Chapitre 22

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Adrien ne prit même pas la peine de se vêtir complètement, ouvrit violemment la porte du studio et se dressa torse nu devant la chorégraphe, le regard brillant d’une fureur mal contenue. Révolté par les derniers propos de la danseuse, qu’il avait surpris comme Emi à travers la porte entrebâillée, le jeune homme serra les poings.

Les yeux de la femme firent une courte escale sur les pectoraux de son élève, s’en détachèrent péniblement, et finirent par lui adresser un regard agacé.

« Que me voulez-vous, Silberdorn Junior ? Il me semble bien vous avoir dit au revoir lorsque nous avons fini notre répétition… et que vous étiez encore convenablement habillé. »

Le jeune homme fronça les sourcils, et lui siffla, la mâchoire crispée :

« Je désapprouve profondément votre manière d’enseigner, Mlle Morvan. Je suis sûr que si mon père en était informé, il serait du même avis que moi. »

La danseuse le fixa d’un air condescendant.

« Je ne vois pas de quoi vous parlez. Vous, simple troisième année de l’Académie Silberdorn, pensez pouvoir m’apprendre, à moi, illustre étoile, comment enseigner la danse ? »

Elle prit le garçon par le bras et tenta de le guider vers la sortie.

« Laissez-moi faire mon travail. Concentrez-vous plutôt sur celui qu’il vous reste à fournir. Il ne vous reste pas tant de temps jusqu’au spectacle. Imaginez un peu la déception de votre père si son école devait être représentée par une gamine sans talent et un pseudo-danseur ayant deux pieds gauches et qui plus est, s’avère être son propre fils. »

Le ton d’Adrien se fit plus plus cassant.

« C’est exactement à ce genre de remarques que je faisais référence. Je vous trouve très dure, notamment avec Emilie. »

Le garçon lâcha le prénom de sa partenaire du bout des lèvres, d’une voix plus basse, presque chuchotante, qui le surprit. Ce changement de ton était-il dû à l’animosité qui régissait la relation des jeunes danseurs depuis leur rencontre, ou bien à cette étrange forme de respect qu’il avait récemment vu naître en lui, face au don incontestable de la jeune danseuse ?

« Vous la dénigrez chaque fois que vous le pouvez et vos critiques acerbes sapent complètement sa confiance en elle. C’est cette accumulation de stress qui nuit à son travail, pas un manque d’effort de sa part ! »

Le visage de Mlle Morvan se tordit en une grimace de rage. Elle cracha au visage du jeune homme :

« Je ne sais vraiment pas pour qui vous vous prenez. Mes méthodes sont celles des grands maîtres qui m’ont formés. Si vous, ou Mlle d’Abraracourt, n’êtes pas de taille à absorber et enregistrer mes remarques en critiques constructives, c’est que vous n’avez rien à faire dans le spectacle qu’on m’a chargée de diriger. »

La chorégraphe était en position de force. Adrien sentit que la partie était perdue d’avance. Il se permit néanmoins d’insister une dernière fois :

« Je comprends bien, Mlle Morvan. Seulement, si vous pouviez être un peu moins sévère avec Emilie… Je pense qu’elle prend vraiment à coeur tout ce que vous lui dites, et qu’elle vous admire beaucoup. Soyez dure avec moi si vous le souhaitez, mais s’il vous plaît... »

Mais la femme l’interrompit d’un geste autoritaire de la main, et rétorqua sèchement :

« Sortez, Silberdorn Junior. Vous avez dépassé les bornes. Sachez que votre père en sera informé. Bonne soirée. »

Sur ces paroles, Mlle Morvan ouvrit la porte et poussa Adrien à l’extérieur du studio, lui laissant le soin de se rhabiller et de rentrer chez lui.

Son échange avec la chorégraphe, bien loin de l’avoir calmé, n’avait fait qu’amplifier sa colère. Adrien n’avait jamais beaucoup apprécié la danseuse, qu’il avait rencontrée chez lui, lors d’une des nombreuses réceptions que ses parents organisaient avec les plus grands noms de la scène internationale. Mlle Morvan lui avait toujours paru froide et opportuniste, une impression que les répétitions des dernières semaines n’avaient pas démentie.

Si Emilie exaspérait toujours profondément le jeune danseur, en raison de son attitude puérile et... de tous les aspects de son inintéressante personnalité, finalement très agaçante dans son entièreté, Adrien n’avait jamais pu tolérer les situations d’injustice, d’où son énervement à l’encontre de Mlle Morvan. Il savait combien les mots pouvaient blesser une personne et nuire à son bien-être, ce qu’il ne souhaitait à personne, pas même à ses ennemis. Et si cette gamine était trop sotte pour réaliser qu’elle avait du talent et que leur répétitrice était une garce finie, il fallait bien que quelqu’un d’autre essaye de sauver la peau du premier rôle féminin du spectacle de Noël. Adrien avait cru, à tort, qu’il en aurait le pouvoir.

Les gestes du jeune danseur restèrent fébriles, à mesure qu’il finit de s’habiller, s’installa dans le métro et marcha jusqu’à son domicile. Dès qu’il passa le pas de la porte, la voix de son père le figea sur place. Manifestement, M. Silberdorn était au téléphone, et assez remonté.

« Comment ça ? Explique-moi ce qu’il s’est passé. »

Adrien attendit quelques instants, tandis que son père enregistrait les propos de la personne à l’autre bout du combiné. Soudain, le directeur reprit la parole, d’une voix tendue :

« Comment Adrien a-t-il pu te manquer de respect à ce point ? Je te présente toutes mes excuses, Lise. Ce garçon me désespère. »

Le jeune homme sentit sa gorge se serrer.

« Je t’assure que je trouverai une sanction à la hauteur de l’affront qu’il t’a causé. »

Quelques secondes passèrent.

« Mais je t’en prie, Lise, c’est normal. Encore désolé. A bientôt ! »

M. Silberdorn raccrocha et lâcha un long soupir, exténué. Puis, l’homme sortit du salon et faillit percuter son fils dans le couloir. Il lui jeta un regard froid.

« Deux heures de colle, vendredi soir, Adrien. Tâche de ne plus faire de vagues. Mlle Morvan a toute ma confiance, et tu fais honte à ton nom. »

Adrien ne daigna même pas lui répondre, et fila s’enfermer dans le cocon protecteur de sa chambre.

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