cuit et plus vite encore digéré, une outre de vin à demi vidée et Mériadoc s'allongea sur la mousse. Étonnamment, la nuit était chaude et douce pour l'Automne, les animaux ne semblèrent également pas le déranger. Il pensa d'abord à l'endroit qu'il avait choisi, entouré d'un bosquet de saules pleureurs et loin des ruisseaux et se dit qu'il était en sécurité. Il regarda ensuite le ciel froid sans lune, l'astre cendré ne lui manquait pas, il trouvait les étoiles douces et chaudes comme le corps d'une femme et s’assoupit en sachant qu'elles veilleraient sur lui. Quand il se réveilla, il eut le réflexe de se recoucher pensant qu'il était tôt puisque la nuit était noire. Au bout d'une heure il se rendit compte de sa sottise et se leva. Du bacon, du bœuf séché, du pain rassis et le voilà repartis. Au bout de plusieurs heures de marche, il arrivait à un vieux pont en pierre sous lequel coulait un petit torrent. C'était la limite de ses voyages et de ceux de sa tribu, jamais personne n'avait été au-delà. Il avait bien essayé, enfant, mais les contes lui avaient fait prendre peur. Il ressentait la même sensation de malaise au fond de lui. Il s'arrêta un moment, songeant à prendre la fuite et à s'installer dans un autre village. Puis il repris sa route et à l'instant où son pied toucha l'autre rive, un chemin de torches s'enflamma pour le guider. Du pont jusqu'à la sorcière sur des kilomètres. Il sourit et se sentit rassuré. Cernunnos est avec moi, les dieux me guident. Si je meurs, je ne serais pas seul dans le noir. Le chasseur s'arrêta soudainement, se baissa et écouta. Des branches qui craquent, un animal qui marche. Ses yeux se reportèrent sur les ombres plus loin sur le sentier. Il s'efforça de distinguer des silhouettes qui ressemblaient à des marcassins difformes. En se penchant pour mieux voir, le chasseur fit s'agiter des feuilles sous son pied et les silhouettes se tournèrent brusquement. La première chose qu'on apprends en tant que chasseur, couvrir nos pas. Les silhouettes s'approchaient doucement, puis plus vite. Plus elles allaient vite, plus elles grossissaient. A une vingtaine de pas de lui, il put percevoir leur véritable forme, d'immondes créatures gonflées de la taille d'un très grand homme, ils y en avaient deux. Les pupilles du chasseur s'agrandirent, il frissonna et ses bras lui semblèrent soudain aussi faibles que ceux d'un enfant. Il saisit gauchement son arc et une flèche. Des korrigans. Les monstres n'étaient plus qu'à dix pas. Il banda son arc. Mériadoc connaissait toutes les légendes sur ces monstres, celle de l'orphelin, celle du butin de la femme avide, il savait où frapper. Ses doigts tremblaient, il banda son arc et visa le cou de la créature, il atteignit la jambe. Le chasseur tremblait et lâchait des piaulements aigus et apeuré. L'autre korrigan s'arrêta un instant pour considérer son congénère. Mériadoc saisit une nouvelle flèche qui lui échappa des doigts, une fois, deux fois, trois fois... Il fut sur le point de hurler de terreur quand il se rappela le conte de la femme avide et de comment elle avait chassé les monstres maléfiques. Il arracha ses fourrures et retira sa chemise. L'être maléfique reprit soudainement ses esprits, un rictus malsain était peint là où une bouche se serait trouvée. Des dents pointues qui semblaient sourire et enrager dans le même temps. Merry replaça sa chemise à l'envers et le korrigan recula comme éblouit. Il trébucha sur le cadavre de son compagnon et resta sans bouger un moment à mépriser l'homme terrifié. Puis Merry décocha une nouvelle flèche, manquée. La peur avait cédé le pas à l'ardeur de la bataille et à l'ivresse du sang. Les yeux du chasseur s'abreuvaient déjà du fluide vital de la créature en rêve. La peur rendit à nouveau la créature chétive et faible, pas plus grand qu'un enfant mais moins vigoureux, les côtes dégarnies, un gobelin malade qui s'enfuit en pleurant. Alors qu'il s'apprêtait à rejoindre l'orée des bois, la pointe cruelle s’abattit dans sa cheville et il rampa en hurlant. Si son sang était vert et tari, ses larmes étaient humaines. Le chasseur s'assit un moment, écoutant les lamentations de la créature, il se sentit pris de pitié pour elle. Quand il eut repris son souffle, il ramassa sa flèche dans la jambe de son compagnon qui s'était vidé de son sang et s'approcha du blessé. Il l'entendit lui demandez de l'épargner dans une langue inconnue qui ressemblait à une succession de gargouillis, ou peut-être était-ce le sang qu'il avait dans la bouche. Il plongea sa flèche dans le torse de la créature par pure clémence et récupéra ses armes par l'empennage. Il reprit sa route.
