Partie I - Sixième chapitre

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Elle s'assit silencieuse sur la chaise particulièrement inconfortable de son bureau. Eglantine était fatiguée. Elle n'avait pas dormi de la nuit et ramasser chaque bout de verre avait été un vrai calvaire. Elle apparentait ces morceaux de miroirs à ceux de son âme. Ils étaient fatalement éparpillés au quatre coins de la salle de bains et ils étaient si brisés . Comme son âme. Elle était les décombres de ce miroir de glace. 

Puis, un mois, deux mois passèrent et rien ne s'arrangea. Son état dégringola à la vitesse de la lumière et bientôt elle atteignit ses limites. Elle ne se rassura pas ce jour là. Elle avait peur que tout soit trop lugubre pour elle, que l'obscurité l'eût envahi complètement.  

Elle arriva une fois de plus en cours. L'évolution de son partenariat avec Harry n'avait pas évolué. Il s'en tenait à de vagues formules de courtoisie. Pour ce qui était de la préparation de leur exposé, il passait à l'oral dans deux semaines. Il communiquait seulement à propos de ce sujet. Les instants qu'ils passaient à la bibliothèque, c'était tout ce qui leur appartenait. 

Ce jour là, elle s'installa à côté d'Harry sans dire un mot. Elle ne comprenait toujours pas pourquoi il l'avait suivi la première fois qu'il s'était rencontré au CDI mais elle ne voulait pas occuper davantage son esprit avec tout ça. Elle était bien trop épuisée. Elle n'en avait pas parlé avec lui et elle ne le souhaitait pas. Effrayée par ce que pouvait renfermer ce comportement un peu spécial,  Elle voulait surtout dormir, tellement dormir... 

 Elle s'assoupit réellement pendant une demi heure. Harry était excédé par l'attitude d'Églantine. Pourquoi ne pouvait-elle pas donner le meilleur d'elle-même alors qu'elle le lui avait promis. C'était ces mots. Elle ne ferait rien pour le déranger dans sa réussite scolaire. Seulement, juste de l'observer endormie, affaiblie, avachie contre la table, ça ne l'aidait pas. Il voulut tirer sur ses bouclettes de penser comme cela. Il ne se croyait pas aussi désespéré. Ressentir de la pitié pour Eglantine, c'était ridicule. Pourquoi ressentait-il de la compassion pour cette jeune fille ? Beaucoup de personnes souffraient dans ce monde et elle n'était certainement pas la plus à plaindre. Cependant quelque chose de plus profond, quelque chose d'enraciner bien au delà de sa raison lui disait que ses errements clochaient. Il était tiraillé entre la volonté de ne rien laisser le perturber et la curiosité déjà bien installée qu'il avait pour elle. 

Les étudiants du lycée le pensaient  comme le mystérieux du bahut. Ils avaient tord. Elle renfermait bien plus de secrets que lui. Eglantine était de surcroît énigmatique par rapport à ce que lui laissait entrevoir de sa vie.

A seize heure trente quand là sonnerie retentit. il se précipita à la bibliothèque. Cette pièce avait une aura apaisante, réconfortante, quelque chose qui le préservait du jugement d'autrui même lorsque Eglantine était la. Il faut dire qu'elle ne disait pas grand chose, mais il s'était habitué à sa présence silencieuse. Elle parlait généralement seule, il ne lui répondait que rarement mais elle insistait toujours un peu. Bien qu'il comprenait, qu'elle effectuait cet effort, il ne faisait rien en retour. Ce n'était pas grand chose, mais il l'avait remarqué tout de même sans comprendre réellement pourquoi, il le relevait.

Il avait découpé leur travail en deux. Le contenu et la forme. Eglantine s'occupait aussi du fond évidemment mais elle avait décidé de se vouer à l'aspect et la présentation de cet oral. Elle avait été très productive en découvrant les poèmes de Louis Aragon, de Paul Eluard et Pierre Seghers. Forcément, le poème « Liberté » allait par évidence être proposé aux élèves. Cependant, il serait celui qu'elle réciterait en dernier. Elle aimait tellement celui-ci. Elle vivait une guerre aussi, contre elle-même, contre sa vie, contre sa famille. Elle aurait aimé connaître un seul de ses résistants peu importe de quelle mémoire il faisait parti. Elle aurait voulu leur demander conseil, savoir comment ils s'en étaient sortis, comment leurs âmes de poète avaient pu être aussi brave et résiliente. Comment avaient- elles pu traverser le mal qui déferlait le monde, comment avaient-ils su entretenir la flamme de l'Espoir sans ne jamais se laisser porter par le brouillard silencieux et angoissant qu'était la vie après le couvre-feu ?  

Ça la rendait presque émotive ce travail qu'elle devait effectuer avec Harry. L'implication qu'elle y mettait. Elle arriva rapidement au CDI, s'arrachant une chaise de bureau pour pouvoir se mettre en face d'un Mac, elle avait une envie presque pressante de retrouver ses poètes, ceux qui avaient entretenu la force, pour l'unité du pays, pour que demeure la fraternité. 

