Chapitre 31

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Cet après-midi là, Emilie s’était rendue aux répétitions sans savoir ce qu’elle allait y faire. C’était peut-être l’occasion de montrer ses progrès sur le solo que la jeune danseuse devait effectuer.

En entrant dans la salle, l’atmosphère glaciale la saisit. La lycéenne n’aurait su dire s'il en avait toujours été ainsi ou si le départ d’Adrien avait amplifié la chose, mais cela ne fit qu’accentuer son malaise.

En l’absence de la chorégraphe, Emilie commença ses échauffements afin d’être plus efficace le temps de la répétition. Sans la présence agaçante du jeune homme, elles pourraient sans doute être toutes deux plus détendues.

Ayant terminé son échauffement et étant toujours seule, la danseuse continua, suivant les conseils de Dianna, par un exercice assez compliqué qui consistait à danser avec son reflet, et à faire en sorte de ne jamais le lâcher du regard, tout en évitant de faire deux fois le même mouvement.

Mlle Morvan n’arriva qu’une demi-heure plus tard, surprenant son élève en claquant la porte. Ce qui, d'ailleurs, était absolument interdit par le règlement intérieur car ce genre de bruit surprenant pouvait être à l'origine de chutes pouvant s'avérer très grave.

« Ah, vous êtes là. Je vois que l'intégralité des élèves de cette école n’est pas stupide, lança Mlle Morvan à Emi sur un ton glacial. »

Emilie n'osa même pas lui répondre avec une salutation, trop choquée par l’agressivité dont la chorégraphe faisait preuve. Cela vint renforcer le sentiment qui grandissait en Emi depuis quelques temps, et qui lui hurlait que ce qu’il se passait avec la femme en face d’elle n’était pas normal.

« Commençons. »

L'élève obtempéra. Et elle sut tout de suite que sa prestation était bien effectuée. Dianna lui avait enseigné à reconnaître son degré de performance.

« Lamentable. Je ne comprends pas comment vous pouvez espérer vivre de la danse avec un tel niveau. Je suis franchement déçue par cette école, et malheureusement forcée de constater que le niveau s'est énormément dégradé depuis que je l’ai quittée. »

Et encore une fois, cette remarque heurta la sensibilité d'Emilie. Sa confiance en cette personne se dégradait de minute en minute.

Alors que sa bouche s’ouvrait furieusement, de manière tout à fait involontaire, la porte du studio s’ouvrit. Channelle entra, sublime dans une petite robe lie de vin et ses sandales à talons. Elle adressa un doux sourire à la chorégraphe et s’approcha de son élégante et visiblement très attirante - si on s’en référait à l’air du garçon qui l'avait accompagnée et restait à la porte - démarche chaloupée. Elle passa une main dans ses cheveux nouvellement roux. La couleur n’avait pas été merveilleusement réussie, et il était évident que ses racines couleur carotte n’étaient pas naturelles.

Lorsque Channelle commença à parler, sa voix était chaude, envoûtante.

« Bonjour mesdemoiselles, je n’ai pas pu m’empêcher d’entendre votre conversation alors que je passais dans le couloir. Je me permets donc, Mlle Morvan, de nous mettre, moi et mon cher ami Mayron, à votre disposition pour le spectacle. Comme vous le savez, je suis la danseuse la plus talentueuse de cette école, et je serais très honorée de travailler avec vous. De plus, il y a une véritable alchimie entre nous deux, nous serions absolument parfaits, susurra-t-elle avec un clin d'œil complice. »

La chorégraphe la fixa en silence pendant quelques secondes, avant de répondre d'une voix dure :

« Sortez d’ici. Votre présence n’est, d’une, pas souhaitée, et de deux, démonstration d’une moralité plus que douteuse. Sachez, mademoiselle, qu’avoir le titre de meilleure danseuse de cette école ne vaut rien lorsqu’on voit le niveau de celle-ci. Vous n’êtes qu’une gamine prétentieuse qui a profité de l’argent de sa famille pour faire de la danse, ne l’oubliez pas. Et maintenant sortez, ou j’en réfère au directeur. »

Le visage de Channelle se décomposa et, après un instant de flottement, elle partit en trombe. Malgré un léger sentiment de compassion à l'égard de l'autre jeune fille, Emilie ne put empêcher le coin de ses lèvres de s’étirer, tant la scène avait été satisfaisante.

