Chapitre 32

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« Tiens, un revenant, remarqua Mlle Morvan sans grand enthousiasme, en voyant arriver Adrien. Le petit moment de caprice est passé, et Monsieur daigne enfin nous refaire l’honneur de son illustre présence. »

Le danseur se contenta de lever les yeux au ciel, jugeant inutile de répliquer. Son regard croisa soudain celui d’Emi.

« Bonjour, lâcha Adrien avec un petit sourire. »

Face à l’absence de réaction de la jeune fille, qui le contemplait avec un regard impassible, il enchaîna avec habileté, accompagnant ses paroles d’un mouvement triomphal du bras :

« Je suis de retour ! »

Emi n’en parut pas plus ravie que cela, et haussa les épaules avec indifférence. Adrien trouva son attitude un peu vexante. Que la jeune fille lui en veuille, soit, il n’avait pas été très facile avec elle ces derniers temps. Mais elle aurait pu se montrer un peu rassurée de le voir participer à nouveau aux répétitions. C’était elle qui l’avait supplié de revenir. Sans compter qu’ils avaient échangé un baiser ; ce n’était pas rien, quand même.

Mlle Morvan tapa dans les mains pour les rappeler à l’ordre.

« Maintenant que vous êtes revenu, tâchons de rattraper le temps que nous avons perdu à cause de vos enfantillages. Au travail ! »

Et elle lança la musique. En s’apercevant du morceau dont il s’agissait, Adrien se tourna à nouveau vers Emi. Le regard de cette dernière s’était transformé, passant de l’indifférence la plus totale à une expression de pur embarras. Le garçon sourit devant la teinte rosée qui commençait à colorer les joues de la danseuse, et s’avança vers elle. Le lycéen sentit la jeune danseuse sursauter quand il posa sa main sur sa hanche.

Emi refusait de croiser le regard du danseur, et fit de son mieux pour garder une certaine distance entre leurs deux corps. Pourquoi Adrien l’avait-il embrassée ? Comment devait-elle interpréter ce geste ? Y pensait-il, pendant qu’il la tenait, la portait, la faisait tournoyer ? Et surtout, comment pourrait-elle être à son aise avec son cavalier après les révélations de Marc ? La danseuse avait l’impression de trahir son ami.

La répétition passa extrêmement rapidement, comme dans un songe. Mlle Morvan fut, comme à son habitude, d’humeur totalement exécrable. Dès que la séance fut terminée, Emi se détacha de son partenaire et s’enfuit vers les vestiaires. Adrien s’empressa de rejoindre les siens, et s’habilla en trombe. Il voulait être sûr de pouvoir aborder Emi dans le couloir.

Le jeune homme n’eut à patienter que quelques instants. La danseuse ouvrit lentement la porte, sortit sa tête dans l’embrasure, et jeta de furtifs regards à droite et à gauche avant de sortir, pour s’assurer qu’il ne l’attendait pas. Quand elle le vit, la stupeur la figea sur place. Emi croisa les bras.

« Qu’est ce que tu veux ? questionna-t-elle d’une voix sèche. »

Adrien secoua la tête d’un air faussement meurtri, et posa une main sur son cœur.

« Je n’ai plus le droit de parler à ma partenaire de spectacle ? »

La jeune fille lui lança un regard mauvais.

« On ne s’est jamais vraiment parlé. Tu n’arrives pas à aligner deux mots devant moi sans que l’envie de t’escoffier ne traverse mon esprit. »

Le garçon lâcha un petit gloussement.

« Tu ne disais pas ça, l’autre jour. »

Comme elle ne broncha pas, Adrien précisa :

« Quand je t’ai embrassée. »

Emi s’empourpra et le fusilla du regard.

« Qu’est-ce que tu t’imagines ? Je n’avais aucune envie que tu m’embrasses.

- Pourtant, tu t’es laissée faire.

- Mais je n’étais pas consentante ! répliqua-t-elle, furieuse. »

Le jeune homme sourit, et s’approcha davantage de son interlocutrice;

« Ce n’est pas du tout l’impression que j'ai eue. »

Emi était affreusement gênée. Reparler de cet épisode la rendait malade.

« Je ne t’apprécie vraiment pas, finit-elle par déclarer. Gougnafier. »

La remarque de la danseuse n’eut pas l’effet escompté, car le goujat se mit à rire. A rire.

