Chapitre III : Discipline et ordre

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Narval, 11 février 2223

 Pietre rangeait les stocks de la dernière cueillette. Malgré ce que disait le commandant du subaquatique, il remarquait que les provisions de certaines espèces de poissons diminuaient, et ce n’était pas nouveau. Depuis presqu’un an, les chasseurs avaient du mal à ramener de belles prises. Bien qu’il n’était que cueilleur et que la tâche des chasseurs était différente de la sienne, il voyait que l’océan abritait de moins en moins de beaux spécimens. Les poissons étaient petits et certaines espèces devenaient introuvables dans leurs eaux. Mais les chasseurs se voilaient la face, ils trouvaient des excuses comme l’heure de la chasse qui n'était pas propice. Pietre ne les aimait pas particulièrement et trouvait leur nom particulièrement ridicule, après tout, c’était de la pêche pure et dure, rien de plus.
 Lors de sa pause-déjeuner, il rentrait à sa cabine pour manger les restes de la veille qu’il avait secrètement ramenés. Le Narval n’autorisait pas ses résidents à dissimuler de la nourriture dans leur cabine. Il y avait une politique de vie très stricte et il valait mieux la respecter si on ne voulait pas avoir de problèmes. Mais Pietre avait un besoin de liberté, ou plutôt un besoin de vivre à sa façon qui dépassait sa peur d’être sanctionné.
 Le Narval était dirigé par un sexagénaire qui ne se présentait jamais directement devant les résidents, le second de commandement était son intermédiaire et celui qui s’adressait aux résidents pour faire régner l’ordre. La voix de ce dernier se fit entendre dans les mégaphones du couloir où se trouvait la cabine de Pietre. Il était demandé aux chasseurs et aux cueilleurs de se rendre dans la salle des commandes. Pietre souffla et sortit dans le couloir où il retrouva ses camarades sa section. Ils arrivèrent dans la salle où se trouvait Konan. Il se tenait droit, stable sur ses pieds, les mains derrière le dos. Il était l’une des rares personnes de couleur noire à avoir un poste si haut placé. Le portugais s’était retrouvé à bord du Narval grâce à ses arrières grands-parents paternels.   L’apocalypse avait eu lieu alors qu’il n’était pas encore né, son grand-père, Ricardo, n’avait que sept ans et avait suivi ses parents. La logique aurait été que ses arrières grands-parents rejoignent le subaquatique d’un pays européen, qui, contrairement au Portugal, avait les moyens d’en acheter ou d’en construire un. Seulement, la Troisième Guerre mondiale avait éclaté et il était impossible de rejoindre les subaquatiques français, allemand ou italien, les risques étaient trop grands. L’amérique du Nord n’acceptait pas d’étrangers, ayant déjà du mal à accueillir ceux d’Amérique latine. Ils ne leur restaient que deux options, la Russie ou le Japon. Les arrière-grands-parents de Konan étaient d’origines portugaises et de couleur noire, ils avaient donc moins confiance en la Russie qu’au Japon et décidèrent de tenter le tout pour le tout. Alors que la guerre faisait rage dans le monde entier, ils prirent un bateau à destination de l’Asie. Ils réussirent à atteindre la baie de Tokyo et à monter à bord du Narval. Jamais Konan n’avait su comment sa famille avait réalisé cet exploit, son grand-père ne lui en avait jamais parlé. Une chose était sûre, le prix à payer avait dû leur coûter plus que de l’argent. Ses arrière-grands-parents faisaient partis des rares passagers n’ayant pas d’origines asiatiques et ils en souffrirent beaucoup. Heureusement, la grand-mère de Konan, Cho, avait été très accueillante et essayait de leur rendre la vie plus facile, bien que le racisme était très lourd à porter, surtout pour son grand-père avec son jeune âge. Au fil des années, les deux enfants tombèrent amoureux l’un de l’autre et mirent au monde Tiago, moitié portugais, moitié japonais, bien que ses traits européens étaient plus marqués. Pour autant, les années n’avaient pas permis de diminuer le racisme à bord du subaquatique et Konan en fit les frais dès sa naissance. Sa position de second du commandant était donc étonnante. Le commandant du Narval avait su voir plus loin que sa couleur de peau et avait découvert en lui un leader charismatique. Pietre connaissait l’histoire de Konan, comme presque tous les résidents. Dirigé par sa rage, il avait donné le meilleur de lui-même à l’école pour surpasser ses camarades et arriver là où il se trouvait actuellement.

 Le regard du second de commandement était sombre, ses pupilles marron dilatées. Il semblait s’être apprêté pour les recevoir. Ses cheveux étaient rasés depuis peu et laissaient apparaître des dessins tribals sur son crâne. Il avait également rasé sa barbe il y a peu, du sang séché dû à des coupures se trouvait de part et d’autre de son visage. Il fit signe à des gardes de fermer les portes, sortant Pietre de son observation. Une fois dans l’intimité, il prit la parole en s’adressant aux chasseurs-cueilleurs.

“Je me doute que vous êtes tous au courant, chasseurs comme cueilleurs, de ce qui se dit sur notre situation vis-à-vis de nos récoltes. C’est vrai, nous avons du mal à trouver nos produits habituels. Notre périmètre devient restreint et il nous faut étendre nos horizons.

Konan parlait d’une voix ferme et diplomate à la fois. Cette convocation ne pouvait être qu’informative, il devait se cacher quelque chose sous cette annonce et Pietre se doutait de ce que ça pouvait être.

  • Les mouvements de foule peuvent être dangereux dans notre environnement, c’est pourquoi nous n’en informerons pas les résidents. Nos meilleurs atouts réfléchissent à une nouvelle stratégie et nous trouverons une solution rapidement. D’ici là, je compte sur votre plus grande discrétion.
  • Qu’est-ce qu’on y gagne ? demanda un chasseur qui manifestait clairement son mécontentement.
  • Puis-je savoir à qui ai-je affaire ? répondit Konan avec un haussement de sourcil dédaigneux.
  • Toya Saito monsieur.
  • Monsieur, Saito, reprit Konan. Vous y gagnez de savoir ce qui se passe à bord de ce sous-marin.
  • Je pense que tous les résidents devraient avoir le droit de savoir… soutint Toya.
  • Il est vrai monsieur Saito, que l'honnêteté est une belle valeur, acquiesça Konan. Seulement, bien que vous ne soyez pas garde, vous avez comme beaucoup, un devoir. Savez-vous duquel je parle ?
  • Le devoir de protéger le Narval, monsieur.
  • C’est exact, la propagation de cette nouvelle créerait probablement une confusion de nos résidents ce qui pourrait amener à des conséquences graves. Puis-je compter sur votre silence monsieur Saito ?
  • Oui monsieur, répondit-il à contre-coeur.
  • Bien. Cela compte pour chacun de vous. Si l’information fuite, j’aurais à m’occuper de chacun d’entre vous d’une façon que je n’ose prononcer.”

Konan fit une pause, le regard posé sur Tayo qui baissa les yeux.

Le second du commandant regarda les gardes qui, sans besoin de recevoir d’ordre verbal, ouvrirent les portes. La convocation était terminée. Konan se retourna sans mots dire, son tempérament le rendait grave et austère, qu’importe les circonstances. Pietre rentrait à sa cabine pensif. Être convoqué pour garder le silence sur une information primordiale signifiait que la situation était grave.

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