Elle se trouva en train de pleurer lorsqu'elle lu, au travers de « Strophes pour se souvenir» qui rendait hommage au groupe Manouchian 

« Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient leur cœur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s'abattant. »

Comment faisaient-ils cela ? Embellir, la mort, les effusions de sang, la cruauté, le malheur et le rendre si beau, si vivant et enrichit d'espoir. 

Elle se devait de partager ce moment avec quelqu'un. Elle se dirigea vers Harry qui était lui même plonger dans la rédaction de la partie sur les mémoires Gaullistes et lorsqu'il la vit arriver, il s'irrita. Elle pouvait y lire de la colère dans ses yeux et elle ne comprenait pas pourquoi il l'était. Elle trouvait qu'ils étaient dans une belle collaboration. 

_ Qu'est ce qu'il y a ? s'empressa t-elle de demander. 

_ Tu m'avais promis que tu ne m'importunerais pas dans ma réussite scolaire, voilà ce qu'il y a. 

Elle se figea et son corps se cristallisa. L'émotion qui la traversait n'était, désormais, plus que tristesse. Elle lui avait fait une promesse et elle avait l'impression de s'en tenir. Pourquoi ne pensait-il pas la même chose ?

_ Je ne comprends pas. Je ne te dérange pas en cours ? J'évite de discuter avec Liam, je fais mon possible pour écouter.

_ Et quand tu dors ? Oh oui tu écoutes énormément. C'est une certitude. 

Eglantine se sentit victime d'une injustice. Elle serra ces poings dans ses poches parce qu'elle ne le comprit pas. Ils ne parlaient jamais ensemble. ils s'échangeaient deux trois paroles dans la journée. Il faisait sa vie de son côté et elle, de la sienne. Ou était le problème ? 

_ Je ne vois pas ce qui te dérange quand je dors ? Tu peux m'expliquer ? Parce que le meilleur moyen d'avoir du silence et de la concentration à coté de toi, c'est bien lorsque je suis endormie ? Parce qu'à part être absente, je ne peux pas faire mieux.

_ Si tu dors, tu n'écoutes pas le cours ! 

_ Si je n'écoute pas, c'est mon problème ! 

_ Tu disais vouloir réussir, il y a deux mois de cela ! 

_  Ce n'est pas la promesse que je t'ai faîte Harry. Ma part du marché est remplie. Si tu veux que je sois Aurore Woods, sache que ce n'est pas possible et que ça ne le sera jamais. 

Un lourd poids s'était emparé de son cœur, comme si il allait à tout moment elle risquait d'embrasser celui ci. Elle faisait une crise d'angoisse et elle devait partir avant qu'Harry ne s'en aperçoive. Il était cruel envers elle. Elle luttait autant qu'elle pouvait. Elle se permettait de s'endormir en classe parce qu'elle voulait être suffisamment en forme pour honorer sa promesse. Et si il y avait une raison à l'être maintenant, c'était uniquement pour ne pas le laisser tomber en Histoire, avec ce fameux exposé sur les mémoires. 

Elle le trouva tellement injuste. 

Elle s'enfuit et se grouilla de déguerpir de cette endroit, de cet atmosphère, de ses reproches insupportables. 


Elle envoya un SMS à Juliette. Elle avait besoin de soutien, parce qu'elle sentait qu'elle perdait pied. Tout ce qu'elle faisait, nécessitait forcément un reproche, rien de ce sur quoi elle buchait, n'était bien pour lui. C'était peut être pour ça, qu'elle n'était pas aimé. C'était mérité. Elle échouait tout ce qu'elle entreprenait. Juliette arriva très vite aux parole alarmantes d'Eglantine. 

Elle expliqua la crise qu'elle venait de vivre avec Harry. Elle avait besoin d'évacuer toute cette colère, toute cette rancœur, tout ce mal qui la tétanisait, alors elle attrapa la weed dans son sac et roula un pétard. L'effet fût immédiat, elle se sentait ivre d'apaisement. Elle pleurait dans les bras de Juliette. 

Juliette en était même paniqué. La dernière fois qu'elle avait vu pleurer Églantine, c'était il y a six ans lorsque son père partit et les laissa. 

_ Pourquoi pleures-tu pour Harry ?

Non, elle ne pleurait pas pour Harry. Elle pleurait parce que tout devenait invivable. Elle n'arrivait plus à faire semblant que tout allait bien. Elle souffrait d'un mal profond qui la ravageait au fur et à mesure que les jours s'écoulaient, mais elle ne réussit pas à le dire à Juliette. Alors, elle inventa une raison pour l'éloigner de la vérité. Raison qu'Eglantine s'obstinait à penser qu'elle avait inventée alors que tout ceci était bien réel.

_ Tu es mon équilibre Juliette, tu sais. Ma meilleure amie et je ne veux pas te vexer mais une personne dans une vie ne te suffit pas et je pensais qu'avec Harry nous avions commencer quelque chose qui allait déboucher sur une amitié. Je lui ai fais une promesse. Tu sais que je n'en fais jamais, tu sais ce qu'elles représentent pour moi. 