Il arriva face à une immense maison de la taille du hall des anciens. Si les murs étaient en pierres, le toit était en bois et une poutre arrondie cerclait se centre de la maison, seulement arrêtée par la porte. L'architecture était assez proche des maisons qu'il avait vues dans certains oppidums, mais ici, en pleine forêt ? Il n'y avait probablement rien d'humain là-dedans. Il déposa son sac, son arc et ses flèches dans les fourrés. Une douce lumière chaude émanait d'un feu dans la demeure, quelque chose de familier, qui rappelait son enfance à Merry. Il le sentait, rien de mal ne pourrait lui arriver à l'intérieur. Il aurait dû être submergé par la peur ou le doute, il le savait, mais une irrépressible envie d'entrer se réchauffer près de cet âtre familial ne lui laissa aucun doute. Il longea les murs jusqu'à l'unique porte, du bois, du chêne massif taillés pour représenter des épisodes légendaires. Il en connaissait la plupart, la course d'Andarta, le chien-roi plus intelligent que les hommes, le guerrier peint et son char fait à-partir des os de ses ennemis. Les mêmes légendes que celles qu'on me racontait enfant, avant qu'on ne m'écarte des autres. Il fut soudainement envahit par un malaise, la chaleur lui donnant la sensation d'avoir une épine dans le dos et la douceur se transformant en un crissement malsain. Il enfonça la porte et dégaina son épée de fer. Où est la sorcière ? Face à lui se trouvait un homme moyennement âgé à la barbe légère et aux cheveux disparus, deux jeunes hommes d'une quarantaine de saisons et une petite fille de 13 ans peut-être. Ramener une petite fille en sécurité. « Ce doit être le dieu-cerf qui vous a envoyé, ils nous avait dits qu'il enverrait quelqu'un pour... » Le coup était adroit, la jugulaire de l'homme vomissait des flots de sang alors qu'il continuait à proférer des paroles inaudibles. Le deuxième coup porté dans la poitrine transperça le cœur du père et acheva de le rendre muet. Il se tourna ensuite vers les deux garçons. L'un fut aisé à tuer, il essayait de s'enfuir et Mériadoc n'eut besoin que d'un réflexe pour le frapper, il n'avait pas pensé, juste agit et le garçon s'était retrouvé affalé sur le sol, éventré. Le second fut plus difficile. Il commença à frapper l'envoyé du dieu, mais ce n'est pas là ce qui le dérangeait. Merry commençait à prendre conscience de ses actes et il détournait les yeux en frappant le garçon ce qui rendait les coups incertains et prolongeaient l'agonie de l'adolescent qui hoquetait chaque fois que la lame le touchait. Quand le bruit cessa et que le chasseur se retourna, le jeune homme avait le visage en bouillie et pourtant un de ses yeux semblait lancer un regard rêveur. Il rêve de la vie qu'il aurait pu avoir, celle que je lui ai prise. L'assassin essuya son arme et la replaça dans son fourreau en jetant des regards perdus autour de lui, il ne savait plus quoi faire ou pourquoi. Au bout d'un instant, il finit par remarquer la fillette. Elle n'avait pas bougée depuis le début du massacre et restait figée, hagarde. Merry la saisit brusquement et la plaça sur son épaule, elle lui semblait aussi légère que la plume. Elle était la raison de tout ça, la seule chose qui restait au chasseur pour se consoler. Le dieu avait dit qu'il fallait la sauver et voilà, il s'était exécuté. Il commença à marcher avec la petite fille sur son épaule, pris d'un immense amour pour elle, ressentant pitié pour elle et étant prêt à se sacrifier s'il le fallait. Ils marchèrent pendant des heures, l'esprit vide de pensées. L'enfant ne résistait guère, trop choquée, trop marquée par le meurtre de sa famille. Elle ne reparlera plus jamais, elle n'aura que ce moment en tête. Il la posa et elle ne bougea pas. Mériadoc leva les yeux au ciel, offrant son âme aux étoiles. Peut-être que les arbres répercuteront mes actes jusqu'au étoiles. Peut-être que... Un gigantesque sanglier jaillit sur le sentier. Il avait le cuir noir et les yeux rouges comme le sang, de la fumée grise s'échappait de ses narines et il semblait brûler de l'intérieur. Il se précipitait sur Merry. Le chasseur chercha des doigts son arc et ses flèches, en vain. « Ils sont dans la forêt ! » fut tout ce qu'il arriva à prononcer dans une exclamation de panique pure. Il pressait sa main à la poignée de son épée et l'instant d'après il était projeté au sol dans pouvoir la dégainer, piétiné par la bête qui broyait ses os et faisait couler son sang. Il hurlait comme un ours qui souffre mais ses cris étaient étouffés par les arbres. Dans la furie de la bête, il ne parvenait pas à voir les étoiles. Bientôt le sanglier disparu et le dieu fit son apparition. « Veux-tu vivre chasseur ? » Mériadoc ne répondit pas, il n'en savait rien. « Tu dois me répondre, veux-tu vivre chasseur ? » Mériadoc aperçut le temps d'un éclair la petite fille, il se devait de veiller sur elle. « Je veux vivre. » Jamais paroles n'avaient été prononcées avec tant de solennité. Celui aux bois de cerfs se pencha sur son cadavre et versa un liquide blanc, aqueux sur son visage. Mériadoc tourna de l’œil, laissant place au chasseur. Lorqu'il repris conscience, sa peau était couverte de poils et son corps était loup à deux pattes. Il sentait des odeurs qu'il n'avait jamais connues et goûtait de nouvelles saveurs. Il se repaissait d'un corps, mais lequel ? Le loup observa et continua de boire le sang, Mériadoc reconnut la petite fille. Il tenta d'arrêter cette boucherie, mais le chasseur en lui était plus fort, il ne pouvait lutter. Le loup dévora la petite fille, et derrière lui, il entendit le dieu applaudir.

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