« Je te déteste, renchérit-elle.

- Mais bien sûr, fit le garçon avec cynisme, levant un sourcil moqueur. C’est pour ça que tu m’as supplié de ne pas quitter le spectacle de Noël. »

La jeune fille serra les poings.

« Je ne t’ai pas supplié. Je t’ai fait comprendre à quel point ta démission serait irresponsable, et je me félicite d’avoir pu te faire entendre raison. Ce qui ne veut absolument pas dire que je te juge digne de ma compagnie et de mon intérêt. Ta présence m’est juste indispensable pour le spectacle, rien de plus. Et je t’en veux encore de m’avoir laissée seule avec Mlle Morvan, tu t’en rends bien compte ? »

Adrien se pencha vers elle et la regarda droit dans les yeux.

« Voilà effectivement une chose pour laquelle je tiens à te présenter mes excuses. Je suis sûr que ça n’a pas dû être une partie de plaisir. »

Déstabilisée par sa réponse – Emi s’attendait à tout sauf à des excuses de la part de ce mufle –, la jeune fille balbutia :

« Euh... oui, enfin non. Mlle Morvan est une chorégraphe hors-pair, les répétitions avec elle sont toujours, comment dire… enrichissantes. »

Emi, qui maniait habituellement la langue de Molière avec une habileté déconcertante, perdait ses mots devant ce malotru. Elle en était toute chose.

Loin d’être dupe, son partenaire répondit lucidement :

« Avoue que tu es déçue. Tu ne t’attendais certainement pas à ce qu’elle soit aussi inhumaine, barbare, et cruelle. »

Un choix de qualificatifs légèrement hyperbolique, mais qui n’était pas à l’opposé de l'impression que se faisait désormais la jeune fille de son ancienne idole. Il fallait bien qu’elle admette enfin que ce rustre semblait avoir raison, sur ce point. Emi baissa les yeux.

« Certes, tu as essayé de me prévenir, et je ne t’ai pas écouté. Et bien, quand je pleurais l’autre jour, c’était bien à cause de Mlle Morvan. J’ai vécu une véritable désillusion et j’en suis consciente, maintenant. Tu avais raison, c’est ça que tu veux entendre ? »

Sa voix s’était faite légèrement cassante. Adrien lui sourit :

« Bien sûr que j’avais raison. J’ai toujours raison ! plaisanta-t-il, satisfait de voir sa valeur enfin reconnue. »

Voyant que le visage de la jeune fille restait fermé, il soupira.

« Tu ne crois pas qu’il serait temps qu’on fasse la paix ? Notre relation n’a certes pas commencé sur de bonnes bases...

- Quelle relation ? l’interrompit-elle sèchement.

- C’est de ce genre de remarque débile dont je pourrais vraiment me passer. Tu ne vois pas que j’essaye d’enterrer la hache de guerre ? »

Emi croisa les bras.

« Bon. J’accepte de t’octroyer une trêve. Mais pour l’instant, je te préviens, tu es en période probatoire.

- En période probatoire ?

- Je te propose une amitié avec sursis. Au lieu d’être condamné à une haine sans fin de ma part, en raison du viol bucal que tu m’as fait subir, je te prends en période d’essai. Si à l’issue de celle-ci, je ne suis pas satisfait de tes prestations amicales, tu seras renvoyé. »

Adrien ne sut pas s’il devait se réjouir ou s’inquiéter. Surtout, il n’appréciait pas trop la manière dont le sujet du baiser avait été abordé dans cette dernière tirade.

« Viol… quoi ? s’enquit-il avec un regard intrigué. »

Emi leva les yeux au ciel. Voilà donc tout ce que cet idiot avait retenu de ces propos.

« Un baiser non consenti. Que tu as osé me voler. »

Adrien contempla un instant le visage offusqué de la jeune fille. Sa nouvelle coupe de cheveux lui allait vraiment bien, mettant en valeur ses traits délicats et ses yeux lumineux. Son regard s’arrêta sur sa bouche, et remonta le long de son nez fin.

« Pardonnez l’affront, Mademoiselle. Cela ne se reproduira plus, murmura-t-il d’une voix douce. »

Et Adrien se pencha pour déposer chastement ses lèvres souriantes sur le front d’Emi.

« A demain. »

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