_ Oui, je le sais Eglantine. Je le sais parce que tu n'en a fais qu'une et qu'elle était à moi... Mais ce que je ne comprends pas Eglantine, c'est pourquoi, pourquoi Harry. Il est si... odieux. 

_ Parce qu'il est celui que je vois trente quatre heure par semaine, avec qui je partage mon temps, et je sais pas, je crois que j'ai un peu fait ça à l'aveugle. Je pensais retrouver en lui, un peu de toi. 

Juliette s'attendrit et pris Eglantine dans ses bras pendant un moment. Jusqu'à Six heures exactement. 

Eglantine rentra chez elle. Elle pria pour qu'elle soit tranquille ce soir, elle ne pourrait pas surmonter cette journée si ce n'était pas le cas, puis Eglantine se rassura ce soir là. Le départ de son père avait été le pire jour de toute sa vie, et celui-là était difficile, mais elle était en mesure d'évaluer l'intensité de son chagrin et il ne dépassait pas cet épisode traumatique. Elle rangeait ses moments de désespoir dans un ordre d'amplitude, elle était certaine de passer ce moment et de pouvoir s'en relever. Et aujourd'hui rentrait dans son top 10, mais il n'était pas le numéro un. ça irait, se disait Eglantine, ça irait... 

Sauf que la journée n'était pas terminée. 

Lorsqu'elle rentra Rayan était là, à table avec le père de ce dernier, son frère et sa mère. Elle s'assit en silence, dévia le regard meurtrier de sa mère et s'installa à côté de Rayan pour manger. 

Pendant ce repas là, Rayan glissa sa main sur les cuisses d'Eglantine, jusqu'à arriver à son entre jambes. Elle désirait plus que tout au monde recracher ce qu'elle avait réussi à avaler, sortir les lames qu'elle avait dans son placard, et se faire mal, très mal, pour que celui de son coeur s'apaise un tout petit peu. Les larmes coulaient silencieusement. 

Cette journée venait d'escalader plusieurs places dans son palmarès traumatiques

Elle s'enferma dans sa chambre, sortit la paire de ciseaux, et le coton, alors qu'elle allait s'infliger la douleur qui la servait de pansements. Elle entendit son portable vibrer. 

Elle reçu un SMS d'un numéro qui n'était pas présent dans son répertoire. 

« Désolé pour tout à l'heure. Je regrette cette dispute. j'ai lu le poème. Sois sûr qu'il sera dans l'exposé pour la partie des mémoires communistes. »

Elle déposa ces ciseaux, hallucinant quelque secondes. 

Harry regrettait ce qu'il venait de dire au moment ou les mots traversèrent ses lèvres. Il n'avait pas pu s'en empêcher parce que cela faisait deux mois qu'il gardait ça pour lui... Il détestait ce qu'elle inspirait. Soit elle gloussait souvent en classe, soit elle dormait. Il avait compris son petit manège. Elle n'était qu'une image qu'elle se donnait et il haïssait ce rôle qu'elle jouait. Parce que ce comportement sonnait faux, et au final, il ne la connaissait pas. Quelque chose clochait chez elle. Tout dans ses sourires, ses rires, ses provocations montraient la fausseté, son hypocrisie et sa comédie. Si quelque chose le repoussait au plus au point, c'était cet air superficiel qu'elle encourageait. Elle n'était pas comme ça, tout simplement parce que pendant deux mois, il avait vu travailler comme une acharnée à ses côtés et ce n'était pas dans les cordes d'Églantine d'être une folle furieuse. 

Elle était la plus grande mascarade auquel il n'avait jamais assisté et il ne saisissait pas pourquoi elle agissait comme tel devant toute la classe. ça le dépassait. Elle partageait son quotidien, elle lui avait fait une promesse parce qu'elle s'en était fait une à elle même. Celle de réussir et même si dans la forme, la promesse envers Harry était tenu, la sienne qu'elle s'était faîte à elle même ne ne l'était pas. 

Quand elle s'enfuît, elle laissa tombé un papier qu'elle vint d'imprimer et elle entoura le dernier vers. Ces yeux rougis dévoilèrent bien qu'elle avait été troublée par ses mots, par ses résistants. 

Il avait sollicité Juliette pour obtenir le numéro d'Eglantine parce que sa culpabilité était insupportablement gérable et en dépit de tout ce qu'il lui reprochait, elle ne méritait pas la colère qu'il avait projeté sur elle. 

Il était allongé dans son lit lorsqu'il lui envoya ses quelques mots. Tout ça lui coûtait, de lui adressé ce type de message. Il ne manifestait jamais de regrets d'habitude parce qu'il menait de front son discernement. Il voulait s'excuser tout en sobriété et il n'était pas vraiment doué pour ce genre de formalité. 

Il s'endormit avec un recueil de poèmes qu'Églantine avait sélectionné pour l'Exposé. Il lui avait dérobé quand elle s'était enfui oubliant la moitié de ses affaires.

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