Mégalodon, 11 février 2223

 Six heures du matin, les chasseurs-cueilleurs du Mégalodon rentraient à la base. Marcus faisait une ronde dans les ailes principales du sous-marin comme à son habitude, pour s’assurer que tout se déroulait comme prévu. Le général commandant s’assurait que tout son équipage prenne ses fonctions à l’heure prévue, sous peine de grosses restrictions. La salle des contrôles était au complet, aucun réveil manqué. Un sourire de satisfaction se dessina sur son visage, marquant les ridules aux coins de ses yeux bleu clair. Il savait bien que les pilotes étaient ponctuels, ceux qui avaient ce poste étaient d’ailleurs sélectionnés au peigne fin, ceux qui causaient le plus de problèmes étaient les mécaniciens. Il se rendit en salle des machines où il rencontra un technicien, clope au bec, fouillant dans sa caisse à outils.

“Je puis peut-être vous venir en aide ?

Le technicien s’apprêtait à répondre, sûrement d’une façon moins que convenable avant de réaliser à qui il avait affaire.

• Non, monsieur, je… balbutia-t-il.
• Quel est votre nom ?
• Paul, monsieur, Paul Cartner, dit-il sachant que ça n’avait rien qui vaille.
• Monsieur Cartner, à la fin de votre service, vous irez rencontrer mon assistant, il vous rafraichira la mémoire quant aux règles de ce navire.”

Le mécanicien baissa la tête, il connaissait bien cette formulation, comme toutes les personnes à bord, il allait se faire réprimander, sans savoir encore de quelle façon. Marcus s’en alla, détachant sa queue de cheval. Ses cheveux mi-longs bouclés tombèrent sur ses épaules, révélant sa majestueuse crinière grise argentée. Il vagabondait dans les couloirs jusqu’à la cuisine où les cuisiniers étaient prêts à accueillir la première peuplade de la journée. Populace et élite se mélangeaient, bien que certains avaient des postes plus ingrats que d’autres, ils avaient tous une importance primordiale pour maintenir le navire en ordre. Marcus saluait le personnel et rentrait dans sa suite. Sa ronde était terminée, il était six heures trente du matin et les gardes prenaient leurs postes, il pouvait désormais prendre retraite et effectuer sa routine quotidienne.
 Après un peu d’exercice physique, il prenait un petit-déjeuner copieux qui lui était amené dans sa suite. Une fois repu, il allait prendre une douche chaude sous laquelle il restait approximativement quinze minutes. Il se savonnait rapidement puis tournait le croisillon du chaud à son maximum. De l’eau bouillante coulait alors sur sa peau, lui retenant des grognements de douleur. La vapeur s’installa rapidement dans la salle de bain, créant une atmosphère étouffante. Pendant dix minutes, il restait là, à souffrir en silence. Il finissait son rituel en créant un fort contraste, de l’eau froide pendant environ deux à trois minutes. Son corps se raidit sous l’eau quasi gelé, chaque parcelle de son corps éprouvait une sensation de brûlure, mais ça ne l’empêchait pas de continuer. Cette pratique lui donnait la satisfaction de se sentir puissant, fort, indétrônable. S’il pouvait dominer son corps, alors il contrôlait son esprit. Et l’esprit était la chose la plus puissante à bord de ce navire, dans cette société.
 Marcus sortit de sa douche et prit place devant son miroir. De la paume de la main il effaça assez de vapeur sur ce dernier pour apercevoir nettement son visage. Il tourna la tête à droite, puis à gauche, n’omettant aucun détail de sa peau. Le général se voyait vieillir au fil des années et prenait un temps particulier pour observer les changements dûs à son âge. Sa peau pâle qui se détendait, les ridules qui apparaissaient. Cela faisait de lui sa force, ces marques de l’âge lui rappelait qu’il avait plus d’expérience et de maturité que n’importe qui à bord. Bien sûr, il y avait des personnes plus âgées, mais aucune ne dépassait son intellecte. Marcus avait l’âme d’un gouverneur, et ça, à tous les niveaux. Il brossa ses cheveux et mit ses habits de repos, soit un ensemble en toile noir. Il s’assit à son bureau et sortit d’un tiroir le cahier de bord du Mégalodon. Il se mit à écrire ses observations de la journée, sans omettre sa rencontre avec Paul Cartner. Par ennui plus que par curiosité, il décida de relire pour une énième fois les notes de l’ancien commandant, il y a de ça soixante ans, soit en deux milles cent soixante-trois.

Jour 262 de la 5° année bixestile,

Le Mégalodon est en pleine négociation, si tout se passe comme prévu, je posséderai prochainement 2/8 des océans. Jamais le Mégalodon n’aura été si puissant. Je pourrais presque dire qu’il domine les océans. Le système mis en place il y a deux ans nécessite néanmoins d’être perfectionné, surtout au niveau organisationnel. Aujourd’hui, il y a eu de nouvelles rébellions. Les deux insurgés ont été emprisonnés. Je compte changer de procédé et les utiliser comme exemple, notre suprématie ne peut plus connaître ce genre de révoltes imbéciles.

Les réacteurs semblent plus performants suite aux manutentions des mécaniciens, la fréquence de ces dernières mériteraient d’être accrue.

Général Defaune.

Marcus refermait le journal, des frissons parcourant son corps.