« Ces remarques vous concerne aussi, stupide péronnelle, cracha Mlle Morvan. Remettez-vous au travail. »

A la fin de la répétition, et après une pluie de remarques assassines et dégradantes, la lycéenne rentra dans les vestiaires, hébétée. Ce jour marqua un tournant dans son esprit. Son respect et son admiration pour Mlle Morvan s’étaient envolés. Elle voyait enfin le véritable visage de cette carogne. Adrien avait eu… raison.

Mais Emi ne lui avouerait jamais ! De toute façon, elle ne l'approcherait plus. Il ne faisait plus partie de sa vie, pour son plus grand bonheur. Ses manières de butor, qui lui déplaisaient tant, et son petit air pincé - qui lui donnait un certain charme, il fallait le reconnaître -, et sa manière de poser ses grandes mains fortes sur sa taille… Bref, tout cela était terminé ! Emi ne verrait plus les beaux yeux verts d'Adrien s’assombrir de colère, ou s’éclaircir lorsqu’il riait… Ni ses adorables fossettes…

La jeune fille se donna une gifle, insupportée par ses pensées totalement emmêlées. Elle ne le supportait pas, voyons. Le danseur était certes très attirant, mais le physique était bien la seule chose chez lui qui lui fût agréable.

Emilie s’empara de ses affaires et quitta rapidement l’établissement. Le vent fit voler ses cheveux, qu’elle avait le bonheur de ne plus devoir attacher depuis qu’ils avaient été coupés. Le temps se gâtait un peu, et on sentait l’automne s'installer progressivement en ce doux mois d’octobre.

La jeune fille parcourut encore une fois les rues de son itinéraire quotidien, passa devant les mêmes magasins, croisa les mêmes vieilles dames avec leurs mêmes petits chiens. Et, comme d’habitude, le même couple de retraité vint lui sourir, leurs mains tendrement enlacées. Et comme chaque fois, Emi ressentit une petite pique de jalousie devant ce beau spectacle.

En arrivant chez elle, la lycéenne alla prendre un petit goûter. Toutes ces émotions avaient creusé son appétit. Elle constata en ouvrant la porte que ses parents étaient attablés dans la cuisine. Emi déposa un rapide baiser sur chacune des joues présentes et se servit un bol de lait, qu’elle mélangea avec son chocolat en poudre Poulain. Celui avec la boîte orange. Elle avait horreur de la boîte jaune, bien trop sucrée.

Après quelques secondes de silence, Emi releva la tête. Ses parents la fixaient, yeux écarquillés.

« Et bien, que se passe-t-il ? Vous êtes bien silencieux.

-Mais… Mais… balbutia sa mère, sous le choc. Tu as coupé tes cheveux ! »

Sa fille haussa un sourcil, avec une expression ironique.

« En effet. »

Les deux adultes échangèrent des regards effarés.

« Mais… Chérie, comprends notre surprise, tu as toujours affirmé que tu garderais les cheveux extrêmement longs, comme Raiponce ! Mais cette coupe te va merveilleusement bien, mon petit lapin de Pâques, se rattrapa son père en voyant le petit visage de sa fille se froncer.

- Oui, et bien il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis ! s’exclama-t-elle.

- Chérie ! Ton vocabulaire ! Mais que se passe-t-il, tu es amoureuse ? gloussa sa mère. »

La jeune fille se promit de trouver et détruire la boule de cristal de sa mère, puis rugit :

« Mais bon sang ! Arrêtez avec ça ! Je ne suis pas amoureuse, je ne serais jamais amoureuse, et surtout pas de lui. »

Emi plaqua ses mains contre sa bouche, alors que ses parents tombaient de leurs chaises, l'air ébahi.

« Lui… qui ?! s’exclamèrent-il en chœur.

- Euh… J’ai rien dit ! Je m’en vais ! »

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